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Album

12 février 2018 - ZSK

Monolithe

Nebula Septem

LabelLes Acteurs de l'Ombre
styleDoom Metal
formatAlbum
paysFrance
sortiejanvier 2018
La note de
ZSK
8/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Pendant bien des années, Monolithe avait une certaine marque de fabrique, qui est d’ailleurs présente jusque dans son propre nom. La marque du Doom monolithique, inspiré par l’œuvre de Stanley Kubrick, qui avait donné naissance à quatre albums sortis entre 2003 et 2013 tous constitués d’un seul et unique morceau d’une cinquantaine de minutes. Quatre albums qui constituaient autant de tours de force, l’apogée ayant été atteinte sur Monolithe III (2012) qui avait mis 7 ans à sortir après le déjà très original et réussi Monolithe II (2007). Il faut en avoir dans la caboche pour pondre des albums constitués d’un seul mouvement de 50 minutes, même dans le domaine du Doom où être répétitif et lancinant n’est pas un crime (c’est même un gage de qualité), et Monolithe est parvenu à le faire quatre fois. Le concept était prometteur, il avait fini par s’essouffler à l’occasion d’un Monolithe IV (2013) un peu en-dessous où le schéma de composition du groupe en arrivait peut-être à ses limites. Monolithe aurait néanmoins pu continuer sa performance en retrouvant de l’inspiration et de nouvelles idées, mais il a choisi d’abandonner les chiffres romains et d’évoluer. Si les EPs Interlude Premier (2007) et surtout Interlude Second (2012) - qui reste pour moi une des sorties les plus remarquables du groupe - avaient permis à Monolithe de s’essayer à un format de composition moins étendu sur le temps, il a embrassé cette voie plus « concise » à l’occasion du diptyque Epsilon Aurigae (2015) - Zeta Reticuli (2016), tous deux composés de trois morceaux de 15 minutes chacun, parce que Monolithe c’est conceptuel et c’est carré. Une version plus digeste de son art, sans renier ses particularités, son ambiance, son Doom noir et apocalyptique, avec quelques nouveautés et petites idées au passage (comme les deux instrumentaux "TMA-0" et "TMA-1" ou bien sûr le surprenant chant clair sur le magnifique "The Barren Depths"). Et maintenant, que vont-ils faire ?

Nouveau label, nouveau chanteur, nouveau départ pour Monolithe. Nebula Septem va à nouveau trancher avec les schémas que l’on avait vu de leur part pour Monolithe I à IV et pour Epsilon Aurigae et Zeta Reticuli. Plus il avance, plus Monolithe raccourcit ses compositions, l’univers du groupe n’est pas en expansion, il se compresse… Et Monolithe sera toujours un groupe qui fait dans la perfection et le souci du détail. Le groupe en est arrivé à un format « normal » pour du Doom Metal même si Epsilon Aurigae et Zeta Reticuli avec leurs morceaux de 15 minutes se situaient dans les standards du Funeral Doom - une étiquette que le groupe a toujours rejetée. Mais comme il faut bien faire les choses, Nebula Septem nous propose des morceaux faisant tous exactement 7 minutes, pas une seconde de plus ou de moins. Et mieux encore… 7 morceaux, 7 minutes chacun, 7ème album, « Septem », Monolithe ne laisse rien au hasard. On remarque même que les noms des morceaux, qui n’ont rien de particulier au premier abord, suivent l’ordre alphabétique de A à G, comme la discographie de Morbid Angel… Les détails sont importants et l’ont toujours été chez ce groupe, même lorsqu’il faisait des morceaux de 50 minutes, où il y avait déjà des cassures savamment étudiées, que l’on retrouvait d’ailleurs encore subtilement au sein de Epsilon Aurigae et Zeta Reticuli. Mais cette fois, malgré tout, Monolithe s’est moins pris la tête, avec des morceaux encore plus digestes, facilement identifiables et mémorisables. Monolithe ne devient pas « pop » et son style reste reconnaissable entre mille, mais il s’exprime désormais sur un format plus accessible, et en profite finalement pour y mettre encore plus de richesses. Nebula Septem est donc une nouvelle étape du voyage astral de Monolithe, où la formation se dévoile sous un jour nouveau, avec de nouvelles accroches.

Pour les détails plus terre-à-terre, on notera que le groupe a connu une évolution majeure de son line-up avec le départ du chanteur Richard Loudin, qui avait officié sur toutes les sorties du groupe jusqu’ici à l’exception de Interlude Premier où Laurent Desvignes (Amphitryon) avait tenu le micro. C’est Rémi Brochard (Ethmebb) qui le remplace et qui s’occupera aussi de quelques guitares, mais le remplacement de Richard Loudin s’était fait à la hâte et en attendant, le groupe a du embaucher un chanteur de session pour l’enregistrement de Nebula Septem. Et c’est pour moi la cerise de gâteau de cet album, les growls sont ici tenus par Sébastien Pierre de Fractal Gates, Enshine et Cold Insight. Un excellent choix tant ses growls sont parfaits pour l’art de Monolithe, et il livre d’ailleurs ici une des meilleures performances, dans la lignée de Beyond The Self de Fractal Gates et Further Nowhere de Cold Insight, annonçant d’ailleurs du bon pour le nouvel album de Fractal Gates à venir. Il aurait même pour moi été le choix idéal pour le poste de chanteur à plein temps, sans faire injure à Rémi Brochard qui est tout de même au micro pour "Delta Scuti" et quelques backings et fera admirablement le boulot à l’avenir, tout ce petit monde étant dans la lignée des growls profonds de Richard Loudin sans qu’on ressente un réel changement. La performance de Sébastien Pierre sera donc un « one shot » mais cela ne rendra Nebula Septem que plus remarquable encore. Un album où Monolithe va pouvoir se lâcher, en en restant à l’essentiel tout en proposant des compositions plus marquantes, moins diluées au sein de morceaux longs, et des morceaux vraiment forts même si du haut de leurs quarts d’heure, les "Synoecist" et "The Barren Depths" se distinguaient déjà. Avec Nebula Septem Monolithe va donc passer un cap, celui qui de l’expérimentation musicale va le mener à du Doom Metal assez redoutable.

"Anechoic Aberration" démarre Nebula Septem de manière surprenante, avec des courts riffs rangés limite Black-Metal mais toute la panoplie habituelle de Monolithe va bien vite se mettre en place : riffs Doom pesants et légèrement dissonants, synthés sidérants, leads astraux, et bien sûr growls profonds, Sébastien Pierre montrant directement qu’il est en grande forme. Un démarrage plutôt classique dans l’absolu, mais Monolithe montre bien avec "Anechoic Aberration" qu’il a quelque peu épuré son propos pour le rendre plus direct et assimilable, avec des schémas plus simples et répétés, et surtout des passages véritablement accrocheurs, ce morceau d’ouverture se distinguant clairement par des moments où la dualité riffs/synthés devient très entêtante, de même que certaines lignes vocales. C’est surprenant pour du Doom, mais ça le fait carrément. Oui, Monolithe arrive à créer du « tube » Doom de sept minutes. Et l’excellent "Burst in the Event Horizon" le confirme, Monolithe est inspiré et en totale réussite, quelques riffs savamment dosés suffisent à créer un morceau irrésistible, le tout dans l’ambiance cosmique typique de Monolithe, avec à l’appui les nombreux leads et le fond constant de synthés, et toujours ces splendides vocaux rauques. Le groupe maîtrise son art depuis quelques années et parvient aisément à le distiller sur un format plus court qu’à l’accoutumée, avec brio et avec des moments forts (le final plus mélodique est savoureux). Certes, Monolithe ne se révolutionne pas, change surtout la forme plutôt que le fond avec quelques adaptations. "Cold Shaped Volutions" est peut-être un peu trop classique, mais le groupe excelle toujours dans la mise en place de son ambiance « Odyssée de l’Espace » et livre ici une pièce particulièrement épique, le rythme lent inhérent au Doom pose un fond déjà grandiose et les mélodies et synthés font le reste. Et en seulement 7 minutes, on ne trouvera jamais le temps long.

Monolithe n’a pas de pétrole ou d’Hélium 3 mais a des idées, et va tout de même profiter de son évolution spécifique à Nebula Septem pour innover légèrement, à la manière de ce qu’il avait fait sur Zeta Reticuli pour "The Barren Depths". Après un trio de départ relativement classique, "Delta Scuti" va permettre au groupe d’apporter quelques singularités à son Doom. Les mélodies très épiques à la "Cold Shaped Volutions" sont encore de la partie dès le début, et l’on entendra même des chœurs en chant clair. Ce n’est pas cette fois-ci qu’il y aura à nouveau du pur chant clair comme pour "The Barren Depths" mais l’art de Monolithe s’en retrouve plus éthéré, comme un vaisseau spatial serait éclairé par la lumière céleste après être passé du côté de la face éclairée de la Lune. Mais ça ne dure qu’un temps vu qu’en grand spécialiste des cassures saisissantes, Monolithe va assombrir le propos de "Delta Scuti" après seulement deux minutes, en utilisant de l’électro, des samples et des vocaux plus profonds que jamais. Le groupe retrouve donc l’esprit le plus inquiétant et apocalyptique de certaines de ses compositions passées, même si les leads sont toujours là pour éclairer le paysage. Ce quatrième morceau de Nebula Septem en devient alors bien vite une de ses compostions les plus marquantes, où lourdeur et luminosité se conjuguent à merveille. Et ce n’est pas fini vu que sur ces bases, Monolithe nous livre "Engineering the Rip", pour moi le meilleur morceau de Nebula Septem. L’ambiance y est plus originale (le break central est bien flippant), le chant de Sébastien Pierre à son meilleur (il s’autorise même quelques variations), les riffs sont mortels et les leads toujours aussi sidérants et délicieusement dissonants, le final très épique assez monumental. Monolithe est en grande forme…

Nebula Septem se clôturera néanmoins, et à nouveau, de manière relativement classique. Pour "Fathom the Deep", après un départ psychédélique, Monolithe va retrouver la forme la plus hypnotique et lancinante de son Doom-Metal, avec un riff bien pesant qui tourne en boucle, et l’effet est garanti, avec des vocaux à l’unisson et des synthés toujours aussi stellaires. Mais toutefois, "Gravity Flood" va oser la conclusion un peu surprenante, avec un long début entièrement électronique, avant que de derniers leads épiques n’accompagnent l’éloignement du Monolithe vers l’au-delà céleste, sans vocaux, et donc de manière résolument contemplative. Nebula Septem permet donc, à la fois, à Monolithe d’exprimer son art habituel sur un format plus concis mais aussi de tenter de nouvelles petites choses. On aurait d’ailleurs peut-être aimé que le groupe ose encore plus, les "Delta Scuti" et "Engineering the Rip" grâce à leurs quelques innovations étant au-dessus du lot, mais les plages plus classiques ne sont pas en reste comme "Burst in the Event Horizon" ou encore le thème entêtant de "Anechoic Aberration". Bref, Monolithe surprend sans surprendre, mais prouve qu’il a la capacité de s’adapter à tout type de format, plus ou moins long, sans se trahir ou donner dans une certaine facilité, sans renier sa personnalité ou son goût pour l’expérimentation sur base d’un Doom apocalyptico-cosmique. Et quand les musiciens sont inspirés, quand le groupe excelle dans le fond comme dans la forme (prod maison et mix/mastering par Jari Lindholm, M. Slumber et demi Enshine avec Sébastien Pierre), quand le chanteur de session était probablement le meilleur choix possible au sein de la sphère Doom française, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas. Monolithe a encore de la marge pour évoluer, pour devenir encore plus original, mais ses choix risqués s’avèrent payants à chaque fois, et Nebula Septem est un excellent album, de pur Monolithe mais en format encore plus écoutable, et ça marche du tonnerre. Le Monolithe a encore été découpé, en des morceaux encore plus petits, mais sa force demeure intacte.

 

Tracklist de Nebula Septem :

1. Anechoic Aberration (7:00)
2. Burst in the Event Horizon (7:00)
3. Coil Shaped Volutions (7:00)
4. Delta Scuti (7:00)
5. Engineering the Rip (7:00)
6. Fathom the Deep (7:00)
7. Gravity Flood (7:00)

 

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