
"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Parfois, on s’intéresse à des disques qui ne sont pas du tout (mais vraiment) pas du tout dans nos styles de prédilection mais qu’on finit par apprécier grandement, voire en multiplier les écoutes et les faire finir très haut dans les tops de fin d’année. Souvent par le biais d’une recommandation sur réseaux sociaux par des gens plus ouverts et éclectiques que nous, doublée d’une forme de curiosité (morbide ?), ce qui sera mon cas ici. Yass (rien à voir avec le célèbre twittos) est un duo allemand qui existe depuis le milieu des années 2010 et pratique du noise rock. Genre dont je ne connais absolument rien à part les deux premiers albums de Health – et encore c’est parce que je m’y suis intéressé grâce aux albums suivants, plus dans mes cordes. Leur label, Crazysane Records – là encore absolument pas dans mes cordes vu qu’il semble surtout donner dans le psyché – évoque les noms de Idles et Metz. Après, ceux qui me connaissent savent que je suis un grand fan de Metz… mais pas celui-là, loin de là. Il est aussi cité Kraftwerk comme grande influence de Yass, là aussi je ne connais que leurs grands classiques mais la collusion entre les robots allemands et le noise rock semble incongrue et donc intéressante. Si ses bases sont bel et bien noise rock – ses deux premiers albums Things That Might Have Been (2016) et Night Wire (2017) sont encore là pour en témoigner – Yass s’amuse quand même avec des boucles électroniques, qu’on pouvait déjà entendre dès « Odessa » le premier morceau de Things That Might Have Been d’ailleurs. Ce qui lui confère également un petit côté « kraut » et le tableau complet de Yass finit par se dessiner. Car l’ensemble va finir par exploser sur Feel Safe, troisième album qui arrive huit ans après Night Wire et le duo fribourgeois a eu le temps de travailler et faire évoluer son son, pour prendre ici une aura bien plus importante que le groupe de noise rock de base qui s’amuse avec divers trifouillages sonores.
Feel Safe va donc aborder une ère beaucoup plus dynamique et dansante pour Yass, avec une production plus claire mais qui sonne quand même très années 80 (voire avant), pour faire du combo allemand une formation rétro-futuriste par excellence. Yass s’habille maintenant façon post-punk, à la fois pour la froideur lancinante des compositions et pour le côté remue-popotin des rythmes employés, outre les éléments de forme typiques (le son des guitares comme les lignes de chant). Chassant presque ainsi sur les terres de Killing Joke, et quasiment toutes ses périodes en plus, à sa manière. Mais la particularité reste son côté « kraut » latent, toujours amené par les nombreux effets électroniques vintage, là aussi à sa manière car Feel Safe va vite se montrer très imprévisible ; le côté toujours légèrement crasseux et « punk » mêlé à tout le reste finissant même par révéler un penchant « indus », encore et toujours à leur manière. Comme si un Slift essayait de s’adresser aux fans de Turnstile et de metal indus plutôt qu’à des collectionneurs de vinyles de rock prog des 70’s. Et Feel Safe de rapidement rassembler tout un petit monde avec ses morceaux variés d’une efficacité diabolique. C’est bien simple, Feel Safe se lance sur « In the Basement » et je vous mets au défi si vous avez vraiment le rythme dans la peau, de ne pas essayer au bout de 11 secondes de tenter de reproduire les patterns de batterie en tapant sur vos cuisses. Tout Yass y est déjà : couches électroniques bluffantes, rythmiques imparables, guitares bien bruitistes mais entraînantes grâce à ce touché post-punk accrocheur, partie finale bien épique, et chant qui n’a pas besoin de 10 lignes de paroles pour embarquer son monde – il suffit surtout de répéter une phrase basée sur le nom de morceau quasiment en boucle. Feel Safe démarre en fanfare et on se dit qu’on va beaucoup danser, vraiment beaucoup. Entre beaucoup de surprises aussi.
Les Yass sont donc fans de Kraftwerk. Ce qu’on peut retrouver dans leur côté électronique robotique mais non moins dansant (l’excellent « NoBot » qui est un tube immédiat et dénote avec ses voix trafiquées lancinantes et son ambiance presque rétro-cyberpunk), tout autant que le côté mécanique et rigoriste de certains pans de Feel Safe (le très rigide et inquiétant « T.I.V. »). Naturellement, Yass dilue aussi dans son troisième album ses oripeaux krautrock évidents, là aussi dans une partie de l’héritage de Kraftwerk (cf. le très enlevé « Pulse » aux sonorités psychédéliques typiques). Mais pour le reste, ça bouge un max en mixant l’énergie et le dynamisme post-punk avec tout ce que Yass a à sa disposition. Dès un « Got Hurt » totalement aliénant mais incroyablement efficace, jusqu’à un « Feel Safe » ultra-groovy et remuant de clôture en passant par l’archi dansant « City Lights » qui vous fera travailler votre déhanché bien années 80 à coup sûr. Les racines noise rock sont bien sûr toujours là – de la pochette en passant par le plus bruitiste « Suit » et forcément une bonne partie des éléments de production – mais Yass a poussé bien plus loin sa mixture d’influences pour faire quelque chose d’assez singulier. Le résultat final est tout bonnement mortel. Feel Safe est de ce genre d’albums qui est parfaitement indécent tant il enchaîne les tubes à en faire rougir certains – à l’image d’un Gunship avec Unicorn il y a deux ans dans un style tout aussi rétro mais aux antipodes – et les 35 menues minutes se répéteront chez vous, encore et encore. Même pas besoin d’être connaisseur (j’en suis bien la preuve d’ailleurs), suffit de ne pas être totalement hermétique à un des sous-genres et en connaître un au moins un peu, et de se laisser porter par ce post-noise-kraut-punk complètement irrésistible. L’été, c’est toujours l’occasion de sortir un peu du bon vieux métale et de s’ouvrir à quelque chose de plus frais et dansant. D’habitude c’est Conjure One le projet électro-pop de Rhys Fulber (Fear Factory, Front Line Assembly) que je sors dès que le soleil brûle un peu, dorénavant ça sera aussi Yass et son dance-punk pour danser au frais dans la cave, là où Feel Safe portera bien son nom. Yass, encore !
Tracklist de Feel Safe :
1. In the Basement (4:52)
2. Got Hurt (5:02)
3. Suit (4:03)
4. NoBot (3:59)
5. Pulse (4:42)
6. T.I.V. (3:43)
7. City Lights (3:40)
8. Feel Safe (4:30)