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vendredi 14 mai 2021

Dans l'oeil de : Subterranean Masquerade, 10 oeuvres pour parler d'identité et d'exil

Subterranean Masquerade

Storyteller

Why not ?

Au moment de parler du thème de cet article, il n'a pas fallu longtemps pour trouver les deux termes qui pourraient inspirer les Israéliens de Subterranean Masquerade. Après des années séparés les uns des autres, des séjours autour du monde, une chanson sur la diaspora sur leur dernier album Mountain Fever, l'exil et l'identité semblaient tout indiqués. Mais quelle fut ma surprise en lisant leur liste d'oeuvres. Vous allez naviguer avec le groupe dans des formes d'art, des ressentis différents et des mondes qui parfois nous semblent tellement loins. Et c'est bien là toute la beauté de l'exercice, surtout quand il est exécuté par un groupe qui pioche ses influences aux quatre coins du monde artistique.

Davidavi Dolev (chant)

Dans Notre Synagogue

Nouvelle de Franz Kafka

Un animal étrange vit dans un temple Juif isolé dans la campagne depuis plusieurs générations. A mesure que le temps passe, la communauté devient de plus en plus petite mais l’animal, lui, vit toujours dans la synagogue. L’animal refuse de partir et tous leurs efforts pour l’en convaincre sont vains.

Cette nouvelle a été écrite par Franz Kafka, à Prague, qui était à l’époque la capitale de l’empire Austro-Hongrois. Bien qu’il soit de culture juive ashkénaze, Kafka vivait une vie de laïc. Son œuvre est remplie de paraboles, et je vois cet animal particulier comme un symbole de l’identité de cette communauté sur le déclin. Ce conte parle pour moi de l’absurdité de ne pas pouvoir se débarrasser de ses origines. Quand je suis de bonne humeur, je le trouve plutôt plein d’espoir.

 

Le Dybbouk ou entre deux mondes

Pièce de théatre de S. Ansky

Probablement un des joyaux du théâtre yiddish, écrite en 1914 et jouée pour la première fois en 1920. Une histoire d’horreur hassidique parlant d’un amour au-delà de la mort, remplie de folklore Juif d’Europe de l’Est, de mystique kabbale et avec un foutu premier rôle.

La pièce parle d’une jeune femme possédée par un esprit mauvais, qui se révèle être son bien-aimé décédé. En plus d’une intrigue vraiment flippante, cette belle œuvre littéraire parle de la vie dans un shetl (une petite ville juive) dans l’Europe de l’Est pré holocauste, entre les 19e et 20e siècles. On pense que la pièce se déroule quelque part dans la « zone de résidence », une partie de la Russie occidentale où les Juifs avaient le droit de résider.

Quand je lis cette pièce, je pense à mes grands-parents paternels qui étaient immigrés polonais et grands fans de théâtre yiddish. C’est assez étrange de se dire que, aujourd’hui, cette langue n’existe presque plus. C’est donc une bonne chose que cette pièce ait été traduite dans une douzaine de langues. Vous devriez y jeter un œil, surtout si vous êtes un metalleux.

Heal the Split

Album de WackelKontakt 

J’écris sur cette artiste avec une bonne dose d’admiration, mais aussi avec une touche de jalousie inspirante.

Psychotrap WackelKontakt, artiste venant de Jérusalem est une de ces personnes capable de capturer le son, le cœur et l’esprit de l’endroit dans lequel il se trouve. De plus, pour moi, ils proposent une forme d’art complète. Leurs installations sonores et leurs performances multimédia sont de la poésie pure et de loin un des concerts les plus ensorcelants auquel j’ai pu assister. WackelKontakt vous embarque dans une Jérusalem en plein conflit, ils travaillent entre les parties est et ouest de la ville, en enregistrant dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Sharim ; je pense qu’ils sont la forme d’art la plus noble produite par un groupe venant d’Israël en ce moment. Je ne rajoute rien, ce groupe, vous devez en faire vous-mêmes l’expérience. Ils me font bouger et en même temps me détester.

 

Desert

Album de Rasha Nahas

Rasha Nahas est une auteure / chanteuse Palestinienne qui vit à Berlin. Attention, c’est aussi une très bonne amie. Mais surtout c’est une parolière de génie.

Sur son premier album, Desert, Rasha adresse des questions d’identité d’une façon captivante, soulevant des questions personnelles et politiques, tout en donnant une leçon universelle à travers son propre combat. Desert est une œuvre moderne parlant de refuge, d’exil, d’amour, de jeunesse, de famille et de développement. Rasha représente le son du folk rock au Moyen Orient et c’est une véritable prophétesse rock’n roll. J’ai rencontré Rasha dans ma ville, Haifa, il y a quelques années. Je suis tombé amoureux de son œuvre et je pense que vous allez faire de même.  

 

Le Parrain

Film de Francis Ford Coppola

Je pense qu’il n’y pas vraiment besoin de tonnes d’explications. Si vous ne savez pas à quoi je fais référence, c’est que vous n’avez pas vu le film (dans ce cas, arrêtez tout et allez le regarder tout de suite). Le rêve américain. De la Sicile aux USA et de retour en Sicile. Notre famille nous définit, nos racines décrivent des cercles. Une des grandes problématiques est de savoir si les épreuves mènent à découvrir qui l’on est. Un groupe peut-il se définir sans désastres dans son histoire ? Mariages, baptêmes, anniversaires, baignés dans le sang des siècles. Ce film est tiré d’un livre par Mario Puzo et est sorti pendant la meilleur époque d’Hollywood, avec Marlon Brando et Al Pacino. Ce film est magique mais vous le savez déjà, n’est-ce pas ? Ah oui, Nino Rota a écrit la musique, je répète, Nino Rota a écrit la musique !!

 

Pretend it's a City

Série par Martin Scorcese

Pretend it’s a City est un documentaire en sept parties par Martin Scorcese. Il s’agit de conversations avec l’auteur Frances Ann Lebowitz autour de la ville de New York, où elle vit depuis 1969. Elle a donc été au centre de toutes les vagues culturelles, et y associe des artistes mythiques qui ont fait New York. De plein de façons différentes, lorsque l’on écoute Lebowitz parler, on ne peut pas s’empêcher de se demander si son personnage n’est pas la ville elle-même.

 

Best of

Abum de Screamin Jay Hawkins

Il y a des artistes qui vous changent pour la vie après une écoute.

Je pense que j’avais 22 ans quand je travaillais dans un magasin de disques à Haifa. C’était le chant du cygne des magasins de CDs, 10 ans avant l’apocalypse Spotify en Israël. Tous les jours arrivait une boite remplie de disques. C’était mon terrain de jeu. La plupart des disques arrivaient par paquets de 10 ou 20 copies mais pas celui-ci the Best of Screamin Jay Hawkins ; il n’y avait qu’un unique exemplaire. J’ai repéré le gars sur la pochette et il fallait que je lance le disque. Et le tour était joué. Ce mec a été viré de partout quand il voulait faire une carrière de chanteur d’opéra. Mais après ça, il a trouvé sa voie, sa propre façon de composer, de faire de la musique, de la jouer, de chanter comme personne. Des titres comme "Tempation", "Voodoo", "Frenzy" ou "Hong Kong" m’ont appris à prendre des risques. Quelle immense influence, je ne pouvais pas ne pas en parler, à cause de sa forte personnalité et de l’influence qu’il a eue sur moi et mon cheminement en tant qu’artiste. Profitez bien du gars qui a inventé le shock rock.

 

Shai Yalin (claviers)

L'armée des 12 singes

Film de Terry Gilliam

Dans un futur dystopique, une attaque bioterroriste a rayé la majeure partie de la race humaine de la carte. Bruce Willis joue un prisonnier que l’on envoie dans le passé pour trouver un échantillon du virus afin qu’un remède soit trouvé. Il arrive en 1990, est arrêté, déclaré schizophrène et interné. Ce film soulève de profondes questions d’identité et de santé mentale (ou plutôt de défaillance de). Le protagoniste oscille entre la vision de sa propre époque et les années 90 comme seule réalité, l’autre étant un fragment son esprit troublé. Petit à petit, tout au long du film, il doute de son identité. L’écriture est géniale, tout comme la mise en scène et le jeu des acteurs. On notera la performance de Brad Pitt, et la bande originale dérangeante qui colle parfaitement : l’accordéon flippant de Astor Piazzola sur Suite Ponta Del Este font de ce film un de mes préférés mais aussi une référence artistique.

 

Dark Matter

Roman de Blake Crouch

Blake Crouch aime vraiment jouer avec la mécanique quantique. Le protagoniste de ce roman est enlevé et se réveille dans un univers parallèle dans lequel il ne rencontre jamais sa femme et devient à la place un génie reconnu. Le livre suit ses tentatives de retour à son ancienne vie et son ancienne famille, ainsi que son combat avec son ennemi. Sans trop rentrer dans les details et les spoilers, le livre traite de cette route que l’on ne prend pas, de compromis qui rendent notre identité unique, ainsi que de se sentir en exil dans sa propre vie. Même pour ceux qui ne sont pas trop fan de science-fiction, ce livre est passionnant, son intrigue tordue et les sujets abordés intriguants.

Or Shalev (guitare)

Une brève histoire de l'Humanité

livre de Yuval Noah Harari

Les histoires que l’on se raconte pour dire qui nous sommes sont lourdement influencées par les évènements historiques. Dans ce livre, Yuval Noah Harari voyage dans le temps, des origines de l’être humain jusqu’à nos jours. Il y présente comme nous sommes devenus si divers, culturellement et ethniquement parlant. Le message le plus beau de ce livre est que nous ne sommes qu’un. Et pas que d’un point de vue philosophique optimiste, mais en prenant en compte le fait que nos ancêtres partagent la même histoire. Dans cette histoire à connotation scientifique, il n’y a pas d’élus ou de favorisés. Seulement des êtres humains. Tous des individus qui tendent de mille façons vers le même objectif : le bonheur.