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jeudi 7 septembre 2023

Sortilège, la renaissance ? : « Au début, j'ai voulu forcer ma voix »

Sortilège

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Un nouvel album de Sortilège, en 2023, voilà qui était inimaginable il y a quelques années. Le retour de Christian « Zouille » Augustin au micro pour quelques concerts événements en 2019, après 33 ans de séparation, n'avait en effet amené qu'à une nouvelle séparation... mais revoilà Zouille, entouré d'un tout nouveau line-up, portant le seul étendard encore en activité estampillé Sortilège et publiant Apocalypso avant une « vraie » tournée.

Bien sûr, il y a eu polémique, et tout le monde n'est pas ravi de cette scission « à la Queensrÿche » - mais en inversé, un peu comme si Geoff Tate avait gardé le nom du groupe plutôt que la mouture Todd La Torre. Mais c'est bien avec le Sortilège nouvelle mouture, soit avec Zouille et tous ses compères, que Horns Up s'est assis pour discuter.

***

Bonjour à tous ! Ma première question porte sur Apocalypso, qui est sorti depuis quelques mois... Quels ont été les retours, et y avait-il de l'appréhension à sortir un nouvel album de Sortilège après tout ce temps ?

Christian « Zouille » Augustin : Les retours ont été très positifs ! Disons, à 98%. Maintenant, bien sûr qu'on avait des appréhensions, car certains morceaux étaient plus modernes, un peu plus durs que ce à quoi on avait habitué les gens avec Sortilège... Mais ça a très bien fonctionné. Mieux qu'on le pensait, même, pour les morceaux auxquels je fais référence.

C'était une volonté claire, de ne pas juste revenir avec du « old school » mais d'intégrer des influences plus modernes ?

Olivier Spitzer (guitare) : Oui, oui, clairement.

Je m'adresse maintenant au reste du groupe : à quel point composer un album de Sortilège, publier un nouvel album 37 ans après Larmes de Héros, a été difficile ? Est-ce que vous avez ressenti la pression du nom ?

Sébastien Bonnet (basse) : Ce sont surtout Bruno et Olivier qui vont te répondre à ce sujet, puisque ce sont les deux principaux compositeurs – avec Christian. Clément (batterie) et moi avons surtout interprété. Mais pour te répondre à titre personnel : je suis fan de Sortilège depuis que je suis gamin, alors ne serait-ce qu'être dans le groupe... C'était énorme. Composer et jouer de nouveaux morceaux, c'est encore plus énorme. Jouer des classiques, c'est une chose, mais faire partie, espérons-le, de nouveaux classiques épiques de Sortilège... Il y avait beaucoup d'excitation, et d'appréhension, bien sûr.

Bruno Ramos (guitare) : Pour moi, le plus compliqué a été ce jeu d'équilibriste entre intégrer mon style et mes nouveaux soli (Bruno faisait partie du groupe de power progressif Manigance de 1998 à 2020, nda), tout en respectant le style de Stéphane Dumont (guitare, 1980-1986). Mais j'avais déjà eu l'occasion de me faire la main durant le « tribute ». J'ai ensuite pu y travailler avec Olivier et Zouille et petit-à-petit, ce réajustement s'est fait.

Une nouveauté de cet album, ce sont les featurings (avec Stéphane Buriez de Loudblast et Myrath). Comment est-ce venu ?

Olivier : Ça n'était pas vraiment calculé. On avait eu l'occasion de faire un featuring en live avec Bubu (Stéphane Buriez, nda) sur « Gladiateur », et comme on avait vraiment apprécié sa voix gracieuse et mélodique (rires), on a composé un morceau tout aussi gracieux, à savoir « Attila ». On en a profité pour qu'il pose aussi sa voix sur « La Parade des Centaures », mais ça s'est fait assez spontanément. Le premier duo avec Myrath, sur « Les Portes de Babylone », a été suggéré par la maison de disques mais ils ont ensuite participé au morceau « Apocalypso ».

Le feat avec Myrath sur « Les Portes de Babylone » sonne assez naturel, ce côté orientalisant colle plutôt bien aux atmosphères habituelles du groupe.

Oui, c'est un peu une suite ou un dérivatif de « Marchand d'Hommes », en allant un peu plus loin.

Vous avez désormais 10 nouveaux morceaux ; comment composer la setlist, entre classiques et nouveaux titres ?

Festival après festival, date après date, on va beaucoup la varier !

Zouille : Franchement, ça dépend. Par exemple, ce soir (au Motocultor, nda), on nous a dit que comme c'était un public assez metal, il fallait des morceaux plus durs, on a donc adapté la setlist en conséquence...

Je ne suis pas sûr que ce soit forcément nécessaire ce soir, pourtant !

Ouais, je sais ! Moi, j'aurais aimé joué une ballade, mais il n'y en aura pas... Malheureusement, on nous a conseillé de faire un set un peu plus lourd (conséquence : pas de « Délire d'un Fou » ou de « Mourir pour une Princesse », nda)... Par contre, on essaiera toujours de promouvoir le dernier album et de faire, disons, moitié-moitié.

Beaucoup de groupes qui sortent un album jouent le dernier single  « juste pour dire », puis font les vieux titres que tout le monde attend...

Olivier : Ce n'est pas notre cas. On force même un peu avec le dernier album (sourire).

Est-ce que vous constatez un renouveau dans le public récemment ?

Sébastien : On a toujours eu des jeunes dans le public, il y a toujours eu de jeunes fans de Sortilège. Mais ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que certains viennent avec leurs enfants aux concerts. Les gosses ont tellement entendu Sortilège dans la voiture des parents, ils sont habitués. Et il y a des gamins de 18-20 ans qui aiment vraiment Sortilège, c'est bon signe !

Christian, cette question est pour toi : à l'époque, tu avais clairement dit que le milieu du metal, tu en avais ta claque et que tu n'y remettrais pas les pieds. Maintenant que tu es revenu « pour de bon », tu as fait la paix avec tout ça ?

Zouille : Ce qui me réconcilie avec ce milieu, c'est les gens avec qui je travaille. J'étais parti fâché à l'époque, et quand je suis revenu plus de 30 ans après, avec les mêmes gars, eh bien... j'étais toujours fâché (sourire). Ça n'a pas marché, c'est comme un couple qui s'est disputé et essaie de se rabibocher. Ça ne marche pas. Quand le groupe s'est séparé une seconde fois, je voulais vraiment arrêter pour de bon. C'est Olivier qui a insisté, m'a dit qu'il fallait qu'on essaie. Il m'a convaincu.

Aujourd'hui, il y a aussi une différence générationnelle au sein du groupe...

Sébastien : Ouais, on a un petit jeune (il pointe le batteur). Il a la moitié de l'âge de Christian !

Zouille : Eh, oh, quand même pas... (à Clément Rouxel) : T'as quel âge ?

Clément Rouxel (batterie) : Je viens d'en avoir 39 (rires).

Zouille : Ben voilà, j'en ai pas 80 hein (rire général).

Comment ça se vit au quotidien dans un groupe, une telle différence de génération ?

Clément : Je vais te dire une chose, pour moi, c'est vraiment très agréable... parce que je me retrouve avec des personnes qui ont vraiment besoin de confort (éclat de rire général). Non mais vraiment, moi, avec mes groupes (notamment T.A.N.K. , nda),j'avais l'habitude de faire 700km en van, puis de ne pas avoir de douche, de dormir sur un tapis au sol... Ici, c'est cool, parce qu'on demande un minimum, quoi. Une douche, un plumard...

Parce que le « nom » Sortilège s'accompagne d'un statut qui permet ces demandes, aussi...

Clément : Oui, oui... mais quand tu es plus jeune, tu t'en fous, en fait. Tant que t'as une bière à l'arrivée. Ici, c'est différent. Après, si ta question porte sur nos différences de goûts musicaux, par exemple, c'est vrai que j'ai des goûts plus modernes, mais je crois que c'est aussi ce que Zouille recherchait, car il me demande souvent de jouer des plans plus modernes.

Zouille : Exactement. Puis, c'est aussi une façon pour nous de rester un peu à la page. Et l'avantage d'avoir quelqu'un de jeune dans le groupe, c'est qu'on est sûr qu'il ne va pas nous claquer entre les doigts (rires).

Le sujet de l'âge, Christian, m'amène à ma question suivnate. Pendant toutes ces années, tu as fait du gospel, mais ce n'est pas exactement du metal. Comment sens-tu ta voix désormais, te sens-tu prêt à enchaîner des dates ?

On n'a pas encore fait de vraie tournée depuis la reprise donc... Je ne sais pas !

Olivier : On sent quand même qu'il y a eu une réelle montée en puissance sur le plan vocal.

Zouille : Je me suis senti de plus en plus à l'aise, et je travaille beaucoup plus ma voix aujourd'hui qu'à l'époque. Ma voix, elle est prête ; pour une tournée, ça va le faire. Mais je ne pense pas que je saurais faire 20 dates sans m'arrêter, ça non. Après 2-3 jours d'affilée, il me faudra un break de 2 jours, par exemple.

À quel point as-tu adapté ta voix ces derniers temps ?

Chaque morceau de Sortilège a été baissé d'un demi-ton, pour me permettre d'accéder à certaines notes dont je n'étais plus capable.

Est-ce que t'as essayé de forcer, au début ?

Bien sûr ! Ce qu'il ne faut surtout pas faire. C'est comme si tu avais été fort au tennis et que tu reprenais après 20 ans d'arrêt, en voulant rejouer de la même façon. Ça ne va pas marcher, tu vas juste te péter.

Quand on force, c'est par égo, pour se dire « je suis toujours le même », ou plutôt pour combler les attentes des fans ?

C'est plutôt ça, oui, pour répondre aux attentes des fans. Tu sais, à mon âge, on se connaît, on sait qui on est, ce qu'on vaut, on n'a plus vraiment à se le prouver. Même si je découvre encore de nouvelles choses avec ma voix, j'expérimente...

Olivier : Il y a l'érosion inévitable des notes aiguës, que tout le monde a bien sûr remarqué, mais ça a aussi amené ces notes graves, ce graillon qui n'était pas là à l'époque. Ça a été travaillé aux répétitions, pour ne pas que Christian se fasse mal aussi. De toute façon, sa voix très aiguë, elle n'est plus vraiment là, et le style des nouveaux morceaux s'adapte à ça. C'est plus agressif, il y a ce côté... « mélodico-graillon » (sourire).

Au début de la reformation, une vocaliste, Lynda, te soutenait sur certaines dates, notamment au Keep It True. Je trouvais ça assez réussi. Est-ce que c'est encore au programme ?

Zouille : Non. Lynda m'a beaucoup aidé et soutenu au début, justement, pour aller chercher ces notes que moi, je ne savais plus faire. Mais depuis, j'ai fait ma paix avec ça : je ne sais plus aller les chercher, c'est comme ça, pourquoi s'en faire ? On a tout baissé d'un demi-ton, ça n'a plus lieu d'être.

Pour clore, comme à notre habitude, je vais vous demander ce qui tourne chez vous pour le moment, vos écoutes personnelles...

Zouille : Qui commence ? (à Sébastien :) Qu'est-ce qui tourne chez toi ?

Sébastien :Papa Roach, comme depuis 30 ans ! Falling in Reverse parce que c'est le meilleur groupe du monde... avec Nothing More. Voilà. Étonnant, hein ? (rires)

Zouille : Moi, c'est Winger. Et au risque d'en choquer, j'écoute énormément de metal à breakdowns pour le moment...

Clément (devant mon regard médusé) : Il parle de trucs très violents avec ce qu'on appelle des moshparts, des instrus hyper violentes... mais juste l'instrumental (rires).

Zouille : Ah oui, par contre, dès que la voix arrive, c'est mort ! Mais je trouve les instrumentaux d'une puissance assez folle, j'adore ça.

Clément : Je suis souvent assez sidéré parce que Christian m'envoie des trucs super gras en accordage zéro, ce genre de choses... Moi, je suis fan de trucs très modernes qui pètent un peu l'internet en ce moment comme Lorna Shore. Mais si je lui mets ça, il suffit qu'il entende le chant et il m'envoie l'enceinte au visage...

Exclusif, il y aura donc des breakdowns dans le prochain Sortilège...

Olivier : Le pire, c'est que c'est possible... (rires). Moi mon truc, en ce moment, c'est Elegant Weapons, un supergroupe avec Richie Faulkner de Judas Priest, Ronnie Romero de Rainbow et avec le batteur d'Accept.

Bruno : Personnellement, en bon guitariste soliste, j'écoute de la musique instrumentale, des gratteux, tout ça, c'est vraiment mon truc. Ça, et Sortilège, bien sûr (rires).

Je me demande bien si certains s'écoutent eux-mêmes au premier degré, tiens...

Zouille : Je t'assure qu'il y en a ! Pas moi, je m'écoute déjà des heures par jour pour répéter, je ne ressens pas le besoin d'écouter du Sortilège pour me détendre (rires).

 

Merci à Angie et au Motocultor pour avoir rendu cette interview possible, ainsi qu'à Sortilège pour leur disponibilité et leur sympathie.