Chronique Retour

Album

16 novembre 2025 - ZSK

An Abstract Illusion

The Sleeping City

LabelWillowtip Records
styleMetal progressif extrême
formatAlbum
paysSuède
sortieoctobre 2025
La note de
ZSK
8/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Comment succéder à un album à qui a été décerné le titre d’« album de l’année » ? C’est la délicate question qui revient à chaque fois que la « suite », inévitable, arrive en bacs. Woe, le deuxième album du groupe suédois An Abstract Illusion, avait conquis plusieurs membres de la rédaction – dont votre serviteur – et au moment du bilan, l’avaient placé en haut du podium de l’année 2022. C’est dire si la nouvelle offrande d’« AAI » était attendue au tournant. Woe, avec son metal progressif extrême très léché et épique niché entre Ne Obliviscaris, Persefone, Cynic ou encore Wintersun, avait été une incroyable promesse mais aussi, déjà, une sensationnelle confirmation après un Illuminate the Path (2016) sorti dans un relatif anonymat. Un potentiel gargantuesque était annoncé dans une scène très globale de « death progressif » qui regorge pourtant d’un nombre incalculable de formations, mais avec le recul Woe se suffisait déjà à lui-même et pouvait bien être le genre de l’album dont on se souviendra encore pendant 10 ans. Donc, il faut qu’il ait un successeur, car même après avoir gagné une Ligue des Champions, les saisons et compétitions continuent. Trois ans seulement séparent alors Woe de The Sleeping City, la nouvelle belle promesse de An Abstract Illusion, resté dans le nez creux de Willowtip alors que de grands labels auraient pu taper à leur porte. Est-ce que le groupe peut faire encore mieux que Woe, au moins aussi bien, ou même évoluer un tantinet pour ne pas faire deux fois la même chose – Woe était déjà assez différent de Illuminate the Path ? La réponse… ne risque t’elle pas d’être difficile à entendre quand on en attend autant ?

An Abstract Illusion progresse encore un petit peu et affine son style déjà très florissant de base. Déjà sur la forme, les Suédois s’offrent une meilleure production de celle de Woe, ce qui était un peu un des rares défauts de cet illustre précédent album. Sans pour autant partir dans le blockbuster, The Sleeping City gagne en relief mais sait rester extrême en toutes circonstances, avec des guitares bien râpeuses et un chant harsh globalement agressif. L’équilibre est trouvé et on ne déplorera plus le côté parfois brouillon d’un « Slaves ». Pour le reste, An Abstract Illusion fait un pas de plus vers l’epicness et The Sleeping City sera un album plus progressif que jamais. Travaillant d’ailleurs encore plus ses ambiances pour livrer une atmosphère très onirique et libératrice qui se laisse souvent aller à des envolées mélodiques majestueuses (avec des solos de virtuose). On se situe donc dans l’aspect le plus prog de Woe, laissant peut-être de côté les moments les plus efficaces d’un « Prosperity » même si le metal extrême le plus tranchant affleure encore. Le chant clair est toujours utilisé à bon escient, toujours légèrement vocodé à certains moments pour la touche Cynic évidente, entre deux explosions criées qui font toujours leur effet. Mais The Sleeping City est quand même très, très « prog’ » et apporte de nouveaux éléments comme une présence plus accrue de claviers et synthés divers et variés, laissant de côté les autres instrumentations comme le violon, utilisé avec une certaine parcimonie. Alors que seul un batteur à plein temps a été recruté depuis Woe, An Abstract Illusion évolue donc dans la continuité et va tenter de livrer un album encore plus léché et enivrant que Woe, assumant partir dans le progressif le plus pur. Pari réussi ?

Si Woe avait clairement ses moments forts, dès les premières écoutes The Sleeping City semble plutôt être prenable en bloc, comme un film devant lequel on reste scotché du début à la fin en s’accrochant aux rebondissements. Ce troisième album d’An Abstract Illusion va donc perdre en efficacité ce qu’il gagne en profondeur, et chacun va devoir y trouver son compte. « Blackmurmur » du haut de ses 11 minutes replace tous les éléments du metal des Suédois, et l’on constate déjà la mise en place d’un sacré souffle épico-atmosphérique, avec des chants tour à tour libérateurs et émotionnels ; mais aussi l’arrivée en force de claviers très « prog’ » en deuxième partie de morceau, et ça sera peut-être le point de crispation évident de The Sleeping City. Pour être honnête, ce ne sont pas de genre de sonorités de synthé que j’affectionne, et chacun devra se positionner par rapport à ça car ils seront souvent très en vue dans cet album (cf. l’interlude « Silverfields »). Qui se distingue malgré tout dans son versant le plus metal extrême et c’est ainsi que le très remuant et complet « No Dreams Beyond Empty Horizons » et l’excellent et plus sombre « Like A Geyser Ever Erupting » remettront pas mal de peps en prouvant que An Abstract Illusion excelle toujours dans tous ses domaines. Même dans le plus cotonneux car « Frost Flower » est absolument magistral avec son chant clair touchant. Le reste de The Sleeping City se déroule malgré tout sans grandes accroches, il suffit de se laisser porter ; mais pour ma part je constate tout de même que rien ici ne me transporte autant que les « Tear Down this Holy Mountain » et autre « In the Heavens Above, You Will Become A Monster ». Malgré quelques beaux moments, « Emmett » se traîne en longueur par exemple. Et c’est un simple constat qu’on peut faire sur tout l’album, qui se bonifie malgré tout avec les écoutes, en s’attardant vraiment sur les détails et surtout les ambiances. Mais autant dire que Woe, bien que plus inégal dans l’absolu, reste pour moi au-dessus. An Abstract Illusion se « lisse » un peu, mais livre malgré tout un album très ambitieux, pour un style qui le nécessite de toute façon, sans pour autant être prétentieux à aucun moment – en témoigne la certaine simplicité qui se dégage du final-titre un poil plus efficace. Trop prog’ pour certains, probablement pas assez pour d’autres, An Abstract Illusion est un peu ici le cul entre deux chaises, il n’empêche que The Sleeping City est un album réussi et finalement enivrant, mais chacun devra voir si c’est ce qu’il attendait après la masterclass qu’était Woe.

 

Tracklist de The Sleeping City :

1. Blackmurmur (11:01)
2. No Dreams Beyond Empty Horizons (8:13)
3. Like A Geyser Ever Erupting (7:58)
4. Frost Flower (8:14)
5. Emmett (11:19)
6. Silverfields (3:46)
7. The Sleeping City (10:07)

 

 

Les autres chroniques