
"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Roi du djent, ou plutôt roi du thall – qui semble maintenant être une étiquette à part entière – Vildhjarta est aussi le roi de l’étrange. Une fois de plus, il aura fallu batailler entre les rares messages cryptiques du groupe pour comprendre que nous allions avoir affaire à un troisième album, quatre ans (seulement ?) après Måsstaden Under Vatten. Et il faut aussi avoir fait quelques menues sessions de suédois sur Duolingo pour (essayer de) comprendre où veut en venir Vildhjarta, lui qui a donné à son nouvel opus un nom compliqué à déchiffrer/prononcer/retenir pour les profanes, à savoir Där skogen sjunger under evighetens granar, ce qui se traduit très poétiquement par « Là où la forêt chante sous les sapins éternels ». Ou plutôt faudrait-il écrire précisément + Där skogen sjunger under evighetens granar +, car le nom de l’album et tous les noms de morceaux sont présentés entourés de signes +. Pourquoi ? Parce que comme le dit le nom de piste d’ouverture de l’album, « Byta ut alla stjärnor på himlen mot plustecken » : « Remplacez toutes les étoiles dans le ciel par des signes plus ». Voilà voilà, c’est Vildhjarta, faut pas bien chercher à comprendre le pourquoi du comment. Ne nous creusons pas plus la tête avec le message encore plus abscons que les storys Instagram de Health, concentrons-nous sur la musique. Depuis Måsstaden Under Vatten, de l’eau a un petit peu coulé sous les ponts. Humanity’s Last Breath a pris de l’ampleur avec son incroyable Ashen, et quand on sait que Måsstaden Under Vatten était lui-même assez marqué du sceau du HLB de Buster Odeholm, on peut penser que ça ne fera que continuer. Buster Odeholm étant également un nom qui monte dans la scène en tant que producteur (Allt, Orbit Culture…), Vildhjarta est vraiment attendu au tournant. Et malgré que le line-up fonde encore un peu (parti de sept membres, la formation n’en compte plus que trois depuis le départ du guitariste historique Daniel Bergström, qui est toutefois encore crédité sur certains morceaux de cet album), Vildhjarta garde son aura… et bien plus encore.
Ceux qui suivent Vildhjarta savent à quoi s’attendre depuis Måsstaden (2011), suivant les démos djent un peu plus classiques : ce sera toujours du djent ultra dissonant, plein de cassures, imprévisible et d’une lourdeur à toute épreuve. La description du « thall », qu’on peut désormais appliquer comme un nouveau sous-genre, bien que la définition reste à l’image du groupe : cryptique. Par rapport aux deux Måsstaden, on constate quand même sur Där skogen sjunger under evighetens granar un léger changement d’ambiance, aussi appuyé par les artworks encore plus étranges que d’habitude. Moins « forestier » et nocturnal, Vildhjarta opte pour une atmosphère toujours glauque mais bien plus crade et désenchantée. Plutôt que les forêts suédoises, on penserait ici aux banlieues bien sales de Stockholm, entre loubards louches et points de deal. La production de Buster Odeholm – qui a ici la double casquette de batteur et bassiste – est bien sûr puissante et écrasante à souhait, mais sait rester gluante et organique. On s’éloigne un peu de la forme de Humanity’s Last Breath, malgré quelques vestiges de compos typiques, et sachant que Calle Thomér s’était détaché de la composition des morceaux de HLB. A vrai dire et avec le recul, Måsstaden Under Vatten se tassait un peu sur son second disque, passé les excellents « Kaos2 » et autre « Heartsmear » du premier CD. Där skogen sjunger under evighetens granar opte pour un format plus raisonnable que les 17 morceaux de son prédécesseur et se limite à 57 minutes, ce qui ne va pas pour autant le rendre plus digeste pour ceux qui trouvent les nombreuses dissonances trop stridentes et insupportables, mais soit. DSSUEG (c’est pas plus facile à retenir) va toutefois être aéré mais à sa manière, on notera d’ailleurs que Vilhelm Bladin multiplie les passages en chant clair (déjà remarqué sur le single « ? Regnet, the ? » au nom encore très cryptique) mais pour le reste il opte pour un unique chant encore plus grogné et sombre que d’habitude. Bref, (re)bienvenue dans l’univers ultra noir et repoussant de Vildhjarta…
A l’image de « Lavender Haze » qui ouvrait le (double) album précédent, Vildhjarta opte de nouveau pour un instrumental pour démarrer les hostilités, le fameux « Byta ut alla stjärnor på himlen mot plustecken » qui ne prend toutefois pas de gants et enchaîne déjà les riffs bien lourds et les mélodies inquiétantes. Après ça, Vildhjarta aligne menu et il va falloir être prêt. Alors que les deux précédents albums comportaient quelques tubes (on peut encore rappeler « Dagger » ou « Traces » sur le premier opus), Där skogen sjunger under evighetens granar est un disque particulièrement monolithique qui se prend d’une traite en pleine poire, en apnée et en encaissant les coups. Certes, avec des formats variant entre trois et sept minutes, on peut isoler des pistes plus immédiates (comme « ? Regnet, the ? » qui est tout de même le hit incontesté de l’album) comme des longues litanies paradoxalement prenantes et passionnantes ; à ce petit jeu c’est d’ailleurs « Sargasso » qui tire son épingle du jeu, avec des compos très mordantes tout du long accompagnées d’un break à mi-chemin d’une lourdeur effarante suivi d’une reprise au chant clair absolument magistrale. De toute façon, tout est dit dès le très inspiré « Två vackra svanar », qui montre aussi une mélancolie insoupçonnée qui va émailler une bonne partie de l’album (« Ylva » et son chant clair assez touchant, les breaks de « Där mossan möter havet » et « Röda läppar, sötä äpplen », le plus rampant « Viktlös & evig »). Et pour le reste, c’est lourdeur et dynamisme garantis : « Där mossan möter havet », « Kristallfågel » avec même un passage sacrément épique, « Hösten som togs ifrån mig » et ses dissonances agressives, « Stjärnblödning » avec son final incroyable… Trêves de palabres, le résultat est que Där skogen sjunger under evighetens granar est un album parfait, sans failles, du début à la fin, dès les premières écoutes et jusqu’au final très complet qu’est « Den spanska känslan » avec ses mélodies inoubliables. Si Vildhjarta a certes, c’est le moins qu’on puisse dire, dévié de la ligne mainstream de Periphery et consorts, son troisième album est l’aboutissement de son art et un monument du genre, du sous-genre « thall » de toute façon et du djent dans son ensemble. Totalement inspiré et en maîtrise totale de son style particulier, Vildhjarta est au sommet et Där skogen sjunger under evighetens granar fait très mal, tellement qu’il faut supporter ses dissonances constantes et son ambiance noire, mais du moment que notre kink c’est se faire du mal avec des trucs bizarres en suédois, c’est que du plaisir. Thall.
Tracklist de Där skogen sjunger under evighetens granar :
1. Byta ut alla stjärnor på himlen mot plustecken (3:44)
2. Två vackra svanar (5:13)
3. Sargasso (6:45)
4. Ylva (4:41)
5. Där mossan möter havet (3:48)
6. Röda läppar, söta äpplen (3:48)
7. Kristallfågel (4:03)
8. ? Regnet, the ? (3:30)
9. Hösten som togs ifrån mig (3:49)
10. Viktlös & evig (6:38)
11. Stjärnblödning (3:27)
12. Den spanska känslan (7:26)