
Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Quand il faut (pour les besoins d'une chronique par exemple) tenter de faire rentrer dans une, ou des cases, une musique avant-gardiste afin de pouvoir en donner le goût à autrui, on se retrouve toujours face à une sorte de casse-tête plein de paradoxe. Par définition, l'avant-garde veut se construire hors des cases ; par essence, toute création se base sur d'autres créations existantes et déjà classées. En conclusion, il faut parvenir à tirer les fils qui relient l'œuvre avant-gardiste aux bases d'où elle émerge, mais sans perdre de vue la démarche de rupture qui en fait sa valeur (en partie au moins). Bref, pour bien décrire une telle œuvre, il faut jongler entre les références communes et les apports idiosyncratiques.
Qu'est-ce qu'Hexrot ? Un duo, américain, de musique extrême, dont Formless Ruin of Oblivion est le premier album. La pochette de cet album indique sans doute une partie de l'influence d'Hexrot, ou disons plutôt, de son champ exploratoire : l'étrange mine qui y figure, peuplée de démons travailleurs, est un extrait du Jardin des délices de Jérôme Bosch, et plus spécifiquement un détail de la troisième partie du triptyque, consacrée à l'Enfer. Mais davantage que le folklore sataniste, Hexrot tire de cette vision de l'enfer par le peintre flamand son aspect labyrinthique et incohérent, où les perspectives sont brouillées et illogiques. L'une des principales difficultés pour aborder (et décrire) Formless Ruin of Oblivion, c'est qu'il se présente comme un seul tableau, découpé en différentes parties que sont les morceaux, mais où les titres s'enchaînent sans ce temps de silence qui permet se repérer dans l'écoute. Hexrot, tout au contraire, vous invite à un voyage dans des terres de perdition, malmenant tout à la fois le rythme et l'harmonie.
Hexrot ? Quelque chose comme du death metal. Le son est grave, épais et poisseux. Le chant est à tendance guttural, mais ne rechigne pas à aller hurler vers les vocaux plus typés black metal. Voici les bases avec lesquelles travaille Hexrot, les cases desquelles le groupe émerge. Mais le duo triture et torture, déconstruit et désencastre les sonorités dont on a l'habitude. Tout semble en permanence prêt à prendre une direction inattendue dans cet album, rien n'a de véritable stabilité. Adieu refrains et couplets. Mais c'est même parfois l'idée de riff qui semble remise en cause, Hexrot proposant presque des boucles aussi absurdes que fascinantes (la fin de « Consecrating Luminous Conflagration »). Rien n'est cédé à la facilité, et le jeu de batterie encore moins que le reste. On y trouve certes un peu de blastbeats et quelques repères connus, mais bien souvent, c'est pour mieux placer une incongruité rythmique ou une chausse-trappe à coup de descente de tom chaotique et imprévisible. Tantôt à l'assaut, tantôt dans le ralenti, Hexrot navigue dans son univers aux remous incessants. Dernière touche au tableau : des bidouillis électroniques de natures diverses (nappes, grésillements) terminent d'offrir toute son originalité à la musique des Américains.
Une ultime difficulté pour parvenir à la fin de l'album ? Les quinze minutes du morceau-titre qui termineront d'égarer les explorateurs les plus téméraires dans un de ces orgasmes de fin d'album dont raffolent les progueux, la plage où tous les artifices flambent dans le ciel. Et pour que tout cela tienne en place, il faut bien entendu un petit miracle (ou énormément de maîtrise, plus vraisemblablement) dans la production qui permet de rendre tout ce bazar audible et même agréable. Hexrot ? Un groupe à écouter, je ne vois pas de conclusion plus évidente.
Tracklist de Formless Ruin of Oblivion:
- What Lies Veiled
- Heavenward
- Consecrating Luminous Conflagration
- Ghostly Retrograde I
- Clandestine Hunt
- Ghostly Retrograde II
- Formless Ruin of Oblivion