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jeudi 4 mai 2023

La Dispute + Pool Kids + Oceanator @Paris

Petit Bain - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

La Dispute devait déjà passer à Paris en avril 2020 pour présenter l'album Panorama, mais une certaine pandémie a contrecarré les plans de l'industrie musicale mondiale. Qu'à cela ne tienne, le groupe culte du Michigan revient trois ans plus tard pour une tournée anniversaire (là encore c'est raté, les 10 ans sont tombés en 2021) de son album légendaire Wildlife. Pour marquer le coup, le disque est joué en intégralité et dans l'ordre, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Pour l'occasion, Petit Bain affiche complet et une foule de gens à la larme facile remplit le bateau parisien.

 

Oceanator

J'entre dans la cale de Petit Bain et une personne seule sur scène est déjà en train de se produire. Il s'agit d'Oceanator, projet piloté par Elise Okusami, artiste de rock indé new-yorkaise. Pour ce set et pour cette tournée en général, Oceanator se défait de son line-up live, de ses percussions, des riffs saturés et des claviers présents sur quelques tracks. Elise Okusami est seule pour répéter ses arpèges réverbérés dans une prestation bien plus minimaliste.

L'ambiance est très clairement ancrée dans la scène indie des années 90, avec des influences grunge, alternatives et des notes à la Elliott Smith (sans le lo-fi). Contrairement aux deux autres groupes de la soirée, pas de traces emo, mais plutôt des touches power pop même si l'instrumentation restreinte ne retranscrit pas la puissance des power chords présents sur album.

Pour son premier passage en Europe, l'artiste joue principalement des titres de son dernier album et des morceaux comme « The Last Summer » prenne bien. Aussi, pour une performance reposant autant sur le chant, peu de pains vocaux sont à déplorer. En somme, le show d'Oceanator a été un avant-propos qui a eu le paradoxal mérite de fédérer une foule d'emo kids tout en proposant quelque chose de différent des habituelles premières parties midwest emo.

 

Pool Kids

Les lecteurs-trices attentifs-ves se rappelleront que j'avais déjà parlé de Pool Kids dans la Bagarre #17. Leur dernier album, bien qu'un peu long, avait marqué une partie de mon été 2022 et la perspective de les voir en live attisait ma curiosité.

Lorsque le groupe entre sur scène, c'est à se demander si on est bien en 2023 : le guitariste arbore un fier mulet et la chanteuse guitariste des couettes et une jupe à chaines. La musique ne vient rien démentir, car il s'agit d'un savant et délicieux mélange entre emo et math rock avec une energie pop punk, qui prend tout son sens en livre, autant dans l'ampleur du son que dans la portée de son aura adolescente.

Le son dans la cale de la péniche est excellent et rend honneur à la chaleur des montées en puissance du groupe. Le chant de Christine Goodwyne est bluffant en voix de tête, même si un peu moins juste quand en chant murmuré. Cinq des six morceaux sont issus du dernier album et c'est vrai qu'en premier lieu « Five-Time 2nd Place Winner », seul titre du premier disque, peut trancher avec l'énergie plus frontale des titres récents, mais le tout se mêle plutôt harmonieusement. Quoiqu'il en soit, les tubes absolus que sont « That's Physics, Baby » et « Conscious Uncoupling » brillent de mille feux et régalent la salle entière. Entre deux morceaux, le groupe remercie d'ailleurs le public français pour le bon pain et pour Birds in Row.

Pool Kids déploie une formidable énergie, toujours habile et sans sombrer dans le piège adolescent du pop punk ni l’hermétisme du math rock. C'est éminemment émotif mais plein de lumière et avec une générosité débordante. Je suis complètement stupéfait de voir un groupe en 2023 capter aussi bien une énergie et une sensibilité MTV défunte 15 ans plus tôt. Sur le dernier titre, « Talk Too Much », la fosse commence à s'animer, la bassiste chante, la foule l'acclame et vient confirmer par une ambiance enflammée le triomphe que la Floride vient de donner à Paris.

Setlist :
1. Swallow
2. Physics, Baby
3. Five-Time 2nd Place Winner
4. I Hope You're Right
5. Conscious Uncoupling
6. Talk Too Much

 

La Dispute

La salle est remplie par un public visiblement acquis à la cause du groupe, partagé entre trentenaires à bonnets nostalgiques et emo kids impliqués. Peu importe l'ancienneté des écoutes ou le parcours musical, quand « a Departure » commence à retentir, le public réagit comme un seul corps. Dès les premières notes et malgré ce que son style vocal exige, Jordan Dreyer sillonne la scène, un peu essoufflé pour son propre phrasé. Pour le public, c'est « Harder Harmonies » qui démarre véritablement la fosse.

La Dispute a beau jouir d'une grande vénération, Wildlife a 12 ans, ses paroles sont longues et le delivery du chanteur difficile à imiter. Pourtant, les fans ne manquent pas une seule catchphrase. Du « Don't make the same mistake as me » de « Edit Your Hometown » au « I guess I figured that it hurts for a reason » sur « a Letter », la foule hurle à l'unisson. Cette harmonie partagée me donne des frissons d'excitation, moi qui ai découvert La Dispute trop tard pour maîtriser aussi bien chaque ligne.

Les Michiganais s'arrêtent une première fois pour nous remercier. Ils disent que jamais ils n'auraient pu imaginer que ces morceaux écrits alors qu'ils étaient des jeunes adultes perdus les emmèneraient aussi loin de Grand Rapids et qu'ils les joueraient encore 12 ans plus tard. Ils en profitent aussi pour s'excuser de la prononciation de leur propre nom de groupe. Ce soir, il est facile de leur pardonner une romantisation hasardeuse du français, car l'intensité de Wildlife est intacte après plus de dix ans. Aucun morceau n'a vieilli et le groupe l'interprète avec fluidité et élégance. Jordan, évidemment, brille par sa présence et confirme sa place sur le podium des meilleurs chanteurs du style, tant son alternance entre chant de tête et chant saturé est incroyable.

Bien entendu, la fureur du public prend une tournure inédite quand les premières notes de « King Park » sont lancées. La péniche se transforme en kermesse chorale le temps d'une chanson. Malgré une décennie de concerts, j'ai rarement autant ressenti une impression de communauté que lorsque Petit Bain a scandé « Can I still get into heaven if I kill myself ». Mais une fois le morceau terminé, l'intensité ne faiblit pas et se poursuit sur le groove de « Edward Benz, 27 Times » et sur le reste du set.

Avant « a Broken Jar », Jordan prend le micro pour un long discours terriblement emo mais touchant. Il se rappelle les émotions qu'il ressentait à l'écriture de ces morceaux, de l'impression d'avoir le poids de l'univers sur ses épaules de gamin de 20 ans et ce sentiment de vide existentiel qui ne le quittait pas. Même s'il a grandi, il affirme que le disque est toujours d'actualité et que le contexte anxiogène et la montée continue de l'autoritarisme et du fascisme montrent à quel point le propos de Wildlife sur le désespoir et l'importance de trouver une communauté qui nous ressemble reste aussi pertinent et qu'il y trouve une énergie galvanisante.

En tous cas, avec ce concert, il a su montrer que La Dispute n'est pas le symbole vieillissant d'une scène dépassée et que la fureur de cet exceptionnel album sait encore trouver de nombreux échos. Et ce n'est pas le superbe rappel avec « Andria » et les deux morceaux issus du split avec Touché Amoré, compositions qui ont entre 13 et 15 ans, qui lui donnera tort.

Setlist :
1. a Departure
2. Harder Harmonies
3. St. Paul Missionary Baptist Church Blues
4. Edit Your Hometown
5. a Letter
6. Safer in the Forest/Love Song for Poor Michigan
7. The Most Beautiful Bitter Fruit
8. a Poem
9. King Park
10. Edward Benz, 27 Times
11. I See Everything
12. a Broken Jar
13. All Our Bruised Bodies and the Whole Heart Shrinks
14. You and I in Unison
Rappel :
15. Andria
16. How I Feel
17. Why It Scares Me

 

De chaleureux remerciements à Veryshow et à Zoé, à l'équipe de Petit Bain, à la Dispute pour la poésie furieuse, à Pool Kids et Oceanator.