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Album

01 septembre 2025 - Matthias

Vígljós

Tome II – Ignis Sacer

LabelLes Acteurs de l'Ombre Productions
styleBlack metal champêtre
formatAlbum
paysSuisse
sortieseptembre 2025
La note de
Matthias
7.5/10


Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

On en avait à peu près terminé avec le black metal à cagoules, et franchement ça n'était pas un mal. Et puis Vígljós est descendu de ses alpages, un peu par surprise et le visage dissimulé, mais sous la bure et l'osier plutôt que sous un bête balaclava. Le projet suisse, mené par Luca Piazzalonga, adopte une esthétique monacale inspirée des tenues des apiculteurs médiévaux : amples robes enveloppantes, la cagoule bien sûr, et surtout des masques d'osier en guise de protection faciale. Une esthétique fascinante, et aussi étonnamment populaire sur les réseaux sociaux, je ne saurais dire pourquoi. Avec son premier album sorti l'année dernière, Tome I – Apidæ, Vígljós associait l'apiculture à un black metal plutôt raw, dont le chant oscillait entre dolorisme et exultation. Un premier opus qui s'était d'ailleurs taillé un rayon dans nos albums de l'année.

Depuis, nos silhouettes d'osier ont signé sur Les Acteurs de l'Ombre Productions, label français incontournable ; une preuve certaine de l'intérêt qu'ils suscitent dans la scène et du potentiel qu'on leur perçoit. Si ce partenariat signifiera vraisemblablement des tournées plus régulières pour les Suisses, il nous offre aussi, pour patienter, ce Tome II – Ignis Sacer. Un second album toujours plongé dans un certain mysticisme médiéval, mais qui délaisse les ruches pour... un champignon. Mais pas n'importe lequel : Claviceps purpurea, alias l'ergot de seigle, un parasite des céréales dont l'ingestion peut provoquer l'ergotisme. Un trouble hallucinatoire bien attesté au Moyen Âge, causé par un alcaloïde à partir duquel on a, bien plus tard, synthétisé le LSD, et dont Vígljós a voulu explorer « l'impact sur la société et sur l'art. »

De là, le profane imaginerait aisément des moines en plein trip dans les pâturages, lointains précurseurs des hippies tentés par le mystique. Ça serait se fourvoyer : l'ignis sacer, feu sacré, mal des ardents ou encore feu de Saint-Antoine comme on qualifiait ce trouble à l'époque, désigne aussi une horrible gangrène. Outre ses effets hallucinatoires, l'ergot de seigle, consommé régulièrement, fait « brûler » les extrémités des membres en contractant les vaisseaux sanguins jusqu'à la nécrose.

Avec tout ça, j'en oublie d'aborder la musique. Tome II – Ignis Sacer est moins direct que son prédécesseur apicole, plus en circonvolution qui glisse sur un esprit déjà troublé, comme le font les cordes sur « A Seed of Aberration ». Moins raw aussi, l'album ayant été enregistré chez Hutch Sounds, le studio de Marc Obrist, qui officie comme choriste chez Zeal&Ardor. Un rendu plus professionnel et moins furieux donc, qui fait naître une ambiance plus lancinante, qui prend le temps de s'installer, mais renforce en un sens l'aspect ritualiste de certaines compositions. La voix de Piazzalonga reste bien sûr un point fort, qui se révèle sur le terrible « Claviceps » et ses éructations tandis que l'âme se perd et que les doigts se raidissent – les guitares n'étant pas en reste pour accompagner la grande envolée de l'esprit embrumé par le terrible fongique.

Tous les morceaux ne fonctionnent pas aussi bien toutefois, et nos moines suisses se perdent peut-être un peu dans l'aspect plus mélodique de cet album, ainsi que dans certains effets sonores impromptus. Mais ce second opus de Vígljós reste intelligemment construit, et si toutes ses expérimentations ne font pas mouche, il s'avère habité d'une folie très contagieuse.

Des spécialistes de l'art médiéval voient, dans certains retables et triptyques, les représentations grotesques de l'effet sur le corps du cordyceps. C'est le cas, par exemple, de deux personnages de mendiants amputés présents sur La Tentation de Saint Antoine de Jérôme Bosch. D'autres avancent même que ce génie de la peinture devait en expérimenter les effets – peut-être même volontairement. Le primitif flamand gardera pour lui ce secret. Mais les envolées vocales de Vígljós, terrifiantes et possédées par leur muse ergotée, nous ouvrent une petite lucarne sur la brume, la terreur et l'exaltation qui ont pu surgir de ce petit champignon.

 

 

Setlist :

1. Sowing

2. A Seed of Aberration

3. The Rot

4. Claviceps

5. Delusions of Grandeur

6. Decadency and Degeneration

7. Harvest

8. Fallow – A New Cycle Begins