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Album

21 novembre 2025 - Team Horns Up

Igorrr

Amen

LabelMetal Blade Records
styleOui
formatAlbum
paysFrance
sortieseptembre 2025
La note de
Team Horns Up
8/10


Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Aurélie Jungle : À chaque sortie d’un nouvel album d’Igorrr, c’est la même question qui me taraude : quelle case de mon champ musical va encore être malaxée, déformée, chamboulée ? « Tu fais de la musique ? Quoi comme style ? » « Oui ». Le seul lien, fil rouge, de toute la discographie de ce groupe est la violence.
Soulignons le pourtant ici, Igorrr n’a jamais été aussi metal. Depuis Savage Sinusoid, donc depuis la signature du groupe chez Metal Blade Records, le style se fait de plus en plus de place. Si ça commençait à être assumé sur Spirituality and Distortion (coucou Corpsegrinder), plus de place au doute sur Amen où la majorité des morceaux de l’album sont dominés par une guitare saturée soutenue par une double pédale et une basse aux sonorités à la limite du djent. Sans parler des invités qui ne sont pas des moindres : Trey Spuance, guitariste de Mr. Bungle notamment, qui joue ici également du saz, sorte de luth turc, sur « Blastbeat Falafel » - Scott Ian, guitariste d’Anthrax, qu’on retrouve sur le morceau « Mustard Mucous », à la guitare.

Cinquième album d’Igorrr, Amen c’est 12 titres sur 44 minutes. 44 minutes entre death, thrash, grind, black, jungle, djent, drum and bass, breakcore, classique, baroque, IDM, flûte à bec, clavecin, saz, chant ecclésiastique, sonorités orientales, rythmes balkaniques… La liste est non exhaustive tant les influences sont vastes. Et oui : on a perdu l’accordéon. Si tu te demandais, sait-on jamais.
Autre changement sur cet album, c’est bien évidemment celui du line-up qui se cache derrière. Plusieurs départs en 2021-2022 : celui de Laure Le Prunenec, chanteuse lyrique, remplacée un temps par Aphrodite Patoulidou, puis finalement remplacée sur Amen par Marthe Alexandre; celui de Laurent Lunoir, chanteur guttural, remplacé par JB Le Bail (Svart Crown, Dirty Black Summer); et enfin celui de Sylvain Bouvier, batteur, remplacé par Rémi Serafino (Svart Crown, Hyrgal, Gorgon). Donc si on résume, de l’album précédent, il reste : Martyn Clément (guitariste - Joe la Mouk, Hardcore Anal…), Erlend Caspersen (bassiste - Spawn of Possession) - leadés bien évidemment par le chef d’orchestre Gautier Serre. 

Amen a été teasé comme son prédécesseur : « ADHD » sorti en premier (coucou « Very Noise ») suivi d’un morceau beaucoup plus mélodieux et metal, avec un guest, et dont le clip a été réalisé dans un studio : « Blastbeat Falafel » (coucou « Parpaing »). Des images qui te permettent de voir et de comprendre l'étendue de la créativité et de la richesse musicale d'Igorrr

Amen est une ascension. On démarre dans les limbes avec « Daemoni » et ses sonorités viscérales, le tout pour finir en lévitation, sur du coton, avec « Silence ». Morceau d’une violence insoupçonnable, véritable hémorragie interne qui se termine par trois notes appuyées : libération, fermeture des rideaux, fin de concerto ou symbole de la Trinité. La boucle est bouclée.

Si le talent d’Igorrr réside dans le fait qu’il arrive à produire des morceaux écoutables et intelligibles, résultant pourtant de quelques milliards d’influences, styles ou ambiances, sur Amen, ces ambiances, styles ou influences s’affrontent au cœur desdits morceaux voire au cœur de l’album. Plutôt que de se mélanger ou de fusionner, ils vont cohabiter. Au-delà de l’image qu'on pourrait assimiler à une bataille entre le bien et le mal, le tout sonne comme une prise de risques moindre. Le chant clair/classique ne se fait jamais sur une base core, comme le chant death/guttural ne se fait jamais sur une base classique, légère ou douce par exemple. On a donc très peu de morceaux dont l’ambiance change radicalement d’une minute à l’autre. Rejette une oreille à « Overweight Poesy », à « ieuD » ou à « Opus brain » pour comprendre où je veux en venir

Igorrr se serait-il assagi ? Oui et non.

Non parce que si tu penses qu’il est impossible de mélanger du grind, du death, de la flûte à bec (mal exécutée, merci pour ces souvenirs de 6ème 2), de la jungle et que ce soit écoutable, Igorrr te prouve le contraire. Le morceau s’appelle « Mustard Mucous » et c'est très certainement celui qui m’a mis la plus grosse claque sur cet album. De même pour « Limbo » qui est plutôt imprévisible. 

Oui parce que d’autres morceaux, bien que musicalement riches, sont beaucoup trop harmonieux, voire lisses. Ceux-ci n’en restent pas moins efficaces et puissants : « Infestis », « Pure Disproportionate Black and White Nihilism », « Blastbeat Falafel », « Ancient Sun », « Headbutt », « Silence ». On y retrouve la signature d’Igorrr, et j'imagine que ça reste quand même imbuvable et incompréhensible pour certains, mais pour ma part : Igorrr n’a jamais été aussi accessible et je ne sais pas si c’est positif. 

Au milieu de ce périple, on croise « 2020 ». Un morceau court, absurde, un interlude, qui passe en un clin d'œil et qui n’a aucun sens. Un peu comme l’année 2020. Belle allégorie. Il en est de même pour « ADHD », allégorie du TDAH avec ces cris qui surviennent d’à peu près nulle part au milieu d’un tout, ces parties graves puis ces parties plus légères… Et finalement, bien que totalement déjantées, ces pistes rassurent.

On croise également un second interlude d’une bonne minute 30 : « Étude n°120 ». Bon ça rentre dans le concept, mais c’est définitivement passable comme morceau. Petite impression de forcing pour interpeller l’auditeur via des virages à 90 degrés niveau sonorités, alors qu’« Ancient Sun » produit le même effet. On sort d'un morceau majoritairement death pour arriver sur des sonorités orientales, dunesques. La coupure se produit, l'oreille se tend. La différence avec « Études n°120 » c'est qu’« Ancient Sun » a quelque chose à proposer : la voix de Marthe, à la limite du thérémine, y est tout simplement superbe.  

Si on prend l’album dans son intégralité, on est loin de l'harmonie, de la linéarité et de quelque chose que l’on pourrait qualifier de sage ou de docile. Disons qu’il y a du choix. Passer de « Infestis » à « Ancient Sun » puis « Pure Disproportionate Black and White Nihilism » puis « Étude n°120 », ou de « Blastbeat Falafel » à « ADHD » : OK.

Amen est déroutant, surprenant, puissant, violent. C’est finalement en le prenant dans son ensemble qu’on retrouve enfin ce côté bordélique, celui qui te fait dire : « OK le mec n’a pas de limites, le mec a tout mis ». Mais le côté grind, absurde, celui qui rend fou les plus conservateurs d’entre nous, s’est un peu effacé pour laisser place à des morceaux sans trop de compromis. Comme dit plus haut, Igorrr n’a jamais été aussi accessible et je ne sais pas si c’est positif. Disons que ça n'était pas dans le contrat initial. Juger Amen en partant de la discographie d'Igorrr, c’est donc lui mettre un 8. 

 

Tracklist : 

1. Daemoni
2. Headbutt
3. Limbo
4. Blastbeat Falafel
5. ADHD
6. 2020
7. Mustard Mucous
8. Infestis
9. Ancient Sun
10. Pure Disproportionate Black and White Nihilism
11. Étude n°120
12. Silence