"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Arrivé en plein boom du death-chatico-bbrrmmmbroooombrmmllmmbrrbbm initié en Australie par Portal et Impetuous Ritual à la fin des années 2000, Mitochondrion était en quelque sorte la réponse nord-américaine à cette micro-scène, Teitanblood étant quant à lui la réponse européenne. La Mitochondrie avait su ramener ses accointances avec le war metal pour, déjà, proposer une variation un chouia plus malléable au metal ultra chaotique des profondeurs australiennes. Si Archaeaeon (2008) avait ouvert la voie, c’est surtout grâce à Parasignosis (2011) que les Canadiens se sont faits une place dans ce microcosme aux voies difficilement pénétrables, chantre du metal extrême le moins accessible du marché. Peu ont osé imiter ces maîtres, et le filon de ce metal le plus chaos a fini par se tarir, malgré l’arrivée dans le Portal-verse d’un Grave Upheaval et le fait que Portal lui-même a continué à faire apparaître le coin de son casque-horloge dans les bacs de manière plus ou moins régulière. Et Mitochondrion, quant à lui, s’est terré presque aussi vite qu’il était apparu. Un EP, Antinumerology, avait suivi de peu Parasignosis (en 2013), et puis plus grand-chose voire plus rien. Alors que le line-up avait légèrement évolué avec l’arrivée de Sebastian Montesi du groupe Auroch, lui aussi disciple du metal du chaos, et quand bien même il a eu le temps d’explorer sa propre vision du genre coldwave avec Saturn’s Cross, on attendait le retour de Mitochondrion, un jour peut-être. Alors que Vessel Of Iniquity avait lui tenté de reprendre le flambeau en Angleterre sans réel succès si ce n’est des réels initiés, voilà enfin que la Mitochondrie ressort de sa cellule d’accueil. Avec un troisième album annoncé bien vite et sans crier gare à la fin de l’été 2024, 13 (!) ans après Parasignosis. Toujours chez Profound Lore, qui n’a jamais rechigné à se faire le témoin auditif des enfers, et en plus avec ce qui est annoncé comme un double album… Est-on prêts à affronter un metal aussi infernal pendant une durée insoutenable ? Même le groupe a moqué les moins courageux et a multiplié les messages cryptiques… Le Chaos est donc bien de retour.
Mais après des années à baigner dans un metal extrême qui s’est échiné à repousser les limites, n’est-on pas désensibilisé de ce genre autrefois étouffe-chrétien et impressionnant, maintenant vu par certains comme une démonstration stérile de cacophonie inutile ? Un Ævangelist en a fait les frais, et un Vessel Of Iniquity n’a pas réussi à convaincre avec des efforts finalement inégaux. Si Portal et Teitanblood ne sont jamais loin et semblent continuer à faire l’unanimité, il fallait quand même que quelqu’un vienne donner un petit coup de pied dans la fourmilière. Mitochondrion est donc de retour et va presque re-révolutionner la scène comme il l’avait fait à l’époque de Parasignosis. Avec, à nouveau, quelque chose de plus digeste, d’un peu plus « propre » et compréhensible, de plus structuré, alternant pertinemment les tempi. On se souvient de Parasignosis et son départ sur un morceau en trois parties (« Pestilentiam Intus Vocamus, Voluntatem Absolvimus ») : Vitriseptome va reprendre cette idée et la pousser encore plus pour proposer un album achalandé autour d’interludes « à crochets » laissant place à des suites de morceaux sans discontinuité. Cela a beau être un double album - séparé au format physique entre « Flail, Faexregem! » et « [Calcination] » - mais c’est davantage parce que l’œuvre atteint 85 minutes. Pour le reste, c’est une unique et longue épopée dans le chaos qui nous attend. L’art de Mitochondrion n’a pas foncièrement changé depuis 13 ans, mais la progression musicale est réelle. Vitriseptome sera donc un album nettement plus ambitieux et surtout plus riche, si l’on peut parler de richesse pour un tel genre de musique, plutôt de densité. Cela a beau être un style « bordélique » par essence, tout ici paraît clair et aéré, la production se permettant même d’être un peu plus abrasive que celle de Parasignosis, tout en restant ultra terreuse. Les effets d’ambiance se multiplient, surplombant une section rythmique frappadingue au possible mais très volubile et surtout inspirée de bout en bout. Le chant glaireux et rauque de Shawn Haché est tout à fait excellent et se montre vraiment entraînant - incroyable pour un tel sous-genre de metal en soi. Et on constatera aussi un nombre impressionnant d’instruments et de percussions improbables utilisés pour Vitriseptome (timpani, flûtes, mortier, os, mandoline, bandonéon…), pour un véritable capharnaüm… écoutable ?
Après l’intro qu’est « [Malascension] », Mitochondrion ne perd d’ailleurs pas de temps avec d’emblée un incroyable « Increatum Vox », entrée en matière déjà jusqu’au-boutiste mais particulièrement efficace, on se laisse emporter par le rythme remuant de ce séisme sonore. Vitriseptome reprend donc le schéma de Parasignosis avec un trio « Increatum Vox » - « The Erythapside » - « Oblithemesis » sans temps mort et avec des durées imprévisibles, et va ensuite appliquer la recette dans tous les mouvements distincts de l’album. Soyons clairs, ce n’est pas un genre à « tubes » même si « Increatum Vox » fera aisément office d’échantillon pour les playlists Spotify, et Vitriseptome sera donc à encaisser d’une traite même s’il faudra prendre une très grande inspiration avant de s’y plonger. La cohérence est parfaite et les interludes permettent de respirer de temps à autre - il y en aura même deux de suite à un moment, Heretic style - et Vitriseptome n’en sera que plus jouissif, si tant est qu’on puisse employer ce terme. Il n’y a plus qu’à affronter le chaos, chacun à sa manière, et chacun y extirpera ce qu’il pourra, dans un genre de toute façon fondamentalement indescriptible dans son ensemble. On réussira par exemple à s’attarder sur « Vacuuole » avec ses dissonances très en verve, ses effets d’ambiance monumentaux et ses ralentissements très poisseux ; « Argentum Mortifixion » qui contraste entre lourdeur absolue et leads plus mélodiques (!) ; les compos d’une complexité encore plus accrue de « The Cruxitome » ; ou encore la brutalité sans pitié d’un « Viabyssm ». Le chaos nous entoure tellement qu’on essaie de se raccrocher aux branches, et il y en aura dans ce disque d’une richesse rare, paradoxalement aussi repoussant qu’il est passionnant. On trouvera même que « Flail, Faexregem ! » est l’autre « tube » de ce Vitriseptome malgré ses 11 minutes ; et d’ailleurs Mitochondrion ne veut pas nous lâcher, jusqu’au bout du bout de l’aventure vu que l’album se permet de se terminer par deux morceaux de 11 minutes à la suite. Ouf. Vitriseptome est presque le pinacle du genre tant il va au bout des choses et tant il explore un tas de voies, souvent toutes en même temps mais qu’importe, c’est assurément l’album le plus dense et versatile sorti dans ce microcosme du metal des enfers et du chaos. A savoir si vous préfériez une décharge d’agression brute sur une courte durée ou cette exploration minutieuse de la dimension du chaos en prenant le soin de retranscrire chaque détail, aussi complexe ou clair soit-il. Ce qui est sûr, c’est qu’encore une fois, Vitriseptome est une sacrée expérience, de la part d’un Mitochondrion qui a bien fait de se terrer pour mieux étudier le chaos et nous en faire un manifeste, bien écrit et qui nous donnera envie de nous perdre dans les abysses pour avoir la satisfaction d’en ressortir.
Tracklist de Vitriseptome :
1. [Malascension] (0:30)
2. Increatum Vox (7:28)
3. The Erythapside (2:58)
4. Oblithemesis (5:35)
5. [Antimonphoresis] (1:13)
6. Vacuuole (8:46)
7. Flail, Faexregem! (11:24)
8. [Calcination] (0:23)
9. The Protanthrofuge (6:12)
10. Argentum Mortifixion (7:49)
11. Ignis Caecus (1:55)
12. [Intraluxiform] (0:43)
13. The Cruxitome (5:29)
14. [] (0:23)
15. Vitriseptome (1:37)
16. Viabyssm (11:11)
17. Antitonement (11:22)