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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

Devianz

A corps interrompus

LabelAutoproduction
styleRock
formatAlbum
paysFrance
sortiemai 2010
La note de
U-Zine
9/10


U-Zine

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7 ans bordel. Voilà déjà 7 ans que la première autoproduction des parisiens de devianz, Una duna in mezzo all’oceano s’est jetée dans le grand bain de la sphère musicale hexagonale, et depuis, comme vous pouvez le constater, l’album se trouve toujours en bonne place dans ma playlist, l’intérêt que je lui porte est quant à lui, sans cesse renouvelé, le plaisir à l’écouter, toujours aussi intact.

Depuis 7 piges, il faut bien avouer que l’on n’a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent. En 2008 est paru un EP à l’intérêt plus discutable, Les lèvres assassines, qui, s’il contenait deux nouveaux titres de qualité, qui préfiguraient l’orientation musicale à venir du groupe, proposait également une relecture d’anciens morceaux et une reprise, alors que nous nous impatientions d’entendre du nouveau matériel. Caprice d’amateur du groupe, ou éternel insatisfait qu’importe, ce n’était pas encore assez.

Puis enfin, du nouveau, en 2011 cette fois, où Trouble Amante introduisait ce que serait ce A corps interrompus, deuxième véritable album de devianz, dont l’écoute ne manquera pas de déstabiliser les fervents amateurs du rock racé du quintet. Sur le papier, rien à dire, A Corps interrompus a tout pour appâter le chaland. Esthétique épurée, guest de choix (on savait depuis quelques temps que l’immense Vincent Cavanagh du non moins immense Anathema avait collaboré sur une piste du skeud), rajoutez à cela la plus vive impatience d’entendre ce que le groupe a dans le sac après tant d’année de pratique, et vous obtiendrez l’état fébrile propre à chaque sortie très attendue.

Devianz a, pour son nouvel album, décidé de renouveler son atmosphère, et s’il conserve l’essence de ce qu’il était sur son premier skeud, il a suffisamment évolué, modifié ses contours, pour désarçonner ceux qui comme votre serviteur pensaient traverser des paysages nouveaux, mais familiers. Loin de céder à la facilité de la redite, devianz a au contraire choisi d’adopter des structures plus complexes, moins accessibles et moins immédiates. Si auparavant devianz s’imposait déjà comme un modeleur de structures, le riffing était plus percutant, plus direct. Sur A Corps Interrompus, une réelle influence Toolienne, pourtant peu ou prou évoquée par le groupe, transparaît dans les constructions progressives de certains titres, et semble carrément manifeste sur les couplets de Soleil d’encre. Cette première impression déçoit. Là où devianz se caractérisait par son approche libre d’influences, trouver un mimétisme aussi flagrant ne correspond pas à l’attente que l’on se faisait des parisiens, et le doute s’installe.

Car finalement, le changement opéré n’attend pas avant de se faire sentir, la courte introduction précédant le riff original du grinçant Des racines dans la chair, semble montrer que devianz n’est plus le même. Et l’écoute se poursuit avec l’oreille attentive mais le cœur amer du fan qui s’attendait à autre chose. Alors on laisse de côté un temps, un peu furax puis on reprend, car on sait malgré tout, que l’on a entendu de bonnes choses au cours des 59 minutes du skeud, et qu’il faut savoir aussi prendre du recul, ne jamais se montrer trop prompt à encenser ou démonter un album.

Et grand bien m’en aura pris. Une fois l’acceptation passée, et les écoutes multipliées, l’écorce d’A corps interrompus s’érode, et dévoile enfin la noblesse de sa matière. Devianz, non content d’avoir osé proposer autre chose, l’a réalisé avec panache. Si l’identité du groupe est identifiable, toujours aussi marquée par la griffe vocale angélique de Guyom Pavesi (en charge ici de la production et qui s’est déjà illustré pour son boulot sur Checkmate, Headcharger, Die on Monday etc…), l’architecture des titres est plus contrastée, les nuances du riffing se sont nettement affinées avec les ans, l’atmosphère s’en trouve enrichie, la cohésion, renforcée.
A corps interrompus, c’est un pont entre deux rives. Le groupe bringuebale entre rock progressif et univers trip-hop, a su habilement exacerber les forces qui caractérisaient Una duna in mezzo all’oceano, proposant une musique sensible et dense, renforçant son intensité par l’apparente cohérence qui règne au sein du quintet, qui, en dépit de quelques errances de line-up n’a jamais paru aussi fort qu’aujourd’hui. Plus mûr aussi, sans doute.

On se délecte des contrastes entre l’explosion rythmée de l’excellente Trouble Amante et la poésie mélancolique de l’éclatante Ton Corps n’est qu’Atome, à laquelle, nous le disions, Vincent Cavanagh a participé. L’ensemble de l’effort se déroule avec diversité mais sans à-coups, A Corps Interrompus n’est que courbes et reliefs, véritable ascenseur émotionnel qui se fait tour à tour rayonnant et nostalgique, libère autant ses énergies évanescentes qu’il distille ses tourments les plus sensibles, toujours nanti du verbe inspiré de Guyom, de sa voix cristalline qui ose le hurlement, des riffs poignants, inondés de mélancolie, soutenu par un tandem basse/batterie qui sait s’exprimer avec force quand il le faut, se faire discret quand il le doit. Dotés d’une production moins clinique, nettement plus organique que par le passé, les choix artistiques épousent avec harmonie les propos musicaux du groupe, renforcent l’univers, l’impact des morceaux et confirment la position d’esthète de devianz.
A bien y regarder, A Corps interrompus n’est qu’une succession de morceaux de grande qualité, à géométries variables. La ténébreuse Sous une lune de plomb, portée par une voix et une basse de velours, fait vibrer par sa pudeur, sa sincérité, la puissance tout ce qu’il y a de plus rock de L’alchimie des sens rappelle les grandes heures de Una duna in mezzo all’oceano, preuve que devianz est toujours devianz, la pratique, la volonté et l’ambition en plus.

Devianz aura mis le temps à sortir ce deuxième album, il a eu l’occasion de me faire vicieusement flipper, tout persuadé que j’étais d’être contraint à me consoler avec leur premier album, déjà nostalgique. Et finalement non, A corps interrompus est un album de devianz transfiguré, qui sait distiller des réminiscences et tourner son regard résolument vers l'avenir. Exception faite d’une ou deux faiblesses, qui se trouvent dans une Mute Echo Room plus faible que les autres (mal dont il faudra que le groupe arrive à se guérir), on parlerait d’un sans faute, aussi délectable que son prédécesseur.
Il n’est pas indiqué que l’album séduira l’amateur de metal, ou même celui qui se revendique comme auditeur libre. Ne s'appréciant vraiment qu'écouté dans son intégralité, ce qui est le défaut d'un qualité ou l'inverse, c'est selon, laissez donc votre intérêt vous piquer au vif, et forcez l’écoute, l’expérience s’en retrouvera accentuée et le plaisir décuplé. C’est aussi là l’apanage des grands albums, et vous auriez tort de vous priver de ce groupe si injustement méconnu.

Classieux.

1. Happiness In Frustration
2. Des Racines Dans La Chair
3. Soleil D'Encre
4. Sous Une Lune De Plomb
5. L'Instant Suspendu
6. L'Alchimie Des Sens
7. Mute Echo Room
8. Douze De Mes Phalanges
9. Ton Corps N'Est Qu'Atome feat. Vincent Cavanagh (ANATHEMA)
10. Trouble Amante
11. Lames De Sel
12. Arpeggio
13. Passion / Omission
14. En Attendant L'Aube (Bonus)

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