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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

Alcest

Ecailles De Lune

LabelProphecy Productions
styleShoegaze - Black Metal
formatAlbum
paysFrance
sortiemars 2010
La note de
U-Zine
9.5/10


U-Zine

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Alcest est le projet de Stéphane (alias Neige, ex-Peste Noire), dans lequel est aussi embarqué Winterhalter à la batterie, qui a côtoyé Neige dans tous ses groupes. Mais encore l’année dernière, il existait une dualité AmesoeursAlcest, deux projets de Neige. Une fois celle-ci annihilée, ce dernier a pu entièrement se consacrer à Alcest en 2010. C’est un groupe spécial car après avoir débuté dans un raw black metal normal, une voie différente a été empruntée : celle du shoegaze (post rock, dream pop, musique psychédélique). Le résultat a été applaudi lors de la sortie du précédent album, Souvenirs D'Un Autre Monde, alors voyons si ce nouvel album, Écailles De Lune, est du même acabit ?

Tout d’abord, la pochette, œuvre de Fursy Teyssier (Les Discrets, Amesoeurs), est parfaite pour illustrer l’album : la lune et l’océan (« écailles ») sont présents, le ciel est mi-aquatique, mi-céleste, et une voûte (pas céleste) fait office de fenêtre d’observation pour nos yeux. Mais aussi, les couleurs bleues et blanches sur fond noir ont un effet apaisant et renvoient inévitablement à l’intimité, la nuit. Au premier plan, une jolie sirène veille sur un jeune homme endormi. Elle l’enveloppe de ses longs cheveux pour le protéger des monstres aquatiques passant derrière, et pour le réchauffer. L’idée des cheveux utilisés comme couverture est très originale et bien pensée. Voici là l’une des plus belles pochettes de cette année 2010.

Ensuite, musicalement, nous ne sommes pas déçus, loin de là ! Le début, composé de deux titres éponymes, « Écailles De Lune - Part I » et « Part II » sont tout simplement magnifiques. Le premier ressemble beaucoup à ce que proposait Amesoeurs, mais cette fois-ci, sans Audrey Sylvain en chant clair. Son break atmosphérique à partir des six minutes est formidable, laissant place à une nouvelle partie sur les chapeaux de roue. Alcest nous plonge alors dans des profondeurs abyssales agitées : c’est le côté Peste Noire qui a ressurgi. C’est aussi ce que semble dire le deuxième « Écailles De Lune », très black metal après un début aquatique au sample de vagues qui s’échouent sur la plage. La voix de Neige est ici celle de l’ensorceleur endiablé et le morceau s’avère être plus rapide. Structurellement parlant, la partie II est l’inverse de la partie I : le second morceau s’assagit au fur et à mesure pour nous signifier qu’on a attend la destination finale du voyage tumultueux : le fin fond de l‘océan.

Puis, une des forces d’Alcest est que le groupe a ce pouvoir de nous plonger dans un état dépressif, mais cette dépression est joyeuse… C’est comme si on écoutait l’album en pensant aux meilleurs souvenirs passés avec l’être cher qui nous manque. Le morceau qui illustre le mieux cela semble être le dernier : « Sur L’Océan Couleur De Fer ». Celui-ci, très lent et calme, en chant clair très doux, sans distorsion à la guitare et sans batterie (à part des percussions discrètes), nous berce dans un landau de nostalgie, de beauté, de rêve et d’amour. Tout est renforcé par la voix hypnotique de Neige, avec beaucoup de réverbération, qu’il n’hésite pas à superposer avec d’autres voix suaves plus aiguës. Winterhalter quant à lui a accompli un très bon travail : il est difficile de ponctuer à la fois des passages black et d’autres ambiants et post rock. Il a réussi à le faire.

Aussi, Alcest a placé un interlude au milieu de l’album : « Abysses », composé par Fursy Teyssier, pour faire une pause musicale. En fait, il ne s’agit pas d’une pause, puisque ce petit passage sans chant reste dans la lignée lexicale et thématique de l’album : il pourrait facilement faire partie du film « Le Grand Bleu » ou illustrer un documentaire sur les fonds marins. Il a tout de même un côté mystique assez prononcé. Par contre, il n’y a pas de mystère pour le morceau « Percées De Lumière », puisqu’il n’est pas inconnu pour les fans du groupe : il était présent dans le split Les Discrets / Alcest, datant de novembre 2009. Cette percée musicale lumineuse possède une musique entraînante, mélodique et hybride. Un fan de black metal pur va sûrement trouver difficile la digestion de ce morceau, même si une partie du titre est en chant criard.
Enfin, tous les textes de l’album sont en français, comme sur le premier album Souvenirs D’Un Autre Monde, sauf deux mots : « Solar Song », un morceau sans paroles mais chanté. Le shoegaze est aussi efficace avec ce genre de chant évasif, sans articulation et ponctuation. Pour l'album, ce choix du parler français peut être critiqué, mais on a aussi le droit de penser que notre langue se prête bien à la mélancolie, au spleen. De plus, les textes sont harmonieux, agréables à lire et ont eux aussi cette capacité à nous faire nous évader.

Pour clore notre plongée et notre exploration d’Écailles De Lune, on peut dire qu’Alcest nous a présenté là une vraie réussite. C’est la recette gagnante de Neige, qui a su évoluer au fil des années, voyager dans d’autres styles musicaux que le black metal et créer une alchimie musicale unique. Sa principale force est qu’il a la faculté de créer des réactions émotionnelles très fortes en nous, mais aussi, il est magnifiquement composé et produit. Nous nous retrouvons à mille lieues de chez nous dès les premiers accords du disque, pendant 42 minutes. On se rend même compte que c’est plus que ça en fait, car il semble difficile de sortir de l’album une fois qu’il est terminé. Comme la trouvaille de Kino, dans La Perle de John Steinbeck, on se retrouve avec Écailles De Lune dans ses filets de pêche. C’est peut être l’une des plus belles perles de cette année. Attention, bijou !

1. Écailles de Lune (Part I)
2. Écailles de Lune (Part II)
3. Percées de Lumière
4. Abysses
5. Solar Song
6. Sur L'Océan Couleur de Fer

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