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Album

11 novembre 2022 - ZSK

An Abstract Illusion

Woe

LabelWillowtip Records
styleMetal extrême progressif
formatAlbum
paysSuède
sortieseptembre 2022
La note de
ZSK
9/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Le metal étant bien évidemment à la pointe de la science et de la technologie, il s’est parfois spécialisé dans le clonage, avec bon nombre de groupes créés pour ressembler comme deux gouttes d’eau à des formations bien établies. Mais le metal étant par essence instable et rebelle, ses expériences de clonage ont parfois abouti à la réalisation de certaines chimères. Ainsi, la première fois qu’on écoute rapidement Woe de An Abstract Illusion, on se dit que nous tenons là le premier clone de Ne Obliviscaris. Mais l’expérience a de nouveau donné naissance à un organisme plus complexe… Déjà, ce groupe suédois existe depuis 2007, et a connu quelques remous de line-up autour du guitariste/bassiste Karl Westerlund, seul membre d’origine encore présent aujourd’hui et évoluant désormais au sein d’un trio. Qui a sorti un premier album, Illuminate The Path, en 2016. Et qui se plaçait surtout au départ entre du death mélodique et du death résolument progressif. Groupe autoproduit mais prometteur, An Abstract Illusion revient six ans après sous la bannière de Willowtip, label qui devient un vrai dénicheur de talents et plus seulement dans le domaine du death brutal, sombre et technique. Malgré tout, on se situe dans un style plus moderne, mais qui joue aussi sur des traditions remises au goût du jour, et des choses considérées comme « expérimentales » il y a encore 10 ans mais qui aujourd’hui passent pour une certaine norme au sein du metal extrême le plus aventureux. Un peu le cas de Ne Obliviscaris finalement, qui a eu son certain succès (peut-être même un peu trop *emoji qui grimaçe*). An Abstract Illusion, sur base de son premier album, est-il donc le premier disciple officiel des Australiens à défaut d’être un vrai clone, ou au moins sa réponse européenne ?

Par rapport à Illuminate The Path, An Abstract Illusion a bien évolué et s’éloigne des considérations mélodeath pour proposer un metal plus classiquement extrême, mais bien évidemment encore plus technique et surtout progressif (il suffit de voir la durée des morceaux pour entrevoir ce à quoi on va avoir affaire). Sur ces éléments extrêmes (plus que véritablement death ou black d’ailleurs), Woe nous embarque avec des compos virevoltantes et aérées. Un peu la marque de fabrique de Ne Obliviscaris, d’autant qu’on peut trouver des concordances sur d’autres éléments de forme (le son, les voix). Mais An Abstract Illusion tape ailleurs, et nous avons donc bien devant nous une véritable chimère, laissant apparaître des influences diverses et variées. Opeth, Cynic ou Persefone apparaissent alors bien vite comme des points de comparaison, ou au moins font figure de « FFO » totalement crédible. D’ailleurs si je devais en adjoindre un moins connu, ça serait celui du groupe américain Amiensus et en particulier celui d’Ascension (2015) avec son black sympho singulier et un brin futuriste. Mais chacun pourra ajouter d’autres noms, ce qui est finalement le jeu avec un style aussi progressif que celui de An Abstract Illusion. De toute façon, il y aura de quoi faire d’autant que dès les premières écoutes, Woe va se poser comme un album passionnant. Même s’il faut d’abord en passer par une longue mais belle intro, « The Behemoth That Lies Asleep », et un départ peut-être un peu brouillon sur « Slaves ». An Abstract Illusion dévoile néanmoins ses premières particularités, entre des voix claires et même robotisées (forcément marquées du sceau de Cynic) et un chant principal éraillé, des claviers variés et originaux, un riffing technique mais qui n’en fait pas trop, et des structures passant par diverses humeurs mais parfaitement fluides (pas comme chez Ne Obliviscaris - désolé pour cette cartouche totalement gratuite). C’est déjà intéressant malgré tout mais le meilleur reste à venir…

C’est surtout avec le premier morceau fleuve qu’est « Tear Down This Holy Mountain » que les talents de An Abstract Illusion vont se faire remarquer. Avec un départ tout en trémolos, instrumentations diverses et spoken words, l’atmosphère s’installe vraiment et le tout explose vers 2’30 pour mieux nous saisir au bond et ne plus nous lâcher. C’est là que tout le potentiel de An Abstract Illusion se révèle avec des compos technico-mélodiques très entraînantes et des breaks particulièrement gracieux, aboutissant à une deuxième partie de morceau atmosphérico-progressive de toute beauté et déjà magistrale. Et tout ceci embraye sur ce gros banger qu’est « Prosperity » et qui risque de déjà convaincre pas mal de monde alors qu’on en arrivera à peine à la moitié de l’album (d’une heure presque tout pile). Après un départ épique et formidable, An Abstract Illusion enchaîne après un break doux sur une série de riffs modernes et rangés absolument imparables. C’est qu’on est déjà conquis par la palette de An Abstract Illusion, capable de faire voyager mais aussi de pondre des passages purement efficaces. La déferlante se termine sur un passage ambiant au piano qui évolue vers l’interlude « Blomsterkrans », seul moment de Woe où nous entendrons du violon, instrument si cher à Ne Obliviscaris et cela prouve que An Abstract Illusion fait tout de même quelque chose de différent, au moins avec d’autres équilibrages. En tout cas, nous tenons là un avatar plus que convaincant d’une sorte d’éventuelle nouvelle vague de metal extrême et progressif. Et donc, ce n’est pas fini…

On en arrive donc au duo final qu’est « In the Heavens Above, You Will Become A Monster » et « This Torment Has No End, Only New Beginnings », deux morceaux qui sont d’ailleurs annoncés d’un coup par le chanteur dès le départ du premier nommé tel une histoire concept. Une conclusion qui totalise… 24 minutes et qui commence avec un nouveau récital de metal extrême mélodique et virevoltant. Après des développements mélodiques et techniques (encore bardés de compos accrocheuses de premier choix), les 14 minutes de « In the Heavens Above, You Will Become A Monster » se terminent de manière monumentale, dans des montées épiques incessantes à couper le souffle, au sol à genoux les bras levés en arrière, le tout ponctué d’un surprenant et très beau passage en chant féminin histoire de donner le coup de grâce et de faire couler une larmichette aux plus émotifs. Le final sonne presque déjà comme un générique de fin mais il y aura donc une longue scène post-générique avec « This Torment Has No End, Only New Beginnings », démarrant tout en émotions acoustiques, avant quelques derniers accès épiques et surtout un bel ensemble de compos metal plus soutenues et raffinées ; Woe se terminant alors sur du pur atmosphérique qui est même ponctué de leads prog légèrement Floydiens, avant une conclusion un peu plus sombre histoire de semer le doute sur lambiance de la suite de la saga. Hé bien, c’était une sacrée épopée, que l’on espère être le début de quelque chose de très grand. Car An Abstract Illusion a encore quelques points sur lesquels progresser, du son global au chant clair qui devra gagner en maîtrise en passant sur les équilibrages sachant qu’il y a quelques petites longueurs de temps à autre. D’aucuns trouveront quelques moments un brin kitsch mais c’est un peu le jeu de ce genre de metal progressif vu les influences et les moyens actuels. Mais quand même, il est difficile de ne pas voir un potentiel gargantuesque là-dedans, tant Woe montre que An Abstract Illusion est capable de pondre une musique d’une pureté incroyable, tout aussi enivrante que remuante. Une des belles révélations de l’année, à n’en pas douter, qui prouve que tant qu’on expérimente de manière pertinente sur base de glorieuses influences, on peut créer quelque chose qui laisse entrevoir de grandes perspectives et surtout quelque chose d’aussi réussi que ce magnifique album qu’est Woe.

 

Tracklist de Woe :

1. The Behemoth That Lies Asleep (3:22)
2. Slaves (7:23)
3. Tear Down This Holy Mountain (11:33)
4. Prosperity (7:41)
5. Blomsterkrans (5:51)
6. In the Heavens Above, You Will Become A Monster (14:28)
7. This Torment Has No End, Only New Beginnings (9:32)