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Série Noire #3 - Mystifier, Lucifer's Child, Cailleach Calling,...

vendredi 8 avril 2022
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

La Série Noire, rubrique Black Metal concoctée par les soins de notre équipe, revient pour sa troisième édition ! Tous les deux mois, nous revenons sur les sorties qui nous ont marqués parmi toutes les sous-branches diverses et variées du genre, dans le but de vous proposer une sélection aussi représentative que possible de l'actualité - et de nos coups de coeurs.

Pour ce début avril, nous revenons donc sur les sorties de février et mars : du Post-Black le plus chiadé jusqu'aux sonorités les plus sauvages et régressives en passant par des noms à la longue carrièrecomme Mystifier, voici donc une sélection diverse mais forcément, comme toujours, non exhaustive. N'hésitez donc pas à nous partager vos découvertes !

 

 

Obšar – Počornily Horŷ, Počornily Lisŷ
Black Metal Atmosphérique – Slovaquie (Void Wanderer Productions)

 

Malice : L'ex-Tchécoslovaquie (car il est difficile de séparer musicalement les deux scènes) risque fort de faire des apparitions récurrentes dans cette rubrique. Terre de pionniers du style avec les inévitables Master's Hammer et Roots, elle a ces dernières années produit quelques véritables fers de lance racés, à l'identité très marquée. Dans la précédente Série Noire, j'avais parlé de Krolok, Matthias avait évoqué Stangarigel - deux side projects des membres de Malokarpatan. Avec Obšar, on change de décor. Les Slovaques ont sorti le 18 février dernier leur second album, Počornily Horŷ, Počornily Lisŷ, et ce serait difficile de comprendre qu'ils ne prennent pas une autre dimension. 

Dans l'idée, Obšar et son ode aux montagnes et aux forêts de ... Ruthénie subcarpathique (du moins c'est ce que j'ai cru comprendre, le groupe ne chanterait pas en slovaque mais dans une langue locale) peut un peu rappeler un Saor : les mélodies très aériennes et de "Počornily Horŷ, Počornily Lisŷ" y ramènent vaguement. Plus que l'atmosphère, c'est la mélodie qui porte bel et bien la musique ici. On plane, réellement, malgré ce chant rocailleux si typique du pays. L'ombre du maître (Master's Hammer, pour ne pas le nommer) survole l'album, sans cette bizarrerie mais avec ce même sens de la composition. Les passages acoustiques introduisent ("Bilyj byk") ou laissent respirer idéalement les compositions.

Sur le fantastique morceau central, "Cervene Sonce" ("soleil rouge"), des choeurs féminins et un piano prennent par surprise avant une ligne mélodique de guitare qui, pour le coup, aurait sa place au sein des meilleures compositions de Cult Of Fire - autre groupe tchèque, et pas slovaque, auquel on pense tout au long de l'écoute. Obšar parvient à nous garder en haleine (un chant clair étonnant surgit par exemple sur "Anti"), et la lassitude ne s'installe pas une seconde. À n'en pas douter un opus qui figurera très haut donc mon top de fin d'année. Et dans le vôtre, si les références citées vous parlent, je m'y engage!

 

Cailleach Calling – Dreams of Fragmentation
Post Black Metal – USA (Debemur Morti Productions)

S.A.D.E : Label de renom s'il en est, Debemur Morti a sorti en mars dernier le premier album de Cailleach Calling, toute jeune formation californienne. Avec deux membres de Dawn of Ouroboros et un ancien White Ward, le line-up du groupe fait néanmoins montre d'une expérience non négligeable, et que l'on ressent immédiatement à l'écoute de Dreams of Fragmentation. De la production aux compositions, on perçoit qu'il y a une maîtrise déjà profonde. Dans un registre post-black metal, le trio se pare d'une fausse douceur hypnotique dans ses riffs que vient briser le chant incroyablement éraillé et désespéré de Chelsea Murphy (qui fait également de belles performances en chant clair). Cailleach Calling nous ouvre la voie d'une errance urbaine aussi méditative que fiévreuse : on est pris dans un tourbillon qui ne ralentit que pour mieux nous surprendre à l'assaut suivant, le tout sans que jamais l'agression ne soit le message ultime. Black metal oblige, rien n'est complètement apaisé mais il se dégage, tant dans les guitares que dans les arrangemments électroniques, une forme de sérénité stable, certes souvent troublée mais jamais anéantie. Cailleach Calling brode avec minutie un post Black metal de qualité, n'hésitant pas à s'aventurer dans des imaginaires souvent éloignés des canons du genre.

 

Cult of Azura – Cult of Azura
Black Metal – Canada (Indépendant)

Matthias : Les puristes du Black Metal n'en étaient sans doute pas pleinement conscients, mais leur mode d'expression dark et trve favori nécessitait encore deux éléments pour mériter pleinement ses titres de noblesse ; un groupe venant de Terre-Neuve, et des compositions sur la saga The Elder Scrolls. Et c'est bien ce que nous propose Cult of Azura, formation issue de l'île déchiquetée de l’Atlantique nord qui couronne l'entrée de l'estuaire du Saint-Laurent : plonger dans un univers vidéoludique popularisé par Skyrim, mais qui s'étend bien plus profondément. Car, les puristes l'auront deviné, nos Terreneuviens mettent surtout le lore de Morrowind en avant, monument du jeu vidéo certes désuet par certains aspects, mais à la beauté envoûtante et aux ramifications philosophiques et mythologiques rarement égalées.

Quant à la musique, Cult of Azura professe un Black Metal assez brut, très années 80 dans ses sonorités sur "Clockwork City", avant de nous surprendre avec un superbe morceau éponyme aux accents de foi sincères – malgré une batterie un peu trop présente. Les 11 pistes de l'album se révèlent assez variées tout en partageant un aspect mystérieux, et même carrément hermétique pour le profane. Un Black presque raw sur "Foul Murder", puis s'essayant à quelques riffs sur "Numidium", ou plus mélancolique encore sur "The Refugees". Avec, toujours cette voix rauque à un point difficilement descriptible. L'ensemble est parfois inégal et manque certes de moyens, et ça s'entend, mais le projet est solide et visiblement menée par des exaltés parmi les Dunmers. Une vraie curiosité pour le N'wah.

 

 

Eisflammen - Следуй за мной (Follow Me)

Malice :  Exactement comme pour la précédente, mes deux entrées pour cette Série Noire seront donc respectivement slovaque et russe. L'homme derrière Eisflammen, Vyacheslav Oboskalov, est plus connu pour son autre groupe, Elderwind, qui a passé le cap du live l'année passée (et qu'on ne verra probablement pas de sitôt sur nos scènes, forcément). Eisflammen, cependant, est un peu moins contemplatif que les premières sorties d'Elderwind, dont The Magic Of Nature avait fait un sacré buzz à sa sortie en 2012. J'en profite pour dire que le dernier ElderwindFires, sorti en 2021, est une vraie perle, digne des débuts du groupe, et passée sous mon radar l'année passée.

Ce Follow Me, second album d'Eisflammen, paraîtra peut-être un peu "atmo bateau" à ceux qui se sont lassés, ces dix dernières années, des innombrables albums à pochette Chasse & Pêche. Son morceau-titre, malgré un refrain très efficace (c'est peu courant dans le style), tarde un peu à faire monter la sauce. Mais si l'incroyable enchaînement "The Bonfires" et "Like Ash" ne vous prend pas aux tripes, c'est peut-être bien que l'atmo, ce n'est plus pour vous. On est sur une vraie démonstration de maîtrise au niveau des transitions, des mélodies (cette reprise après les choeurs sur "Like Ash"!). Je ne vais pas m'en cacher : "The Bonfires" manque de m'arracher des larmes, lors de chaque écoute. Le poignant "idi ka mnie !!!" ("viens à moi") vociféré par Maxim Lomonosov touche quelque chose en moi, peut-être de très personnel, mais qui m'a poussé à parler de cet album qui, peut-être ne restera pas dans les mémoires de beaucoup. Plongé dans la pochette sublime (et mouvante, sur YouTube!) de ce Follow Me, on termine cependant l'écoute avec plaisir, malgré la longueur de l'excellent titre final. Je ne parlerai pas de cette "âme slave" usée jusqu'à l'excès dans les évocations de la culture russe, mais le black metal des steppes sibériennes proposé par Eisflammen m'a par moments rappelé la puissance de celui qui peut se faire de l'autre côté du Don. Celui des Drudkh, Ygg ou Svrm. L'ironie ne vous échappera pas...

Heltekvad – Morgenrødens Helvedesherre
Black Metal – Danemark (Eisenwald)

Circé : Derrière le nom encore assez inconnu d'Heltekvad se cache celui d'Afsky, qui avait sorti en 2020 l'excellent Ofte jeg drømmer mig død dans un style atmosphérique et mélodique certes classique mais diablement bien composé. Le cerveau principal du projet danois, apparemment accompagné ici de deux de ses compères l'accompagnant déjà en live sur Afsky, nous sort donc un nouveau projet sous le nom d'Heltekvad. Tout aussi classique mais excellent, le trio s'offre de plus directement une signature chez les très en vogue Eisenwald. L'étiquette “black médiéval” se révèle malheureusement être plus un prétexte pour la pochette, qu'un élément musical en lui même à l'exception de quelques intros vites oubliées dès que les guitares commencent. Rien à voir ici avec l'ambiance d'un Véhémence, par exemple. Au delà de cela, les Danois proposent un album d'un black mélodique de haute volée, allant de riffs lancinants en envolées épiques, avec des mélodies toujours prenantes et un feeling typiquement 90s. Heltekvad sait varier le ton, mais c'est tout de même une forte mélancolie qui se dégage des morceaux, hantés de longues plaintes dépressives qui touchent juste sans aller dans la surenchère. En somme, on maîtriste l'art de chialer aussi bien que celui du trémolo picking. Surtout, on ne se perd jamais dans des longueurs pour un album court d'une trentaine de minutes. Il est un peu dommage de voir cet opus comme une simple continuation d'Afsky, mais... la parenté est évidente, et le nouveau-né plus qu'excellent.

 

 

Wan – Antichristian Douchbags
Black Metal primitif – Suède (Corrupted Flesh Records)

S.A.D.E : Sauvagerie et régression. Voici les maîtres mots guidant les compositions de Wan. Les Suédois se sont formé au début de la décennie passée mais c'est seulement avec ce nouvel (et quatrième) album que je les découvre. Portée par un esprit Black metal primitif et punkoïde, la musique de Wan est tout ce qu'il y a de plus bêtement agressif : guitare tranchantes, tempo galopant, chant écorché et haineux, tout est là pour vous accueillir comme il se doit. Wan aime se vautrer dans la fange crasseuse des origines du Black metal et la condition pour qu'un tel parti pris tienne la route, c'est qu'il faut que les riffs tiennent la route. Et globalement, les Suédois parvient à faire les choses plutôt bien : tout en restant dans les carcans étroits du Black metal old-school, le quatuor propose une belle collection de riff à l'efficacité redoutable et méchante. Il y a bien quelques titres dispensables et quelques passages à l'interêt limité mais globalement Wan réussi son pari. Ni nouveautés, ni fioritures, ni concession : les Suédois restent droits dans leurs bottes et proposent un album tendance défouloir. L'objectif est clair et en plus, il est atteint.  

Mystifier/Lucifer's Child – Under Satan's Wrath
Black Metal – Brésil/Grèce (Agonia Records)

Matthias : A lire interviews, souvenirs de tournées et témoignages divers, il semblerait qu'une certaine affinité s'est très vite développée entre la scène Black Metal hellénique et celles de différents pays d'Amérique du Sud, et du Brésil en particulier. De quoi motiver des groupes de l'Ancien et du Nouveau Monde à collaborer pour sortir des splits en tout cas ; comme ce Under Satan's Wrath, sorti chez Agonia Records, et qui rassemble les vétérans de Salvador de Bahia de Mystifier avec les Athéniens de Lucifer'Child.

D'emblée, Under Satan's Wrath est une belle création : avec 33 minutes et six pistes, trois pour chaque groupes, on n'est plus très loin d'appeler ça un album. Les Brésiliens ouvrent les hostilités avec leur Black primitiviste mais plutôt bien composé - et surtout bien joué, ça mérite d'être signalé. Très beau travail à plusieurs voix sur "Death Beyond Holy Creation", et même quelques envolées de guitares pour agrémenter la charge frontale. Une première partie du split donc très efficace, avec quand même une pointe d'originalité sous la forme d'une reprise de "Worship Her" de Samael.

Quant à la formation grecque menée par George Emmanuel (31 ans mais déjà ancien de Necromantia et des performances en live de Rotting Christ), elle commence avec un "Satan's Wrath" tout en furie qui peut rappeler le style emblématique des formations grecques de la grande époque, celle des frères Tolis en particulier. Mention spéciale pour la pureté du son, déjà très bon dans la partie précédente, mais qui ici habite l'ensemble d'une clarté qu'on n'a pas pour habitude d'associer à une production Black Metal, mais il est utile de rappeler que le chanteur produit aussi la musique d'autres groupes (les Arméniens de Ildaruni, entre autres). Les Grecs aussi se permettent une reprise avec leur version de "Enter the Eternal Fire" de Bathory. Là encore, un très bon choix qui nous offre une version très différente du morceau que l'on connait, pour des raisons vocales évidentes, malgré les efforts pour sonner un cran moins guttural et se rapprocher d'un style plus proto-Black.

Ce split est vraiment une très belle sortie, bien moins anecdotique que ne l'est souvent l'exercice quand chaque groupe se contente d'une ou deux compositions. Franchement, si vous appréciez un des groupes sans trop connaître l'autre, c'est l'occasion unique de faire une belle découverte. Et si vous ignorez tout de ces deux noms, foncez d'autant plus !

Spiritual Perversity – Season Of The Witch
Black Metal – Brésil (Egregoria Adversarial)

Pingouin : puisqu'on parle du Brésil ... premier EP, première sortie pour Spiritual Perversity, projet black metal solo de monsieur « F., » originaire de Sao Paulo. Le projet sort sous l’égide d’Egregoria Adversarial, un collectif de black metal brésilien. Comme bien souvent on ne sait pas grand-chose de ses membres, qui n’ont pas l’air d’être foule, puisque seuls 4 projets sont répertoriés sur la page metal-archives du collectif.

Le créneau de Spiritual Perversity, c’est le black metal occulte à tendance expérimentale. Le terreau brésilien est fertile pour ce genre d’acrobaties, mais ça reste le premier EP d’un groupe qui ne demande qu’à mûrir.

Spiritual Perversity oscille entre le créneau sombre et cradingue de la première vague, et entre une tendance plus expérimentale, presque psychédélique (on pense à Hail Spirit Noir à l’époque où ils faisaient encore de la bonne musique). Des riffs mid-tempo répétés à l’envie, des descentes de manches qui se répondent et un chant hurlé perdu dans le mix mais toujours audible, Spiritual Perversity maîtrise les codes. Et essaye d’en tirer quelque chose d’épique, un élan porté par des choeurs qui tentent tant bien que mal d’apporter une touche « rituelle » à cet EP.

On sent la volonté de faire jaillir quelque chose d’hors norme de toutes ces compos. Malheureusement ça ne prend pas encore à 100 %. On va donc prendre son mal en patience, et on posera des oreilles confiantes sur la suite de la carrière de Spiritual Perversity.

 

Kvaen – The Great Below
Black/Thrash mélodique – Suède (Black Lion Records)

ZSK : Si je vous présente un groupe suédois comme un one-man band, vous allez forcément penser à un truc très dépressif et/ou lo-fi au possible. Eh bien pas du tout car Kvaen, projet mené par le seul Jakob Björnfot, va vous montrer qu’on peut faire autre chose, en l’occurrence un Black/Thrash pas piqué des hannetons et proposant même des variations inattendues. La seule chose notable dans le CV de Jakob est une apparition en tant que chanteur Live pour Trident, ce qui va un peu orienter le propos de Kvaen qui se situe bien dans le giron du Black suédois. Malgré tout, The Great Below, son deuxième opus après The Funeral Pyre (2020), va démarrer pied au plancher avec les deux brûlots Black/Thrash que sont "Cauldron of Plagues" et "The Great Below". Un Black/Thrash certes pas du tout cradingue et même relativement bien produit, mais qui fait plus que le taf en matière de vitesse et d’efficacité, et inutile de dire que taper du pied sera un move garanti. Cerise sur le gâteau, ce morceau-titre se termine sur un solo du maestro Jeff Loomis, et c’est déjà la grande classe pour ce one-man band inconnu au bataillon mais qui promet déjà d’exploser.

Mais Kvaen surprend bien vite, de par un côté plus épique latent, qui commence à prendre toute son ampleur dès le troisième morceau de plus de 7 minutes, "In Silence". Si Kvaen est parfois listé comme faisant du « Pagan/Viking », c’est peut-être un peu exagéré, mais ce qui est sûr c’est qu’il sait prendre une direction plus raffinée et mélodique. Le travail de Jakob lorgne alors vers celui de ses habituels compatriotes suédois en termes de Black-Metal mélodique, même si dans l’équilibre entre agression et mélodie, on mettra bien vite un nom évident en avant, celui de Necrophobic. Sebastian Ramstedt viendra d’ailleurs poser aussi un solo, sur "Ensamvarg", morceau qui se distinguera par ailleurs par la présence… d’un accordéoniste, en plus de synthés glaciaux. Il y a donc de quoi faire sur The Great Below, même si les morceaux les plus mélodiques ne surprendront plus vraiment au bout de quelques écoutes, avec d’ailleurs un milieu d’album qui se traîne un peu en longueur. Mais il reste toujours le Kvaen qui bourre le plus, en témoigne encore cette grosse tuerie qu’est "Your Mighty Has Fallen". Malgré tout inspiré de bout en bout (les compos de "Damnations Jaw" ou les leads de "Sulphur Fire" valent le détour), Kvaen montre un visage influencé mais personnel et surtout très prometteur, même si ce deuxième album est déjà plutôt réussi. A écouter et à retenir !