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Rubrique nécro #11 : Suffocation, Autopsy, Vastum, Shylmagoghnar...

mardi 28 novembre 2023
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Décidément, cette année 2023 se révèle être un grand cru côté death metal. Avec une précédente Rubrique Necro' qui s'était péniblement limitée à dix sorties intéressantes de la rentrée, les mois d'octobre et de novembre ne sont pas en reste ! Que ce soit attendu ou surprenant, voici une sélection d'albums de ces deux derniers mois qui devraient ravir les fans du genre !

Groupes évoqués : Suffocation | Shylmagoghnar | Tetragrammacide | Vastum | Stortregn | WormholeDyssebeia | Sulphur Aeon | Autopsy 

 

Suffocation – Hymns from the Apocrypha
Brutal death metal – USA (Nuclear Blast)

Sleap : Avec le faiblard …Of the Dark Light, Suffocation effectuait en 2017 le premier (et seul) faux pas de sa carrière. Et avec le départ de Frank Mullen quelques années plus tard, le déclin de ce groupe si emblématique semblait malheureusement inévitable. Mais c’était sans compter sur Terrance Hobbs ! L’indétrônable guitariste – seul membre restant de la formation historique – revient en cette fin d’année 2023 avec huit titres tous plus solides les uns que les autres (+ un réenregistrement bonus avec Frank Mullen). Sa science du riffing tortueux mêlée au savoir-faire de ses nouveaux comparses offre une seconde jeunesse au combo new-yorkais ! Car oui, en plus du bassiste Derek Boyer (déjà présent depuis presque vingt ans), le jeune guitariste Charlie Errigo participe également à l’écriture.

Loin des errances deathcore du précédent effort, ce Hymns from the Apocrypha effectue un grand retour à la période 90s du groupe : une architecture complexe avec ces fins de plans typiquement abruptes (« Seraphim Enslavement »), un son de basse bien claquant sur la totalité des morceaux (avec même quelques mini-soli sur « Descendants » ou « Delusions of Mortality »), quelques slam parts velues mais jamais outrancières (« Immortal Execration »), de nombreux soli fiévreux (titre éponyme ; « Embrace the Suffering » ; etc.), le tout avec une prod’ encore meilleure que celle des précédents opus, à la fois clean et organique. Enfin, après avoir fait ses preuves en live depuis bientôt trois ans, le frontman Ricky Myers (également batteur chez Disgorge !) confirme en studio qu’il est sans nul doute le digne successeur de Frank Mullen. En plus de la rugosité caractéristique de son timbre, le vocaliste travaille à la fois son phrasé mais aussi ses textes pour coller au mieux à ceux de son illustre prédécesseur. Et la pochette, signée Giannis Nakos, vient corroborer cet impeccable retour aux sources en assument clairement ses références à l’univers pictural de Dan Seagrave. On les pensait sur la pente descendante mais les patrons Suffocation sont plus en forme que jamais !

 

Shylmagoghnar – Convergence
Death metal mélodique / progressif – Pays-Bas (Napalm Records)

Michaël : A moins d’être un fin limier, dénicheur de talents, vous n’avez certainement jamais entendu parler de Shylmagoghnar. Bien que créé en 2004, le groupe néerlandais de death progressif / mélodique n’a sorti que trois albums, le très bon Emergence sorti en 2014, le sensationnel Transience sorti en 2018 et, enfin, Convergence qui est sorti il y a quelques semaines chez Napalm Records.

La barre a été placé si haut lors de l’album de 2018 que l’on pouvait légitimement se demander si le groupe allait parvenir à maintenir ce parfait équilibre dans les mélodies, les riffs acérés et cet usage – en réalité avec parcimonie – des growls. Et la réponse est plutôt positive. Sans atteindre la quasi-perfection du précédent opus, Shylmagoghnar parvient toujours à trouver à transporter, à émerveiller. Avec un mix très intéressant qui laisse pleinement apprécier les lignes de basse et les nappes de clavier (sur « The Sea » et « Follow The River », notamment), le groupe continue sur sa lancée d’un death mélodique et progressif bien léché. Enfin, quand je dis le « groupe », c’est à relativiser puisque Nimblkorg s’occupe de la batterie, du clavier, de la guitare, de la basse, du chant, et de l’enregistrement.

Cet album va certainement mettre du temps à être digéré. Chaque écoute révèle des petites nuances, tirées des variations de chant (growls et chant clair) ou bien encore de ces mélodies enivrantes. Shylmagoghnar a toujours réussi le pari de faire des albums et des titres riches, mais qui paraissent malgré tout assez faciles à appréhender et à apprécier. Cet album est une grande réussite et vient se placer immédiatement dans mon top death de l’année.

 

Tetragrammacide – Typho-Tantric Aphorisms From The Arachneophidian Qur'an
Brutal death ésotérique – Inde (Iron Bonehead Productions)

ZSK : Si comme moi vous aviez découvert Tetragrammacide avec son premier EP sorti en 2015, Typhonian Wormholes: Indecipherable Anti-Structural Formulæ, vous avez peut-être encore des acouphènes latents tant la formule du duo d’Inde est… jusqu’au-boutiste ? Baignant dans une sorte de war metal noisy et hyper brutal, les débuts de Tetragrammacide étaient assez insoutenables. Depuis, le combo s’est quelque peu assagi. Mais il faut toujours suivre leur délire, entre imagerie war metal et concept ésotérico-occulte ultra barré qui met en avant un paquet de divinités orientales et toute la panoplie attenante.

Et la musique alors ? Tetragrammacide a fini par devenir à peu près écoutable depuis son premier album Primal Incinerators Of Moral Matrix (2017), abandonnant petit à petit l’influ war metal pour partir vers un death/black toujours très offensif mais bien plus digeste. Avec son deuxième album, Tetragrammacide évolue encore et se dote d’une production certes bouillonnante et abrasive mais beaucoup moins bruitiste. Les Indiens se calment un tantinet, mais pas sur leurs thématiques encore plus poussés qu’avant, au sein de ce Typho-Tantric Aphorisms From The Arachneophidian Qur’anaux noms de morceaux à rallonge remplis à ras bord de références ésotériques et de néologismes en pagaille, et qui déclencheraient même un AVC à Nile. Eximperitus est largement vacciné par contre…

Au programme, trois quarts d’heure d’un death assez brutal, particulièrement blastant et ce dès les premières mesures de « Spectral Hyaenas of Amenta Howl, The Vulture of Ma’at Descends, And Tahuti Watches Without His Ape » (ouf). Typho-Tantric Aphorisms From The Arachneophidian Qur’an est un album assez monolithique juste aéré par quelques moments d’ambiances orientales (et vrais interludes), qui ne débande que rarement même si on a déjà entendu plus violent. Il faut donc rentrer aussi dans le délire, qui évoque de multiples influences jusqu’aux leads bien possédés ici et là. Typho-Tantric blablabla est à prendre comme un gros pavé, avec un unique chant rocailleux et seulement agrémenté de quelques moments plus techniques notamment pour un « One Who Weaves the Chthonic Garland of 52 Skullphabets Severed by the Swords of Neti-Neti ». Sacrément givré mais plutôt réussi et parfaitement écoutable contrairement aux débuts franchement chaotiques, ce deuxième opus de Tetragrammacide est plus qu’intéressant. Même si on ne comprend pas bien ce qui se passe dans leurs têtes, parfois.

 

Vastum – Inward to Gethsemane
Death old-school – USA (20 Buck Spin)

Pingouin : Le cinquième album de Vastum est un petit écrin d'agression death metal comme il en sort des dizaines chaque année désormais. Seulement avec 13 ans de carrière au compteur, et la stabilité qui va avec, le groupe de Leila Abdul-Rauf et Daniel Butler a peaufiné son art à un point impressionnant, preuve en est avec cet Inward to Gethsemane.

Le registre est celui du mid-temp de mastodonte, dans lequel Vastum déroule ses riffs sans précipitation. Certaines fulgurances sont incroyables (« Stillborn Eternity »), et les morceaux qui ne sont pas de cette trempe suintent l'ambiance standard d'un classique du death : compositions poisseuses et granuleuses, avec ce duo de voix si complémentaires. La noirceur de certaines chansons (« Vomitous ») évoque Teitanblood, certains breaks rappellent naturellement Obituary. Pas la peine pour autant de se perdre en name-dropping : c'est du Vastum et ça tue. Le break dissonant au mileu de « Corpus Fractum » fait office de climax à cette ambiance grinçante et c'est parfait.

Vastum est un nom bien installé dans la tête des amateur-ices de death metal aujourd'hui, et c'est peut-être avec cet album qu'on finira par se rendre compte de leur aura sur le genre.

 

Stortregn – Finitude
Death metal mélodique – Suisse (The Artisan Era)

Michaël : Stortregn est un digne représentant de la scène metal suisse. On raille souvent – gentiment le pays pour son calme plat et la mort de sa scène musicale, mais il s’agit en fait d’un cliché assez éculé tant, au final, le pays est pourvoyeur de quelques très bons groupes, dont Stortregn fait partie. Avec son black/death mélo qui lorgne vers le death technique, le groupe poursuit son chemin entamé en 2006, qui l’avait conduit à sortir un excellent album il y a tout juste deux ans (Impermanence, sorti en 2021).

Alors forcément, on avait hâte d’écouter ce Finitude, sorti chez The Artisan Era le 13 octobre dernier, pour savoir si Stortregn parviendrait à maintenir ce nouveau standard de qualité. Autant couper court à tout suspense : ce nouvel opus m’a mis une belle claque : rapide, agressif et peut-être plus varié que les précédents opus. Si le groupe continue dans sa lignée de titres techniques, mélodiques, où le travail sur les compositions et les lignes de guitare est primordial, ce nouvel album apporte à mon sens une nouvelle dimension à la carrière du groupe. Le soin apporté à des titres comme « Ghosts of the Past » et « Grand Nexion Abyss » (qui confine à une OST un peu vénère) en est le plus flagrant témoin. Même lorsque l’on retrouve des classiques du groupe à savoir des leads de guitare bien pensés et des passages acoustiques, le groupe pousse le vice jusqu’à nous offrir un break flamenco sur le titre « Xeno Chaos ».

Au fond, là où Impermanence était bluffant par son homogénéité et une qualité hors du commun, ce Finitude pêche parfois à rester cohérent par un trop-plein de technicalité, mais offre des hauts à mon sens inégalés à ce jour par le groupe. Quoi qu'il en soit, cet album est à écouter de toute urgence si vous ne l’avez pas déja fait !

 

Wormhole – Almost Human
Slam Tech – USA (Season of Mist)

Storyteller : Wormhole annonce la couleur venue de l’espace directement en se présentant : ils donnent dans le « slam tech », un mélange étrange de tech death et de slam death. Mais comment mixer un genre pour lequel aucun neurone n’est requis avec un autre pour lequel on utilise seulement son cerveau ? Almost Human essaye de répondre à cette quadrature du cercle de metal. Alors déjà, ça va vite, 26 minutes et l’affaire est jouée, pas le temps d’en faire trop. Huit morceaux de trois minutes maximum, ça envoie et on a compris qu’il n’y aura pas de progressif sur l’album. Puis le chant ne trompera personne, c’est bas, c’est grave, c’est gras, c’est bien slam death. Ça vous dégouline dans les oreilles. Et puis les rythmiques vont vous rouler dessus, « Delta Labs » blaste, ou sort des breakdowns sauce tech, avec des petites touches surprenantes. Mais cela reste quand même un gros coup de tatane dans la gueule.

Parfois le rythme s’emballe comme sur « Black Teeth Fungus » ou « Spine Shatter High-Velocity Impact » et l’on s’approche dangereusement du brutal sans concessions. On remarquera la finesse des titres qui est assez révélatrice du concept. Alors on ne va pas se mentir, le côté tech est assez dilué dans le bordel ambiant et la compatibilité avec le slam est parfois discutable. Il se trouve sur des finesses, notamment sur la batterie qui sait poser des grooves vraiment bénéfiques, puisqu’ils aèrent des passages quand même mega lourds. « The Grand Oscillation » pose une grande respiration en ralentissant le rythme pour fermer l’album et on y découvre un aspect de Wormhole qui permet à Almost Human de dépasser les simples limites d’un album de bourrins. Un mélange qui mérite de s’affiner dans l’avenir.

 

Dyssebeia– The Garden Of Stillborn Idols
Death melotech – Suisse (Transcending Obscurity)

Storyteller : Il m’aura fallu du temps pour acquérir l’orthographe de ce groupe Suisse qui nous propose avec The Garden Of Stillborn Idols leur premier album. Pour référence, Dyssebeia est une divinité associée à l’impureté. Mais ici, on donne plutôt dans le death avec des liens qui vont vers le technique et surtout le mélodique. Huit titres, presque quarante-cinq minutes, des morceaux à la consistance solide. On a là un album qui va nous donner des choses complexes à écouter et le groupe a su donner beaucoup de couleurs à la musique. En effet, même s’ils ont la volonté de se rapprocher du death technique, on a beaucoup de moments très agressifs comme les blasts de « Moon Bearer » ou de « Hatch » accompagnés d’un riff rapide et vraiment percutant. Donc pas de démonstration inutile, on a plutôt quelques passages sur lesquels la finesse de la batterie donne une couleur plus technique. De plus leur côté death mélo transpire tout au long de l’album. On y verrait même des liens avec la frange plus portée sur l’extrême, avec un chant très écorché et des riffs qui flirtent avec la limite. On prend pas mal de plaisir à écouter cet album qui est assez varié avec des morceaux assez intenses comme « Funeral Ink », très équilibré ou « Mors Tua, Via Mea » bien plus mélodique, qui fait rentrer l’auditeur dans l’album dans les meilleures dispositions. Un premier essai convaincant dans une frange qui n’est pas sur-représentée et dans laquelle Dyssebeia sait évoluer avec talent.

 

Sulphur Aeon – Seven crowns and Seven seals
Blackened death – Allemagne (Van Records)

Malice : Au départ classé dans le folder « Behemoth-like » avec ses débuts en forme de rouleau compresseur, SulphurAeon a depuis évolué. Du black-death comme c'était la mode à l'époque des énormes Swallowed By The Ocean’s Tide et surtout Gateway To The Antisphere, on est passé à quelque chose de bien plus mélodique sur The Scythe Of Cosmic Chaos (2018). Le résultat n'était pas fort mémorable, et en live, les extraits du dernier album tenaient mal la comparaison avec leurs prédécesseurs. On se demandait donc dans quelle voie allait évoluer le groupe. Et plutôt que de revenir à la sombre puissance de ses débuts, SulphurAeon continue dans la voie d'un death franchement mélodique. J’avais trouvé assez aberrante l'inclusion de leur Swallowed By The Ocean’s Tide à notre top des 2010s dans la catégorie death mélo ; elle était peut-être prémonitoire.

Avec une différence, tout de même, par rapport à The Scythe… : cette fois, ça marche. Dès « Hammer of the Howling Void » et son refrain catchy, on est pris dans cette incantation aux Grands Anciens, dont les textes ont quand même tout d'un bingo Lovecraft - mais c'est aussi cette ambiance répétitive créée par le texte, tournant autour de beaucoup de termes semblables, qui accroche. Assez court (45 minutes), Seven Crowns & Seven Seals réussit le pari d'être efficace tout en prenant le temps de poser ses ambiances. Le chant clair encore un peu bancal divisera, mais est cette fois bien plus assumé et est quasi-majoritaire sur « The Yearning Abyss Devours Us ». Signe des temps : c'est peut-être bien le morceau le plus direct de l'album, « Arcane Cambrian Sorcery », qui me paraît le moins convaincant. A contrario, le mid-tempo éponyme est une surpuissante invocation qui rappelle le « Ov Fire & the Void » de Behemoth, mais là encore, le chant clair débarque assez vite. Autrement dit : si vous vouliez que les Allemands reviennent à leurs premières amours, c'est raté, mais ils ont peut-être bien trouvé leur voie pour de bon. 

 

Autopsy – Ashes, Organs, Blood and Crypts
Death metal – USA (Peaceville)

Sleap : Depuis 2010 et son magistral retour d’entre les morts avec l’EP The Tomb Within et le full-length Macabre Eternal (toujours le plus grand comeback de l’histoire du death metal), Autopsy n’a jamais été aussi actif. Avec une moyenne d’un album tous les deux ans et une ribambelle d’EPs, singles, lives et compilations en tous genres, la bande à Chris Reifert déborde à nouveau de vitalité. Cependant, si la qualité était évidemment au rendez-vous, il y avait depuis 2013 un léger coté pilote automatique. Mais avec ce Ashes, Organs, Blood and Crypts, Autopsy vient nous infliger une déculottée que personne n’avait vu venir !

Dès l’ouverture en trombe sur « Rabid Funeral » (déjà un tube incontournable), le ton est donné. Skank beat effréné saupoudré d’un riffing ultra accrocheur, accompagné d’une épaisse basse et même quelques subs bien sentis. Toute cette frénésie est bien sûr contrebalancée par de nombreux ralentissements de tempo bien plombants comme seul Autopsy sait le faire, à l’image de « Well of Entrails ». Morceau qui rappelle parfois l’atemporel Scream, Bloody Gore de Death (album sur lequel officiait justement Chris Reifert) avec cette fameuse utilisation de la gamme mineure harmonique. Mis à part une incartade Kyuss-like totalement improbable au début du titre éponyme, ce nouvel album fourmille d’idées. En témoignent les nombreux leads et soli hyper fluides qui parsèment ces onze titres (« Lobotomizing Gods » ; « Death is the Answer » ; etc.).

Mais ce qui marque le plus à l’écoute de ce nouvel effort, c’est bien l’ardeur de Chris Reifert. Le légendaire batteur-chanteur se fait plus rageur que jamais ! En plus d’une frappe vigoureuse pour un vieux briscard de 54 ans, son grunt monstrueux est complété par de nombreux shrieks, voire hurlements, totalement possédés : on pense notamment à « No Mortal left Alive » ou encore à « Death is the Answer » avec ses "death, death, deeeaaath !!!" scandés en intro. En plus des références cinéma bis assumées, la théâtralité live de Reifert est même reproduite en studio avec cette hilarante quinte de toux lors du brûlot punk « Toxic Death Fuk » pour un résultat Repulsion-like du plus bel effet. Je n’épilogue pas, ce Ashes, Organs, Blood and Crypts condense tout ce qu’Autopsy sait faire de mieux et se révèle être le meilleur album depuis Macabre Eternal. 2023 est décidément un très grand cru pour les groupes vétérans du death américain !