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samedi 20 septembre 2025

Amorphis porte bien mal son nom : entretien avec un groupe plus dynamique que jamais !

Jan Rechberger & Santeri Kallio

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Il y a des carrières dont la régularité force le respect, et c'est clairement le cas de celle d'Amorphis. Avec Borderland, son quinzième album studio, le combo finlandais garde le cap et fait même mieux que ça : Amorphis sort peut-être son meilleur album en 10 ans, au bas mot. L'occasion était idéale, donc : nous en avons discuté avec Jan Rechberger, membre fondateur, et Santeri Kallio, claviériste et force créative du groupe depuis 1999. 

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C'est le 15e album studio d'Amorphis, 35 ans de carrière... Ca commence à compter.

Jan Rechberger (batterie) : Oui, clairement, et ça peut parfois paraître surréaliste car à l'époque, personne ne pensait forcément que le groupe irait si loin. Mais aujourd'hui, alors que nous sommes sur le point de sortir notre 15e album, je suis très heureux de toujours être là, d'autant qu'à mes yeux, le groupe s'améliore encore, prend plus de profondeur à chaque album. Je me sens très reconnaissant de pouvoir encore être là.

Santeri Kallio (claviers) : C'est assez fou que le line-up d'origine, plus moi et Tomi Joutsen (Santeri est arrivé en 1999, Tomi en 2004, nda), soit encore là après toutes ces années. Quinze albums, ça a l'air fou, mais certains grands groupes de l'époque en sortaient 15 en 10 ans (rires). En tout cas, rien ne me semble montrer des signes de faiblesse. Tant que tout le monde garde la santé, on peut continuer comme ça.

Si vous regardez dans le rétroviseur et comparez l'Amorphis de Tales of a Thousand Lakes à celui de Borderland, quels principaux points communs et différences voyez-vous ?

Jan : Eh bien, premièrement, la qualité de nos prestations (rires). Nous sommes tous devenus de meilleurs musiciens. Mais concernant les albums, le tout premier (The Karelian Isthmus) était fort différent, plus proche du death metal assez brutal, à sa manière. Dès Tales of a Thousand Lakes, nous avons amené ces éléments plus mélodiques et expérimentaux qui ont permis à l'album de rester pertinent. Et ces éléments sont toujours dans notre musique actuellement. Nous avons juste raffiné cet aspect de notre musique, mais le mélange entre chant growlé et chant clair, les mélodies, c'est toujours là. Nous avons juste un peu plus de titres « radio-friendly » aujourd'hui.

Santeri : Je n'étais pas là aux débuts du groupe, mais j'ai eu l'occasion de jouer quelques fois avec le groupe en 1994, je crois. Et j'ai pu remarquer que les membres du groupe ont toujours été amis, ce qui est resté le cas. Il y a toujours eu un processus démocratique au sein du groupe, chacun a sa liberté. C'est une question de respect et d'amitié.

Pour célébrer vos 30 ans de carrière, vous aviez prévu toute une tournée, mais vos plans ont évidemment été mis au placard par le COVID.

Santeri : Oui, en effet. Nous n'avons pu faire que des concerts spéciaux célébrant chaque décennie d'Amorphis, dans notre ville. Mais c'était très étrange, avec la distanciation, les masques, un nombre très réduit de gens... Mais nous avons au moins pu faire 6 concerts, deux par décennie.

Est-ce que vous n'avez pas la sensation que ces dernières années, on nous surcharge un peu de « concerts anniversaires » ? Dans le cas d'Amorphis, comme vous le disiez, les albums récents sont très bien accueillis et le groupe continue d'avancer. J'ai du mal à vous imaginer enchaîner les concerts anniversaires comme certains groupes qui « vivent » de ça (Santeri se marre).

Jan : Naturellement, on se sent très en confiance concernant le nouvel album et on voudra en jouer un maximum de titres. Mais en ayant tant d'années de carrière, il y aura des albums qui fêteront leur anniversaire très souvent (rires). Et s'il y a de la demande pour en jouer un en entier, pourquoi pas ? Ce n'est pas quelque chose auquel je suis opposé. Se reposer sur ça, bien sûr, ce n'est pas notre objectif.

Santeri : Le temps nous le dira mais je trouve que c'est une belle façon de jouer des morceaux que nous n'avons pas habituellement l'occasion de jouer. Car quand tu as 15 albums, tu dois jouer des titres du nouvel album, peut-être des quelques albums juste avant, et des classiques ; le temps dont nous disposons pour jouer des raretés est limité. Or, il y a une frange du public qui est très attachée à l'un ou l'autre album via lequel elle a découvert Amorphis. Ces anniversaires sont une manière de leur faire plaisir, et tu ne dois pas faire plaisir à tout le monde dans ces cas puisque ceux qui apprécient ces albums viendront aux concerts, et les autres pas. Je ne suis donc pas contre. Le plus important est que les fans soient heureux.

J'ai eu l'opportunité d'écouter Borderland, et j'ai la sensation que cet album contient, justement, pas mal de « tubes », de titres taillés pour le live. C'était peut-être moins le cas avec Halo, plus sombre, plus progressif... Est-ce que cette différence, vous la sentez dès que vous commencez à composer ?

Santeri :C'est drôle car en effet, cette fois, j'ai directement senti en composant que ce serait plus mélodique et direct, peut-être justement parce que Halo était si « proggy », plus lourd. Mais beaucoup de cette lourdeur venait de Jens Bogren. Puis, quand j'ai entendu les titres du reste du groupe, je me suis rendu compte que eux aussi avaient composé des titres très mélodiques ! Nous n'avons pas eu besoin de nous concerter et avons opté pour une nouvelle approche. Peut-être que c'est parce que nous avons commencé à travailler avec un nouveau producteur, ce qui a poussé tout le monde à aller dans cette direction plus mélodique.

Jan : Tous les titres – il y en avait 25 à 30 – qui ont été composés pour Halo n'étaient pas nécessairement si sombres, en fait. Mais c'était en effet la vision du producteur de rendre le tout aussi lourd et progressif. Les démos étaient un peu plus catchy et faciles d'accès, je dirais.

Est-ce que votre état d'esprit quand vous composez peut aussi influer là-dessus ?

Santeri : Non, je ne pense pas. C'est juste devenu mélodique parce que Halo était le plus lourd et progressif que nous ayons jamais fait, et parce que nous avons changé de producteur. C'est notre 15e album, donc l'idée était de chercher un peu de fraîcheur et une nouvelle dimension dans notre musique. Tous les membres du groupe ont leurs idées, donc peut-être que certains ont été influencés par la musique qu'ils écoutaient, mais ne me compte pas là-dedans car j'écoute toujours les mêmes trucs (rires). Peut-être que les autres se sont mis à écouter de l'AOR, je ne sais pas (rires). Mais je crois que l'idée était surtout d'amener un regard neuf sur Amorphis.

Jan : Ca peut paraître bizarre, mais j'ai écouté l'album en entier l'autre jour et j'ai presque eu l'impression que nous nous étions surtout inspirés... de nous-mêmes (rires). De l'époque Skyforger, par exemple, bien plus mélodique, épique.

Santeri : Peut-être que ça nous a manqué inconsciemment, peut-être que la production de Halo a un peu trop amputé notre musique de ces aspects. Je ne dirai pas de mauvaises choses sur Halo, mais il y manquait peut-être trop de ces éléments mélodiques d'Amorphis.

Le changement de producteur était donc un choix conscient dans ce sens ?

Santeri : Hé bien, en quelque sorte, inconscient car nous n'en avons pas parlé au sein du groupe. Mais tout le monde avait visiblement la même envie.

Jan : Notre carrière a toujours été composée en « ères », il y a eu les 2-3 premiers albums, puis une période plus rock, et depuis l'arrivée de Tomi Joutsen, nous fonctionnons encore par des cycles de 2 à 3 albums. Under The Red Cloud, Queen Of Time et Halo étaient un peu un cycle, et nous voulions donc en entamer un nouveau. Changer de producteur était une façon d'y parvenir.

L'un des titres les plus marquants de Borderland est « Dancing Shadow », dont le titre d'écriture était « Disco Tiger ». C'est adapté, avec ce côté un peu dansant et funky. Sante, est-ce ton morceau, vu que tu es claviériste ?

Santeri : Non, c'est le morceau disco d'Esa (Holopainen, guitare), il a tendance à amener ces vibes disco un peu partout. Sur Silent Waters, il y avait le titre « Towards & Against », sur Circle, il y avait « The Smoke »... Je ne trouve donc pas ça si surprenant, car de temps en temps, nous sortons quelque chose de ce genre. C'est très accrocheur, je ne sais pas si j'entends quelque chose de funky, mais disco, clairement (rires).

Jan : Si, je peux voir le côté funky ! Mais en effet, nous avons déjà eu ce genre de titres dans le passé, des morceaux assez directs et catchy. C'est parfois assez difficile de faire fonctionner ça, mais je crois qu'il est très bon.

« Light & Shadow » est aussi un morceau très lumineux, très accrocheur.

Santeri : Oui, l'idée était vraiment d'amener une mélodie très forte sur ce titre, d'en faire un morceau plus festif que tu peux mettre avec tes amis, à la salle de sports... J'ai été surpris que ce titre finisse sur l'album, pour être honnête, mais j'y suis très attaché. C'était le premier single et ça a probablement un peu surpris nos fans, j'étais moi-même étonné que le label opte pour ce morceau-là. Car l'album comporte des titres qui ressemblent bien plus à l'Amorphis classique.

Le single suivant était « Bones », que tu as composé également et qui est bien plus lourd, avec un riff assez heavy et du growl. Ce n'est cependant pas le titre le plus sombre de Borderland : la palme va à « Despair », que je trouve très sombre, si pas musicalement, au moins émotionnellement.

Santeri : Ce sont clairement les deux chansons « les plus sombres », si je peux le dire comme ça. Je voulais qu'il y ait au moins un titre assez riffu sur l'album, et ce sont souvent les guitaristes qui amènent ces morceaux, mais cette fois, c'était le claviériste. J'en suis assez content (rires).

« Despair » m'a même par moments fait penser à du doom-death comme Swallow The Sun ou Barren Earth (dont plusieurs membres d'Amorphis font également partie).

Jan : Ce n'est pas un titre typique pour clore un album, c'est certain. On essaie généralement de finir sur quelque chose de plus léger (rires). Barren Earth est plus complexe et sombre, mais je vois les similarités, oui.

Jan, as-tu une préférence en tant que batteur ? Es-tu du genre à aimer jouer des parties plus jazzy ou plus extrêmes ?

Jan : (il éclate de rire) Oh, je ne suis certainement pas le plus jazzy des batteurs. Des titres comme « Bones » ou « Fog to Fog » sont très fun à jouer. Mais il y a une simplicité sur cet album que j'apprécie, tout ne doit pas toujours être volontairement compliqué. J'aime jouer des choses simples.

Je voulais dire un mot sur l'artwork. Amorphis a souvent publié de très beaux visuels et celui-ci ne fait pas exception à la règle. C'est aussi la deuxième fois (après Silent Waters) qu'il y a un cygne sur l'album. C'est l'animal national de la Finlande...

Santeri : En effet, c'est notre animal national, et sur la pochette, on voit la rivière qui mène au Tuonela, l'au-delà du Kalevala. Le cygne y est à sa place (nda : dans le quatorzième chant du Kalevala, Lemminkäinen, l'un des héros de l'épopée, doit tuer le cygne sacré dans l'au-delà afin d'apprendre les secrets de la mort). Et le nom de famille de notre chanteur, Joutsen, signifie cygne. On peut donc aussi le voir comme le personnage qui raconte l'histoire. Je ne crois pas que c'était l'idée, mais ça colle au concept, avec le chanteur qui sert de pont entre le vrai monde et les histoires qu'il chante.

Les textes sont toujours écrits par Pekka Kainulainen, un poète finlandais. Comment est-ce que cela se passe ?

Jan : Les texte sont écrits en finnois, et Pekka et Tomi se rencontrent pour en discuter. Nous avons des traducteurs dédiés afin de faire passer le texte en anglais.

Santeri : Tomi a déjà dit plusieurs fois qu'il ne souhaitait pas se charger des textes, car il n'est pas lyriciste. Et de mon côté, je trouve ça très bien qu'une seule personne soit en charge de nos textes, plutôt que de voir tout le monde proposer les siens. Je ne veux pas imaginer la soupe que ce serait si tout le monde s'y mettait (rires).

Tomi a-t-il déjà envisagé de chanter les textes directement en finnois ?

Santeri : Oui, je sais qu'il y a déjà pensé, pour l'un ou l'autre morceau... Mais pourquoi faire ? Personne ne comprend le finnois. Ce ne serait pas très chouette pour nos fans non-finlandais, ce serait comme chanter en mandarin, car le finnois est presque aussi difficile. Par le passé, sur « Daughter of Hate », il y a un poème en finnois intégré au morceau et sur ce passage, on peut se dire que Google translate fera le job pour nos fans. Mais un album entier ? Merde, ce serait impoli de notre part (rires).

Jan : Peut-être un jour, pour une musique de film finlandais, ou un truc du genre, pourquoi pas.

Pour finir, vous avez une tournée qui arrive avec Arch Enemy, Eluveitie et Gatecreeper. On parlait du peu de temps pour jouer tous vos titres, ce sera pire dans ce cas-là.

Santeri : ... d'où l'intérêt des tournées anniversaire ! (rires).

Jan : C'est toujours difficile, de toute façon, même en tête d'affiche. Tu ne feras jamais plaisir à tout le monde. On joue 45-50 minutes cette fois, donc on fera au mieux.

Santeri : L'idée est de tourner avec Arch Enemy pour tenter de conquérir un nouveau public, puis de partir en tête d'affiche en 2026. Je ne saurais pas te dire les dates, mais nous avons une tournée finlandaise, puis le 70.000 Tons Of Metal, et peut-être des dates asiatiques. Idéalement, les USA, même si on ne sait pas trop ce qui sera possible de ce côté (rires). Et probablement un tour européen à l'automne 2026.