"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Dans ma quête des projets musicaux les plus originaux possibles, mélangeant des styles improbables, lorgnant vers de l’expérimentation futuriste sous couvert d’avant-garde et finissant par ne ressembler à rien d’autre qu’à eux-mêmes ; j’avais pu vous parler de qip, projet death indus cinématique du polonais – relocalisé en Irlande du Nord – Maciek Pasinski, à l’occasion de la réédition de son premier album On Ephemeral Subtrates en 2016. Le modeste Pasinski-verse, né il y a bien longtemps avec Sirrah, s’est ensuite bien vite étendu avec Scald, défunt groupe de deathgrind nord-irlandais ressuscité sous l’impulsion du musicien Polonais. Et alors que Scald avait pris une direction expérimentale au cœur des années 2000, sa « régénération » en 2021 avec Regius I avait accouché d’un sacré monument, fusionnant les aspirations expérimentales de Vermiculatus et Fluke avec le death indus très moderne de qip. Et alors que la sortie de Regius II s’est depuis précisée, avec déjà trois extraits et des paroles d’autres futurs morceaux dévoilées, le Pasinski-verse s’étend aujourd’hui avec un nouveau projet du nom de Pincer Consortium. Maciek entraîne ici Pete Dempsey, son comparse chez Scald, pour le rôle de concepteur et de parolier. Le combo semble assumer se démarquer de Scald, dont les sorties sont avant tout des compos inachevées retravaillées, mais sans pour autant livrer un style totalement différent… A l’écoute des premiers extraits parus de Geminus Schism, Pincer Consortium va donc se placer dans la lignée de qip et Regius I de Scald. Mais si ce dernier avait pu être un franc repoussoir en raison de son style très avant-gardiste, grandiloquent et particulièrement singulier – son concept et ses « paroles » en sus – Geminus Schism va donc logiquement jouer la carte d’un art plus accessible. Mais attention, le « style » Pasinski-Dempsey demeure tout de même insaisissable. Mais après tout, nous sommes entre gens qui en ont marre des disques aux influences trop perceptibles qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, et qui aimons les grandes prises de risque là où certains diraient « mais c’est n’importe quoi ton truc ça ressemble à rien », n’est-ce pas ?
Pour résumer Geminus Schism grossièrement, c’est donc une version plus « light » de Regius I, sans invocations de divinités vermiculaires, et globalement moins avant-gardiste même s’il faudra toujours batailler pour trouver de réels points de comparaison avec des groupes existants. Lui se décrit comme « An idiosyncratic, verbose, narrative-driven blend of death, black and industrial metal brimming with endless layers of vocals and serpentine rifforama » ; « A hyper-progressive, industrial, death, black metal recital » en version courte. On dira plus simplement que Pincer Consortium prend la voie d’un death aux aspérités plus black, plus progressif qu’expérimental, toujours un peu « indus » mais davantage dans un esprit très mécanique et toujours aussi futuriste. On oscillera d’ailleurs pendant 55 minutes entre morceaux tortueux, presque « atmosphériques » à leur manière, et pistes autrement plus directes et « metal » comme avait pu l’être un « Ectoprocta Krystos » sur Regius I. Les ambiances implacables sont elles héritées de qip, de même que le riffing global et bien sûr les vocaux rauques de Maciek Pasinski (ici doublé par Pete Dempsey mais je ne saurai dire dans quelle mesure exacte). Si bien sûr l’aura de Regius I reste dans les parages, ne serait-ce que pour certaines particularités (des voix plus théâtrales, des envolées épiques qui faisaient son sel), Pincer Consortium sait quand même se démarquer ne serait-ce qu’avec des équilibrages différents et ce de manière qui apparaît bien vite évidente, quand bien même présenter Geminus Schism comme un nouvel album régulier de Scald passé les Regius n’aurait pas été un scandale. Pincer Consortium en profite même pour franchir un pas en se retrouvant sur un label (le polonais Deformeathing Production), et même si c’est une formation relativement « underground » à ce moment, se dote d’une production assez moderne et stupéfiante, Maciek faisant un sacré boulot de ce côté depuis quelques années. Il ne nous reste qu’à nous plonger dans cette œuvre 100% originale, dans tous les sens du terme d’ailleurs.
L’ouverture se fera d’ailleurs sur le très épique, même mélodique, « Alpha Omega Decay » on l’on retrouve un peu l’aura de qip et Regius I, dans une version plus aérée et digeste. Le metal se pose classiquement avec des trémolos et des blasts, et ces growls toujours aussi particuliers mais finalement accrocheurs, vite doublés par ces sortes de voix claires qui mine de rien vont prendre pas mal de place sur l’ensemble de l’album. Le tout est même franchement entraînant, grâce à des compos inspirées, une ambiance déroutante mais prenante, et de francs moments de grâce notamment pour ces paroles punchlinesques (« For the greater good - and the lesser evil / For the lesser good - and the greater evil », un « refrain » franchement fédérateur). Si l’on retrouve donc le côté monumental de Regius I, Geminus Schism est quand même un album plus frontal, en sera directement témoin « Twin Galactic Tides » qui joue plus la carte d’un black/death dissonant où Pincer Consortium jouerait presque sur le pré d’un Deathspell Omega voire d’un Ulcerate avec des guitares plus occultes, complexes et aliénantes – le tout dans une version plus moderne (avec même des riffs groovy) mâtinée de black indus. C’est un peu la particularité propre de Pincer Consortium, avec dans cette lignée le très agressif et encore plus tech-dissonant « Dual Termination Shock », ou encore l’apocalyptique « Spectral Dyad » qui démarre à vitesse supersonique avant d’aligner des compos implacables de black/death ultra moderne qui se diluent dans une partie finale assez formidable. Pour le reste, Pincer Consortium travaille son art sur des morceaux autrement plus atmosphériques et résolument progressifs, notamment pour le fleuve et prenant « Schizoid Rivalry | Double Occultation » (fusion de deux morceaux séparés dans leur version initiale), à la fois mystique et enlevé ; ou encore le plus lourd « Tandemic Dispersal » qui après un départ feutré magnifique repousse déjà l’aspect mélodico-épique et complexe (quel final !) de Pincer Consortium. Tellement dépaysant qu’on en vient à changer de dimension…
L’excellent « The Bi-fold Conclusion » conclut Geminus Schism de manière plus futuriste et grandiloquente que jamais, à l’instar de « Vermageddon » de Regius I, avec les vocaux et les riffs les plus efficaces du disque, l’inspiration de Maciek étant à son firmament (cf. les leads mélodiques improbables mais fantastiques, alors que les dissonances reviennent aussi). Une conclusion plus électronique et on revient dans notre univers et notre espace-temps, quoique ce n’est pas tout. Il faut s’attarder sur une des autres particularités de Geminus Schism, qui s’avère être accompagné d’un artbook digital de (tenez-vous bien)… quatre-cents-quarante-huit pages !!!! En effet, Maciek a illustré chacune des lignes de paroles de l’album par un artwork différent. Alors bien sûr, c’est avec de l’IA (tout de même retravaillée ?). Mais le résultat est bluffant et vaut le détour, illustrant de manière très imagée et conceptuelle l’intégralité des thèmes de l’album, qui vont de la schizophrénie et des combats intérieurs aux sciences physiques complexes en passant par des mathématiques un brin absconses ; le tout tournant autour du thème des gémeaux et de la dualité. Cela contribue finalement à faire de Pincer Consortium le projet futuriste par excellence. Et à l’instar de Scald, à la fin de sa période régulière ou pour sa période « régénérée », et même de qip, de faire de Pincer Consortium un groupe unique en son genre, ou en son mélange des genres. Certes, Pincer Consortium est le groupe du Pasinski-verse le plus accessible, grâce à un aspect black/death progressif plus prononcé et assumé et des influences plus reconnaissables par moments. Mais il n’empêche qu’originalité et singularité sont de mises à chaque instant, et qu’il faudra accrocher à ces ambiances si particulières, ces chants un brin pompeux, ce riffing très moderne et finalement osé. Si Regius I vous apparaissait comme trop étouffant et repoussant, Geminus Schism pourrait bien réussir à vous happer dans l’univers trans-dimensionnel créé en plein milieu de l’Irlande du Nord. Pour ma part, je continue à préférer Regius I, Geminus Schism a quelques petites longueurs mais reste une expérience incroyable et surtout très réussie malgré la bizarrerie permanente de la chose. Mais malgré des similitudes évidentes, Pincer Consortium n’est pas Scald et amène des éléments et équilibrages différents pour convaincre le plus grand nombre. Alors si vous aimez que votre metal voire même que votre musique ose des choses nouvelles, n’ayez pas peur et entrez dans le Pasinski-verse…
Tracklist de Geminus Schism :
1. Alpha Omega Decay (6:55)
2. Twin Galactic Tides (6:36)
3. Schizoid Rivalry | Double Occultation (11:16)
4. Dual Termination Shock (4:43)
5. Tandemic Dispersal (9:08)
6. Spectral Dyad (7:44)
7. The Bi-fold Conclusion (8:18)