
Tournée d'adieu de Stray From the Path @Paris
Élysée Montmartre - Paris

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
Faire un concert à Paris à cette date n’a rien d’un acte anodin. Il y a dix ans, la musique, comme on essaie de vous en faire la promotion, dans son énergie live et toute son exubérance, a été attaquée par l’obscurantisme, lâchement et injustement. Dix ans après avoir subi la mort de 92 personnes au Bataclan, Paris continue d’aller en concert et aujourd’hui plus que jamais d’en faire une revendication politique.
Ce 13 novembre, Horns Up s’est rendu à l’Élysée Montmartre pour assister à la tournée d’adieu de Stray From the Path, au line-up costaud et pas des plus subtils, car composé d’Alpha Wolf, de Graphic Nature et de Calva Louise.
Calva Louise
Si les scènes metal extrême ont une relative inertie qui les rend faciles à suivre et maintient des codes clairs, ce n’est pas le cas du metal moderne, et particulièrement dans ses franges alternatives et metalcore. C’est aujourd’hui de très loin les chapelles qui réunissent le plus de fidèles et qui se métamorphosent à une vitesse ahurissante. Si vous aviez réussi à suivre les affaires Sleep Token, Bad Omens, voire President, vous aviez peut-être manqué la sensation Calva Louise, cumulant pourtant plus de 180 000 auditeurs mensuels.
Le groupe international, composé d’une chanteuse-guitariste franco-vénézuélienne, d’un bassiste français et d’un batteur néo-zélandais a récemment fait évoluer son identité sonore vers un metalcore alternatif, volontiers changeant et surtout inspiré des scènes alternatives sud-américaines, avec quelques morceaux en espagnol. Quand le groupe joue du metalcore, il faut admettre une grande aisance technique et même des plans progressifs, mais dont les morceaux reposent trop souvent sur des gimmicks pompiers comme les chugs djent ou les breaks appuyés.
Dans un style généralement impeccable techniquement, mais désincarné, perclus par ses codes encombrants, Calva Louise s’amuse tout de même à incorporer des influences diverses, des samples, des synthés ou même du piano tout en restant cohérent. Alors que le mix est assez brouillon sur les premiers morceaux, la sauce prend et le groupe sait se faire fédérateur, pour une salle encore loin d’être remplie. Jess Allanic, la chanteuse, très juste, adresse une pensée au micro pour les victimes du 13 novembre 2015 et « à tous les parisiens qui aujourd’hui ont un poids dans le cœur ». Alors même si c’est pas tout à fait notre tasse de thé, il faut reconnaître à Calva Louise une solide présence scénique, tant dans la prestation metal que dans l’énergie mélodique, et une pertinence impressionnante pour un groupe qui a autant changé de style.
Setlist :
Tunnel Vision
Third Class Citizen
El Umbral
Impeccable
Hate in Me
Aimless
Oportunista

Crédit photo : Amélie Jouchoux
Graphic Nature
J’ai déjà beaucoup encensé Graphic Nature dans ces lignes, que ce soit pour leur excellent premier album ou pour leur non moins réussi second disque. Les Anglais sont pour moi le meilleur nom du nu-metalcore et par politesse, je ne répondrai pas aux personnes qui diront qu’il n’y a pas de mal vu l’état de la scène (elles n’ont pas tort, mais ça n’enlève rien au talent du groupe).
La particularité des Anglais, en plus de mélanger le meilleur du groove du nu-metal à la fleur de la dissonance metalcore, est d’y inclure des rythmiques drum and bass et des ambiances industrielles. Malheureusement, ces deux faces de l’identité de Graphic Nature ne seront pas représentées en live, à l’exception de la batterie sur le dernier morceau, « Fractured ». Sur scène, le côté rythmique et donc nu-metal est accentué, que ce soit dans la balance sonore ou dans la présence du frontman Harvey Freeman.
Ce dernier tient d’ailleurs extrêmement bien la scène, échange avec le public sans en faire trop, stimule le pit sans pour autant tomber dans les invectives téléphonées. Le fait que le groupe ne joue ni sur la corde du brag, ni sur celle du tough guy rend le show beaucoup plus digeste que certaines performances cousues de fil blanc (Thrown au Brutal Assault cette année pour ne rien citer). Harvey se permet même un laïus sur la douleur des garçons éduqués par des hommes qui leur apprennent à ne pas montrer leurs émotions, condamnant le lien avec l’augmentation des taux de suicide et faisant écho à toutes les thématiques liées à la santé mentale des morceaux du groupe.
Graphic Nature n’est jamais particulièrement expansif, mais mène sa barque avec dextérité et une grande efficacité, soutenu par des bons jeux de lumière, avec des strobos plongeant par intermittence la salle dans le noir, et ajoutant à l’aura de menace de leur musique. Les morceaux sont extrêmement bien structurés et on sent le public pleinement convaincu sur des tubes comme « Killing Floor ».
Setlist :
Headstone
Locked In
404
Sour
N.F.A
Killing Floor
White Noise
Bad Blood
Fractured

Crédit photo : Amélie Jouchoux
Alpha Wolf
Toujours dans le même style, en plein territoire nu-metalcore, je ne pourrai pas être aussi laudatif pour Alpha Wolf. Alors pourtant que les Australiens ont de nombreuses qualités sur disque – on retiendra surtout la déflagration qu’était A Quiet Place to Die, plutôt que le dernier, un peu en deçà – je n’ai absolument pas été convaincu par le passage au live.
Je vous disais dans la chronique citée plus haut que le succès populaire d’Alpha Wolf pouvait notamment être expliqué par leur présence constante sur les affiches. Cette hyperactivité de tournée se sent en concert, le show est parfaitement rodé, mais à un point où il en devient impersonnel. Lochie Keogh, son chanteur, connaît son public et joue à fond sur le crowdwork du wall of death aux invectives nombreuses (il ne fait absolument pas mentir la réputation des Australiens, à savoir l’insulte décomplexée et facile) ; la filiation avec Stray From the Path étant à ce niveau assez évidente.
Ce qui contribue également à me sortir de ce set est à quel point Alpha Wolf appuie sur le côté caricatural et outrancier de sa musique, spécifiquement via une setlist qui ne fait pas forcément honneur aux meilleurs titres du groupe, comme sur l’enchaînement pénible « Pretty Boy » / « Feign ». Mais au moins cette attitude de grande foire à la saucisse permet de décoincer le public en densifiant le pit et en offrant à l'Élysée Montmartre ses premiers stage dive de la soirée, notamment sur le gros bazar final avec l’imparable « Akudama ».
Setlist :
Ultra-Violet Violence
Creep
Pretty Boy
Feign
Acid Romance
Sub-Zero
Haunter
Mangekyō
Akudama

Crédit photo : Amélie Jouchoux
Stray From the Path
Je n’avais eu la chance de voir Stray From the Path qu’une seule fois, au Hellfest 2023 et je m’étais fait surprendre par l’extraordinaire capacité du groupe à fédérer et à électriser son public. En une trentaine de minutes, les New-Yorkais avaient rappelé l’essence de la musique live, celle de vivre un moment collectif, grisant par son ampleur. Entre temps, le groupe a révélé son dernier disque (très réussi par ailleurs) et annoncé sa séparation d’un commun accord et sans le moindre « mauvais sang ».
Leur ambitieuse tournée d’adieu, passée par l’Australie et les deux côtes étasuniennes, finit sa course en Europe et notamment avec quatre dates françaises, dans le pays où selon les mots de Drew York, le chanteur, « le public a toujours été au rendez-vous, même quand ça ne marchait pas dans les autres pays ». Et pour l’occasion, Stray From the Path a sorti la setlist best off de leur période post-Subliminal Criminals. Six morceaux sont tirés du dernier album, cinq de leur plus grand succès Euthanasia, et un morceau chacun pour les trois disques précédents, dont le jouissif brûlot « Goodnight Alt-Right ».
La force des New-Yorkais est à nouveau exposée aux yeux de tous : en plus d’une interprétation irréprochable, sans la moindre fausse note, le groupe est d’une générosité exemplaire, dans le dialogue, l’encouragement et avec un charisme absolu, particulièrement de Drew York et du monstrueux batteur Craig Reynolds. Avant les trois derniers morceaux, Drew s’autorise un discours pour parler des années écoulées, précisant à nouveau que la décision de mettre fin à l’aventure ne change rien à l’amour que les membres se portent mutuellement et finit par demander de « voir la fin du show comme une fête, une célébration » avant de lancer « Clockworked ». Après un « Guillotine » qui embrase un Élysée Montmartre qu’on croyait ne pas pouvoir devenir plus chaud, les Étasuniens closent le bal avec « Fortune Teller » dont une ligne, projetée en grand, fait office de backdrop : « The end to my end is my control ». Merci Stray From the Path pour la carrière de ces dix dernières années ; merci d’avoir été les bêtes de scène que le metalcore méritait et d’avoir communiqué autant de joie tout en restant intransigeant dans votre démarche comme dans votre militantisme.
Setlist :
Kubrick Stare
III
First World Problem Child
Shot Caller
Fuck Them All to Hell
Can't Help Myself
Goodnight Alt-Right
Chest Candy
Can I Have Your Autograph?
Needful Things
May You Live Forever
Clockworked
Guillotine
Fortune Teller

Crédit photo : Amélie Jouchoux
Des grands mercis à KINDA et l'agence Singularités pour la confiance, à l'Élysée Montmartre, aux groupes et un merci particulier à Amélie Jouchoux dont le talent est au moins à la hauteur de la sympathie ; si vous êtes un groupe et que vous avez une place libre, embarquez-la avec vous en tournée.









