
Death metal et science-fiction : une oreille dans les étoiles, une autre dans les enfers.
Un hippocampe désigne un poisson marin qui nage à la verticale. Mais l'hippocampe est aussi un petit morceau de votre cerveau, niché sous le cortex. La recherche a établi qu'il joue un rôle déterminant dans la structuration de notre mémoire à long terme, et donc dans l'émotion « nostalgie », lorsque des sensations ou des sonorités vous rappellent de lointains souvenirs. Par exemple, mon hippocampe à moi mouline à chaque fois que j'écoute le premier album d'Ancient Death, jeune groupe du Massachusetts, sorti le 18 avril dernier chez Profound Lore Records.
Le quatuor a sorti en 2022 un premier single, « Labyrinths of Self Reflection », que j'ai depuis écouté des dizaines de fois tant j'ai trouvé fascinant ce death metal mélodique, tortueux, d'une finesse et d'une fluidité surprenantes. Un EP, un split et une démo plus tard (trois sorties super chouettes !), nous voilà face au premier album du groupe, Ego Dissolution, qui contient notamment les trois pistes de la démo de 2024, « Unspoken Oath », « Breaking the Barriers of Hope », et « Violet Lights Decay ».
J'ai donc beaucoup attendu cette sortie, et me suis plongé dedans avec plaisir. Ancient Death continue de dérouler ses riffs death envoûtants et ses licks de guitare mineurs, avec lesquels se marie très bien le growl scandé de Jerry Witunsky.
Mais très vite, on se rend compte que le groupe a pris le temps, en trois ans d'existence, d'étoffer son registre. Ancient Death développe des compositions ultra-référencées, qui m'évoquent d'abord Venenum, avant de rembobiner plus loin encore, dans une galaxie où Cynic règne en maître. Les lignes de chant clair de la bassiste Jasmine Alexander, sur « Breathe – Transcend (Into the Glowing Streams of Forever) », et sur « Echoing Chambers Within the Dismal Mind », me rappellent même directement le dernier album d'Aghora, groupe floridien de prog-fusion, porté à l'époque par la talentueuse Danishta Rivero, et surtout par feux Sean Reinert et Malone, feux piliers de... Cynic (RIP). Pas surpris non plus de découvrir que Jerry Witunsky joue depuis 2023 dans Atheist, qu'on aura plaisir à aller voir jouer à Paris au mois de septembre.
Voilà donc pour la couleur des souvenirs qu'éveille en moi Ancient Death : quand la musique touchait mon cœur d'adolescent ignare, découvrant des écrins de finesse au cœur d'œuvres extrêmes. C'est d'ailleurs un point supplémentaire à accorder à Ancient Death sur cet album d'ailleurs : bien moins rentre-dedans que sur les premières sorties, les Américains prennent le temps de pondérer leur death old school avec des arpèges et des soli plein de mélo qui s'articulent avec des breaks nerveux. Pour autant, les compositions sont toutes lisibles, chaque chanson est d'une fluidité bluffante, à l'image de « Violet Lights Decay », qui clôture l'opus. Et en même temps, tout l'album est d'une richesse phénoménale, avec une densité de riffs au mètre carré qui place Ego Dissolution dans un club très fermé. Mention spéciale à « Unspoken Oath », peut-être ma chanson préférée du groupe, qui a toute sa place dans vos playlists death de 2025, avec son riff nerveux, sa basse ronflante et ses guitares entêtantes.
Ajoutons une dernière comparaison pour parler de cet album : la thématique de l'espace et de l'infini stellaire me fait naturellement penser à Blood Incantation qui, depuis quelques années, a choisi d'invoquer les dieux du krautrock pour dessiner son univers. De fait, Ancient Death s'engouffre un peu dans le même créneau thématique, avec un peu moins de psychédélisme et presque, voire autant de talent, mais en prêtant plutôt allégeance à Cynic et Morbus Chron pour nous faire voyager dans l'hyper-espace (« Journey to the Inner Soul »).
Finalement, c'est le genre d'albums qui me rappelle que c'est aussi un peu grâce au death metal que je suis fan de science-fiction, ou inversement, je ne sais plus trop. En tout cas, Ego Dissolution me procure de l'émotion, et si vous êtes, vous aussi, partisans d'un death metal ambitieux, alambiqué et irréprochable, alors Ancient Death pourrait bien faire vibrer votre hippocampe à vous aussi.
Tracklist de Ego Dissolution :
1. Ego Dissolution (5:02)
2. Breaking the Barriers of Hope (4:45)
3. Breathe – Transcend (Into the Glowing Streams of Forever) (5:11)
4. Journey to the Inner Soul (3:22)
5. Echoing Chambers Within the Dismal Mind (3:56)
6. Unspoken Oath (4:27)
7. Discarnate (1:35)
8. Violet Light Decays (6:54)