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Album

04 mai 2021 - ZSK

CROWN

The End Of All Things

LabelPelagic Records
styleMetal Indus
formatAlbum
paysFrance
sortieavril 2021
La note de
ZSK
8.5/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Quand un groupe évolue d’un seul coup entre deux albums, ou change même carrément de style et ce sans passer par un changement de nom ou un chamboulement de line-up, les débats sont passionnés et houleux. Bien évidemment, le style d’un groupe n’appartient qu’à lui-même et des gros changements dans le son ne justifient pas toujours un renommage - bien qu’il vaudrait mieux que ça soit le cas parfois… Bref, quoi qu’il en soit, une évolution radicale du style d’un groupe risque bien évidemment de laisser bon nombre d’auditeurs sur la touche. Certains sont prêts à faire l’effort, d’autres pas du tout, et on peut tout à fait les comprendre. Mais dans certains cas, l’évolution du son, bien que tranchant nettement avec le passé, passe crème et est finalement absolument logique. Nous voilà donc avec entre les oreilles le troisième album du combo alsacien CROWN (ou C R O W N ou aussi Crown tout simplement) qui est, sans conteste, assez éloigné du Sludge/Doom qu’il pratiquait sur son premier album Psychurgy (2013). Parti d’un EP classique mais assez bien accueilli (The One, 2012), le groupe a pourtant bien vite trouvé sa personnalité. Qui l’a mené au fracassant Natron (2015), monument de Doom industriel qui prenait comme base les morceaux les plus lourds et sombres de Psychurgy comme "Abyss", pour en arriver à une œuvre totalement tellurique chassant sur les terres de P.H.O.B.O.S. et creusant encore bien plus profond sous la terre (les riffs incroyablement écrasants de "The Words You Speak Are Not Your Own"…). Et en profitait pour s’affiner et s’affirmer avec quelques respirations plus originales, comme ce "Fossils" très clairement Coldwave avec Kvhost au chant. Mais voilà, il semblerait que la lourdeur abyssale des "Serpents", "Apnea" ou autre "Tension of Duality" appartienne désormais au passé, l’espace d’un album au moins. Les premiers extraits dévoilés de The End Of All Things, pourtant sorti par les experts du Post-Metal que sont Pelagic Records, laissaient planer un doute sur les intentions musicales de CROWN pour son troisième opus. Et plus les singles tombaient, plus la perspective de revoir le Doom/Indus tellurique de Natron réinterprété s’éteignait. Non, CROWN a bel et bien changé et n’est plus le pinacle de la lourdeur qu’il était sur ses deux premiers albums. Mais, en fait, de une, l’évolution musicale sera totalement logique ; de deux, ça ne dérange pas le moins du monde car on fait vite le deuil du style si particulier de Natron pour apprécier l’excellence du « nouveau » CROWN. Et rien que ça, c’est déjà une performance à souligner…

Ceux qui connaissent un peu Stéphane, la tête pensante du groupe, ou qui ont lu ses interviews par le passé savent que ses principales influences viennent davantage de la scène industrielle traditionnelle que du pur Sludge/Doom. The End Of All Things va donc pousser à leur paroxysme les oripeaux industriels qui avaient commencé à franchement apparaître sur Natron… et donc faire virer la cuti de CROWN. Tout ce qui était Doom Metal bien lourd et écrasant a été lavé, au profit d’un Metal-Indus multi-cartes qui pioche tout autant dans les cultes du genre (Nine Inch Nails et Ministry en tête) que dans tout ce qui peut être connexe : Electro, Dark/Coldwave, « goth » même, Dark Folk dans l’esprit du diptyque attendu Swans/Current 93 par moments, et même un peu de choses d’obédience Sythwave. Le tout sans opportunisme aucun et avec une sincérité de tous les instants. Pour preuve, il n’y a quasiment plus que du chant clair (on ne retrouve du chant « extrême » guère que sur "Shades"), entièrement assuré par Stéphane qui a été poussé dans ses retranchements par le producteur David Husser, et le résultat est saisissant et touchant, ces vocalises étant vraiment porteuses d’émotions fortes. CROWN reste « Doom » dans une certaine mélancolie, mais pour le reste, on est désormais bien loin de Psychurgy et Natron. Toutefois, The End Of All Things pouvait être prévu, on reste généralement dans des terrains que CROWN a déjà exploré, lors de "Fossils" bien évidemment (bien qu’il n’a pas vraiment d’équivalent dans cet album), mais aussi lors des passages les plus feutrés de morceaux comme "Serpents", "Apnea" ou "Flames". Le résultat est malgré tout aux antipodes de la musique si tellurique que CROWN pratiquait il y a encore 6 ans (et ce nouvel opus s’était fait désirer). Déception alors ? Non, car la qualité est là, et du moment qu’on apprécie le background utilisé par CROWN sur cet album « que personne n’attendait d’eux », c’est un régal. Alors certes, il n’y a pas l’ombre d’un morceau plus sévère et massif dans la lignée de Natron. "Nails" est plus bruitiste mais c’est le morceau le plus original de l’album, offrant une deuxième partie inattendue aux accents orientaux. "Shades" est une piste très tranchante mais on est dans la vibe d’un Metal-Indus agressif à la Ministry, pas de Doom extrême. Il y aurait pu avoir la place pour faire ne serait-ce qu’une piste faisant le lien avec les albums d’avant mais CROWN a fait le choix de faire table rase sur ces points. Mais encore une fois, ce n’est pas grave, on passe à autre chose, on prend désormais Natron comme un one-shot et on se laisse bercer par le Metal-Indus éthéré de ce CROWN 2.0 qui fait preuve d’une finesse rare.

Quand on commence cet album par un nom de morceau comme "Violence", qui est pourtant très doux, on sait que The End Of All Things sera un album de contrastes. Mais la mayonnaise prend immédiatement. L’ambiance dépouillée amenée par les touches électroniques et les instrumentations acoustiques est délicieuse, la distorsion apportant la caution « Metal » est pertinente (même si ce n’est pas sur cet album que les guitares se tailleront vraiment la part du lion en définitive), le chant de Stéphane est particulièrement prenant tout du long (il n’est pas trop traficoté d’ailleurs, juste ce qu’il faut par moments pour rester dans l’esprit d’un disque tendance Electro/Indus). En bref, c’est beau, c’est malgré tout noir, et le charme opère très vite, presque au premier abord d’ailleurs. "Neverland" pousse déjà d’ailleurs très loin cette dualité entre ce côté Coldwave mélodique et éthéré, presque « gothique », et un fond malgré tout râpeux, avec des guitares bien saturées en bout de course. The End Of All Things reste un album de Metal et pas de pur Electro/Indus, mais les équilibrages sont savamment dosés pour toujours rester à la bonne limite de l’un et de l’autre. Un équilibre bien montré par le single "Illumination", même si c’est sûr qu’il ne faut pas attendre du Metal qui tache (à part pour l’excellent "Shades"), et qu’il faut apprécier le style très aéré et un brin futuriste que nous propose maintenant CROWN. Qui se montre donc très inspiré, avec encore une mention spéciale aux très Electro "Gallow" (avec un chant irrésistible) et surtout "Extinction", pépite du disque avec des mélopées envoûtantes, un fond Electro entraînant et surtout un Stéphane au top de sa forme vocale. "Firebearer" n’est pas en reste et montre que CROWN a pas mal de ressources à la fois dans son bagage Electro/Indus et dans son aspect mélodique, et même ailleurs… reste quelques singularités et c’est ainsi que "Fleuves" assure la caution Swans, tandis que The End Of All Things se terminera sur l’encore plus surprenant "Utopia", sorte de morceau Synthwave/Pop porté par la chanteuse d’Årabrot, complètement inattendu mais totalement réussi, et à l’image de cet album qui veut bousculer. Et de ce point de vue, le contrat est rempli ! Mais The End Of All Things n’est pas qu’une curiosité, CROWN a mis le fond et la forme. Ce n’est « pas ce qu’on attendait », mais ça n’en est pas moins un magnifique album, dont les influences sont peut-être finalement voyantes et attendues, mais CROWN y a néanmoins mis une grosse part de personnalité, et on sent même parfois des bribes de son passé. Le CROWN de Psychurgy et Natron n’est plus, reviendra-t-il ou sera-t-il encore présent sur les planches, le futur nous le dira, mais le présent de CROWN, c’est cet album de « Metal-Indus » vraiment prenant et bluffant. Gorgé de beaux moments, très travaillé, feutré et touchant mais négatif et « lourd » à sa manière, porté par un son parfait et surtout un chanteur d’une sincérité sans commune mesure. Alors certes, l’évolution va loin, le gap entre The End Of All Things et son prédécesseur sera peut-être dur à encaisser pour certaines oreilles. Mais la logique est bien présente et surtout, la réussite et la qualité de l’ensemble font que très vite, on ne regrette rien. Alors on se convertit au nouveau CROWN, on l’accepte tel qu’il est sans problèmes, et on loue ce formidable album.

 

Tracklist de The End Of All Things :

1. Violence (4:15)
2. Neverland (4:00)
3. Shades (4:04)
4. Illumination (3:43)
5. Nails (4:43)
6. Gallows (4:15)
7. Extinction (6:21)
8. Fleuves (5:02)
9. Firebearer (4:37)
10. Utopia (4:33)