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Album

15 novembre 2025 - Team Horns Up

Coroner

Dissonance Theory

LabelCentury Media Records
styleThrash
formatAlbum
paysSuisse
sortieoctobre 2025
La note de
Team Horns Up
8/10


Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Simon : 32 ans. C’est le temps qu’il a fallu aux fans de Coroner pour revoir le trio thrash sortir un album succédant à Grin (1993). Les Suisses avaient déjà pris tout le monde de court avec un retour sur les planches en 2011. Depuis ce comeback, l’idée d’un nouvel album était dans toutes les têtes, sauf celle du batteur Marky Edelmann qui ne voulait pas en entendre parler et a fini par quitter le navire pour fonder Tar Pond avec Martin Ain (Celtic Frost). Même le bassiste et chanteur Ron Broder était initialement à convaincre. Il a fallu s’armer de plus de patience.

Accueillant dans ses rangs Diego Rapacchietti à la batterie, Coroner est resté dix ans à écumer les festivals et donner des concerts ponctuels dans la Confédération suisse sans sortir de disque. Accaparé par son job de producteur et d’ingénieur du son dans son propre studio au bord du lac de Zurich, le guitariste Tommy Vetterli a rencontré moult obstacles à la composition, puis à l’enregistrement de titres à la hauteur de la réputation du groupe et des propres attentes des membres. Deuils familiaux, divorce, pandémie, manque d’inspiration, perfectionnisme, procrastination. Dès 2022, un nouveau titre (« Sacrificial Lamb ») est joué en live et le groupe glisse l’idée d’un enregistrement l’année suivante.

Il faut finalement attendre août 2025 pour confirmer la date de sortie deux mois plus tard. Quand un album est aussi attendu, il est généralement condamné à échouer. Ce n’est pas le cas de Dissonance Theory : l’accueil est dithyrambique. Il s’agirait du meilleur album de l’année, voire de la décennie. Calmons nos ardeurs, la vérité est ailleurs. Cette hype est belle à voir, mais tient surtout de l’affection pour un groupe maudit qui mérite sa revanche après avoir composé des titres qui gardent autant de fraîcheur trois décennies plus tard. Vous avez vu la note, personne n’est pris en traître, vous ne m’entendrez pas dire que Dissonance Theory n’est pas un excellent album. Quant à savoir s’il est aussi avant-gardiste que Mental Vortex et Grin, il n’est pas nécessaire d’attendre 32 ans pour avoir la réponse. S’il sonne aussi bien en 2025, c’est que le groupe n’est plus dans le futur. C’est grave ? Non. C’est toutefois révélateur de la place du groupe aujourd’hui. Ne boudons pas notre plaisir, pouvoir écouter un Coroner vivant en 2025, c’est déjà une victoire.

Une chose était quasi acquise, c’est que l’album ne pouvait pas ressembler à ses prédécesseurs. Au cours de sa carrière pré-split, le groupe a connu des évolutions notables, du speed néoclassique jusqu’aux expérimentations metal indus diluant le thrash old-school. Impossible d’imaginer les musiciens retourner aux sources 30 ans après. Quelles sources, d’ailleurs ? La volonté d’aller de l’avant était une condition sine qua non.

 

 

Cela se ressent directement avec l’ouverture par « Consequence », un véritable bijou punchy combinant son techno-thrash quasi-prog avec des sonorités SF. Le refrain est particulièrement accrocheur avec cette montée culminante jusqu’au « Default » métallique au vocoder, raccord avec la thématique des nouvelles technologies aliénantes derrière leur attrait divertissant. C’est ce que dénoncent les paroles cyniques à souhait : « So fun, detrimental ». À ce titre, la voix grinçante de Broder n’a pas bougé d’un iota et sert de repère immuable dans la marque du groupe.

D’autres atmosphères SF hantent l’album, comme sur « Crisium Bound » : arpèges d’intro nébuleux, claviers discrets à la Fear Factory. Les paroles écrites avec l’aide de leurs ami.es Dennis Russ, Kriscinda Lee Everitt et du nouveau batteur (Marky Edelmann signait jusqu’alors les textes), questionnent la place de l’humain dans un monde moderne. Elles réveillent les thématiques nucléaires chères au thrash de l’ère Reagan avec « Trinity », transpirant un sentiment d’urgence palpable. L’ADN malmené sur la belle pochette au traditionnel bandeau (sans logo de crâne cette fois) annonçait déjà la couleur, même en noir et blanc.

Autre marque de fabrique de nos joailliers suisses : le travail d’orfèvre sur la guitare. Tommy Vetterli disperse des accords sus2 particulièrement savoureux qui jouent dans l’aura de certains morceaux et riffs, et donnent au refrain de « Consequence » tout cet éclat. Ces accords connus pour écarteler les doigts des guitaristes en herbe rappellent aux fans de Chuck Schuldiner les riffs les plus sophistiqués de The Sound of Perseverance. Je suis un homme simple : du sus2 et me voilà charmé.

Les solos de Vetterli ont évidemment toujours beaucoup de tact et de goût, parfois flamboyants comme ceux de « Transparent Eye » ou « Symmetry ». Celui de « Sacrificial Lamb » est plus étonnant, où on croit entendre Mark Tremonti avec le choix d’accords rayonnants à la Alter Bridge qui soutient le solo avec élan, en contraste avec l’ambiance lourde du titre. Ce morceau ne manque pas de nous surprendre avec un riff qui vient tout balayer et renverser la vapeur de manière abrupte, presque maladroite si elle n’était pas si libératrice.

« The Law » pourrait servir d’objet d’étude pour le son dont bénéficie Dissonance Theory. Sur ce titre protéiforme, la guitare explore dans tous les coins, du rythme lent au plus effréné, passant par des textures grungy classieuses. En dehors de cette démonstration, les riffs servant d’étendard ne sont pas les plus révolutionnaires ni les plus fins. Celui de « Crisium Bound » est assez basique, idem pour les lignes de « Renewal » néanmoins bougrement efficaces, tandis que « Transparent Eye » côtoie le plus dispensable (son intro jusqu’au riff principal inclus) et le plus élégant (son refrain lumineux, sus2 oblige). Le riff franchement plat de « Symmetry » est sauvé par son refrain captivant et ses locutions latines (qui sonnent mieux que « peek-a-boo » dans un couplet de thrash).

Cette composition inégale et plus convenue révèle la nature très contemporaine du disque, en quête d’immédiateté, moins expérimental, ambitieux et intemporel que les albums précédents qui ont pâti des tentatives avant-gardistes mal comprises à leur sortie. Chaque titre a quelque chose à apporter, mais j’aurais du mal à dire qu’il s’agit d’une succession de coups de cœur portant la même qualité que « Consequence ».

 

 

Après une débauche de riffs bien thrashy où Rapacchietti démontre sa hargne à la batterie, « Renewal » étend son outro jusqu'à « Prolonging », aussi sympathique avec son orgue Hammond que superflu sur une piste dédiée, à moins de passer un message. Est-ce un indice en faveur d’un « prolongement » du groupe après le « renouvellement », avec un prochain album avant 2050 ? On le souhaite de tout cœur, et le succès de Dissonance Theory devrait motiver les Suisses dans ce sens.

Impossible de ne pas saluer le tour de force de Coroner qui parvient à revenir à la composition avec un album solide, exigeant et à la production soignée, franchissant allégrement les frontières du thrash, sans être le chef-d’œuvre monumental souvent décrit. Désormais, le trio ne se contentera plus de remuer le passé, mais peut s’appuyer sur un Dissonance Theory ancré dans le présent, à défaut d’investir dans l’avenir. 

 

  1. Oxymoron (00:58)
  2. Consequence (06:15)
  3. Sacrificial Lamb (06:02)
  4. Crisium Bound (05:29)
  5. Symmetry (03:58)
  6. The Law (05:00)
  7. Transparent Eye (05:16)
  8. Trinity (05:41)
  9. Renewal (05:21)
  10. Prolonging (03:13)