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samedi 27 mars 2021

Worst Doubt

Jacob (guitares)

Mess

T'façon, je préfère Aphex Twin.

Covid oblige, on reste chez soi en croisant les doigts que le merdier qu'on appelle sobrement ''contexte actuel" soit derrière nous. Cependant, rien ne nous empêche de trouver une bonne raison de mettre quelques spinkicks dans notre modeste salon de 3m², histoire de décharger la frustration latente des shows qui ne viennent jamais, et il semblerait que la sortie du premier album de Worst Doubt intitulé (lui aussi très sobrement) Extinction soit taillé pour la bagarre. Celle qui dénonce, celle qui expie et celle qui rassemble. Piochant autant dans le hardcore que le death et voyant son spectre s'étaler de Trapped Under Ice à Suffocation, Extinction est un cocktail-molotov prêt à être allumé et jeté à la face de ceux qui oseront foutre le boxon comme nos politiciens ou nos institutions. 

Horns Up s'est entretenu avec Jacob, guitariste et principalement livreur de mandales electrifiées sur ce premier album, pour nous parler du long projet que fut l'aboutissement du disque, de leur signature chez BDHW et de la place du hardcore en France, toujours avec son franc-parler habituel.

 

Comment vous présenteriez succinctement le projet Worst Doubt à ceux qui ne sont pas familiers avec votregroupe ?

Jacob (guitares) : Yo ! Pour ceux qui ne nous connaissent pas, je nous présenterais comme un groupe hardcore de Paris qui veut mélanger le NYHC de la fin des années 90 avec des influs plus talmé, type death metal ou thrash, de la manière la plus agressive et directe possible, en essayant au maximum de le faire sans être une énième copie stérile d’un autre groupe. Un pote philosophe de Paris nous a définis comme un groupe de « Street Death », on se retrouve bien là-dedans.

Comment le groupe vit-il cette période merdique ? La situation sanitaire a permis peut-être de faire germer des idées placées dans l’album depuis ?

Comme la plupart de nos contemporains j’imagine : on se fait tous sèchement chier la teub. Le télétravail, l’impression de vivre la même journée en boucle depuis des mois, ne plus pouvoir se voir autant et surtout de ne plus pouvoir partager notre musique avec les gens. On ne va pas se mentir, tout ça pèse sur le moral. Néanmoins, on essaye de rester positifs malgré tout et de se concentrer sur la sortie de l’album. Concernant les idées, comme le disque était composé et enregistré avant les confinements, les uns et les autres en ont donc surtout profité pour avancer sur d’autres projets musicaux et perso, pas nécessairement Worst Doubt. Cela dit, on a évidemment un peu de matos dans les tiroirs pour le futur, qui, on l’espère, sera moins bresom.

Sans la possibilité de faire les tournées traditionnelles d’après sortie d’album, comment est-ce que vous ressentez la sortie de ce premier album dans ce contexte aussi particulier ?

Comme une libération. Quand tu vois qu’une grande partie de la culture et de la scène est en train de crever la gueule ouverte dans l’indifférence la plus totale à cause de la pandémie et des guignols qui nous gouvernent, c’était primordial pour nous de sortir le disque en dépit de tout ça.

Déjà parce c’est notre premier album et que y a quand même un peu d’attente depuis notre dernière sortie, qu’il est enregistré depuis un moment et qu’on commençait clairement à devenir zinzins à force de le laisser moisir sur un putain de disque dur. C’est évidemment un pari risqué de le sortir dans ce contexte à la merde mais c’était une nécessité, notamment pour se rappeler que malgré la stase généralisée, on existe toujours en tant que groupe. C’est malheureusement le dilemme que vivent la plupart des groupes indés en ce moment.

Pour le reste, ça nous permet surtout d’avoir de l’actu pendant qu’on patiente en attendant de reprendre les concerts un jour. On essaye de garder cette reprise en tête et de ne pas se foutre en l’air en pensant au fait que les dates que nous fait suivre notre tourneur sont pour la toute fin d’année voire début 2022.

Worst Doubt, c’est deux démos sorties respectivement en 2015 et 2017. Vous accouchez de votre premier album en 2021. Vous ne le cachiez pas sur vos réseaux sociaux, Extinction a mis du temps à prendre sa forme finale, quelles difficultés vous avez rencontré sur votre route dans la création de l’album?

On en a rencontré un paquet et très diverses. La première est principalement liée au fait que nous sommes d’incommensurables branles couilles. Ça a beau être la vie qu’on a choisi et qu’on assume, disons qu’à l’époque de l’enregistrement, ça a clairement joué contre nous. Les prises manquaient un peu de finition et il a fallu s’arracher un peu pour faire ça bien. Ensuite, la temporalité de la production du disque a été laborieuse. On a fait les prises en deux fois : les instruments en août 2019 au Château Vergogne avec le producteur (notre pote Max, qui joue dans Rixe, Condor, Boss, etc.), puis les voix de notre côté un peu plus tard en fin d’année. On est exigeants et Max est un mec assez occupé avec ses divers projets, donc le mixage a pris également du temps à se mettre en place. Ensuite, on a aussi eu des merdes au mastering. Je ne vais pas t’assommer avec des trucs techniques, mais en gros on a dû refaire le master 2 fois, ce qui nous a encore mis du délai dans la vue.

En parallèle de ces aspects techniques, on a également rencontré des difficultés pour l’artwork du disque. A la base, on avait sollicité un ricain dont on aimait bien le taff pour qu’il s’en charge. On lui a envoyé les thunes, des refs visuelles de ce qu’on aimait, etc., et il a malheureusement totalement fomblardisé après nous avoir envoyé deux brouillons sommaires, en finissant évidemment par nous ghoster purement et simplement comme de tristes fils de pute. Donc Hugo (notre chanteur) a récupéré le truc en catastrophe et a du faire la cover lui-même. On ne va pas se plaindre, au final on est super contents du résultat mais disons que ça a été une déconvenue de plus dans un processus déjà mal barré.

Quand tout a été enfin finalisé de notre côté et qu’on a eu le deal avec BDHW, l’incontournable COVID s’est joint à ce festival de l’angoisse et a retardé encore plus toute cette merde. Notamment vu que le label ne voulait pas le sortir en pleine pandémie avec tout à l’arrêt, ce qui est une position qu’on comprend tout à fait lorsqu’on se place de son point de vue. Tout ça pour dire que tu capteras aisément pourquoi on est autant saucés par le fait qu’il sorte enfin.

Comment vous vous sentez maintenant que vous savez que l’album sortira ?

On est super jouasses. Malgré toutes les galères, on a quand même bien bossé sur les morceaux, de même pour Max et Brad qui ont fait un taff mortel sur la prod, le mix et le mastering. On est fiers de ce premier disque et on veut juste le partager avec les gens, d’autant qu’avec notre réputation de branleurs légendaires, l’album est quand même passé à deux doigts de devenir, au choix, un vaporware comme l’album de Soul Search, ou encore pire : un meme.

J’ai été surpris de voir que malgré votre manque d’activité, vous avez pu signer la sortie d’Extinction sur le gros label hardcore BDHW, comment ça s’est fait entre vous ?

En fait, Toni (le patron de BDHW) nous suivait depuis un moment, il avait notamment bien kiffé la Air Max Tape et nous avait envoyé de la force quand elle était sortie. Comme à l’époque on n’avait pas de projet spécifique quant à une prochaine release, c’en était resté là.

Une fois qu’on a terminé les prises de l’album, nos potes de Wolfpack (qui sont également chez BDHW) lui en ont touché deux mots et il est revenu vers nous afin de savoir ce qu’on voulait faire avec le disque. Après, tout ça s’est fait très classiquement et rapidement : on lui a envoyé un premix de l’album, il a aimé et on a négocié le deal dans la foulée.

Cette signature chez un label qui accueille des pointures comme Desolated, Malevolence ou encore Lionheart a-t-il eu un impact sur la vision que vous avez de Worst Doubt sur le long terme ?

On a toujours vu le groupe comme quelque chose de sérieux et dans lequel on devait tous s’investir donc ça n’a pas changé grand-chose à ce niveau en réalité. Déjà, après la sortie de la promo tape, on a commencé à capter qu’il y avait un peu d’engouement qui s’était créé autour du groupe, qu’on nous proposait plus de dates, plus souvent à l’étranger, etc. Même si ce n’est pas grand-chose, ça a déjà modifié l’idée de ce qu’on voulait faire avec le groupe à moyen / long terme.

Disons que la signature nous apporte surtout le côté un peu plus pro qu’il nous a toujours un peu manqué. Le fait d’avoir une « grosse » structure qui te décharge complètement des questions logistiques (le pressage, la gestion d’un vrai eshop, les envois, le merch, la promo, etc.), ça te permet de concentrer ton énergie sur la partie la plus intéressante, celle qui concerne l’artistique pur. Maintenant plus que jamais, on se dit surtout qu’on a le champ libre pour aller où on veut.

Extinction rappelle un mix Kickback, Xibalba, Trapped Under Ice, vous vous reconnaissez dans cette liste ou il y a des influences qu’on soupçonnerait pas chez vous ?

Kickback et TUI ouais à fond, surtout au début du groupe. Xibalba moins, à part peut-être pour le timbre de Hugo, même s’il a une voix moins grave je trouve.

Comme je te le disais au tout début, l’idée du groupe au départ, c’était d’être un peu dans ce revival du NHYC que faisait des groupes comme Bad Seed, les premiers TUI, King Nine, ce genre de délire assez groovy (désolé pour cet horrible mot) que tu ne voyais pas trop en France. A partir de la promo tape, on a intégré un côté talmé que peuvent avoir des groupes comme Everybody Gets Hurts ou All Out War, pour finir par carrément aller lorgner vers le Death Metal et les riffs de gros lards que tu peux trouver chez des intellectuels tels que Dying Fetus ou Suffocation.

En gros, on aime vraiment bien les groupes qui jouent des riffs d’imbéciles d’une manière un peu compliquée et pas déjà entendue 1000 fois. C’est aussi quelque chose qu’on essaye de faire à notre petit niveau.

On ressent bien sur le disque cette volonté de faire un hardcore metallisé qui envoie de la patate chaude mais qui recherche malgré tout un groove qui m’a rappelé les bonnes heures de Madball ou même des choses plus modernes comme Mindforce ou Judiciary. Vous avez tenté volontairement cet équilibre ou tout est venu naturellement ?

Ça vient très naturellement, d’autant qu’on écoute autant du talmé que du Hardcore.

Même si l’album va très vite et très fort, vous vous permettez quelques divagations plus ambiantes et industrielles façon Jesus Piece ou Harms Way, c’est quelque chose qui sera encore plus développé dans l’avenir ?

Ces petits breaks Dark Ambiant / Indus ont été créés par Emile (l’autre guitariste). Comme le disque est assez intense et ne débande presque jamais, l’idée c’était surtout de laisser 1 minute de répit à l’auditeur avant la reprise de l’opération « plomb fondu ».

Par le passé, on a déjà fait des clins d’œil à ces esthétiques (qu’on aime beaucoup par ailleurs) dans des visuels pour du merch ou des flyers mais, sans s’interdire quoi que ce soit, je pense que ça n’ira pas plus loin. À titre personnel, je trouve que ça colle mieux à des groupes avec des esthétiques très froides et martiales, ce qu’on n’a pas forcément avec Worst Doubt.

Si ça intéresse tes lecteurs, Emile et Max (notre bassiste) ont sorti une split tape Dark Ambiant / Indus / Dungeon Synth qui s’appelle God Worship et qui explore un peu ce créneau.

Extinction aborde des sujets sociaux avec une vision peu optimiste pour l’avenir, l’espoir est perdu ? Worst Doubt y croit encore ou la bataille est déjà pliée ?

Je ne veux pas répondre à la place de Hugo concernant le sens de ses paroles mais disons qu’on fait tous plus ou moins les mêmes constats sur ce qui nous entoure.

Quand tu regardes la marche du monde, il est difficile de se positionner en optimiste. À titre personnel, je pense qu’on est définitivement niqués si on attend quoi que ce soit des institutions. Le problème est que je pense qu’on l’a également dans l’os en espérant que le salut arrive de l’autre. L’être humain étant par nature un petit animal craintif et égoïste, je vois difficilement comment ou pourrait se fédérer pour sortir la tête de l’eau avant que tout s’écroule. Désolé pour cette phase « Nostradamus au PMU », mais je crois qu’à part faire le maximum pour rester bienveillant avec les gens situés dans son environnement proche / local, il n’y a plus grand chose à faire à part attendre de se manger le mur qui arrive à pleine vitesse dans la gueule. Excellente journée à tous.

Vous avez l’air très impliqués sur la scène hardcore parisienne, quel constat général vous faites de cette scène à l’heure actuelle ?

J’ai l’impression que la scène française va beaucoup mieux qu’il y a quelques années quand tous les tourneurs nous snobaient poliment et où n’importe quelle tournée euro d’un groupe américain était composé à 80 % de dates en Allemagne.

A Paris justement, des mecs comme Kevin et Hadrien de Wolfpack / Paris On Sight ou Benoit de Paris Hardcore Show ont bien mouillé le maillot pour faire venir les groupes cools qu’on aurait jamais vu là-bas y a encore 4 – 5 ans. Evidemment, là je te parle uniquement de Hardcore à tendance golmon stricto sensu. Y a plein d’autres gens, mecs comme meufs, qui organisent des shows régulièrement et dans plein de genres (Oi!, Punk, Metal, etc.).

De manière générale, sur les derniers concerts qu’on a joués à Paris, je constate qu’on voit plein de nouvelles têtes à chaque show, beaucoup plus de jeunes, de meufs, de groupes qui se montent, de labels qui se créent, on verra si tout ça survit au Covid mais c’est clairement encourageant pour l’avenir.

Avec la sortie notable de Wolfpack l’année dernière, on a comme l’impression que Paris veut se replacer sur la carte européenne du hardcore (et en a d’ailleurs tout le potentiel), quel est votre rapport à tout ça ?

On y pense pas du tout pour être honnête. On essaye juste de charbonner dans notre coin et d’écrire de bons morceaux, et je pense que Wolfpack (qui continuent sous le nom Glassbone désormais) sont dans une démarche similaire. Y a plein de bons groupes en France en vrai et pas qu’à Paris (Dieu soit loué), mais je trouve qu’ils sont malheureusement noyés dans un océan de merdes type « Hardcore Worldwide ». Ce serait cool que la tendance s’inverse à un moment.

Je remarque qu’il y a beaucoup de franchise sur votre Facebook, vous ne cachez pas vos opinions politiques et votre avis sur la société du quotidien avec certains posts, c’est une transparence forte que vous souhaitez garder avec vos fans ?

Je suis l’auteur de la plupart de ces logorrhées acidulées. C’est probablement mon côté écrivain frustré. En réalité, y a zéro volonté de quoi que ce soit à part de faire marrer les francophones.

On a beau faire une musique violente et premier degré, ceux qui nous connaissent un peu pourront te dire qu’on parle comme ça dans la vraie vie. Ce ton, c’est aussi ma modeste façon de rendre hommage à certaines personnalités hautes en couleur de la scène Hardcore/Skate, dont j’ai toujours apprécié le sens de l’humour et la verve, des mecs comme Paul Bearer, Choke, Lord Ezec (avant sa période poubelle), Nicolas « Marre de vivre » Levet ou les très « twitter friendly » mecs de Pitboss 2k.

Si y a parfois des refs à des trucs politiques, à l’actualité ou à nos opinions, ce n’est pas le but premier. Chacun voit midi à sa porte, mais je déteste les prêcheurs à titre perso donc ce qu’on raconte n’engage évidemment que nous. Au fond, je vois surtout ça comme une manière moins relou d’interagir avec les gens, plutôt qu’être une énième page dans le descriptif froid et chiant : « achetez notre disque », « regardez notre clip », etc.

On croule tous déjà sous les infos dont on ne sait plus quoi foutre donc je fais au mieux pour éviter cet écueil.

En plus d’être impliqués pour la scène, vous êtes également des passionnés de hardcore puisque vous avez sorti deux épisodes d’un podcast où vous chroniquez des sorties comme Higher Power, Code Orange..et intitulé « l’eau des nouilles ». On sent un fort intérêt pour la scène hardcore américaine. Comment vous vous placez par rapport à toutes les grosses sorties américaines (et anglaises) qui drainent énormément l’attention ?

On commence à être dedans depuis un moment pour certains (nos calvities street-crédibles de trentenaires aigris sont d’ailleurs là pour le prouver). Même si on ne peut plus le voir en peinture parfois, ça reste notre premier amour musical et on y revient toujours.

Le podcast, c’était donc une nouvelle manière pour nous de participer à la scène autrement qu’avec nos groupes et surtout une excuse supplémentaire pour se retrouver autour d’une table, boire des coups en discutant de musique, comme de bons vieux scanners ivres à 2h du mat, où tu veux planter ton pote parce qu’il a dit du mal de la démo de tel ou tel groupe.

Pour répondre à ta question maintenant, on essaye de s’intéresser à tout, que ce soit les sorties US, Euro, etc. Si un groupe a quelque chose à raconter et qu’on trouve ça intéressant d’en parler dans l’émission (que ce soit en bien ou en mal), on le fait, peu importe d’où le groupe est. Faut juste que la sortie ne soit pas trop éloignée du tournage. Du coup, il ne me semble pas qu’il y ait besoin d’un positionnement quelconque. Même si y a d’excellents groupes en Europe, les ricains et les Anglais sont juste plus productifs et trustent un peu les écoutes de ce fait. Mais ce n’est pas un choix conscient ou éditorial de notre part.

Le podcast va-t-il continuer ?

Je l’espère. On avait enregistré un épisode 3 y a quelques mois (plus orienté punk et avec pas mal de sorties FR d’ailleurs) mais on a fini par le foutre à la poubelle à cause d’un problème technique.

Avec les confinements, couvre-feu, c’est plus compliqué de se voir, d’autant qu’on n’habite pas tous à Paris. Et on a zéro envie de le faire à distance comme un meeting TEAMS de merde. Donc on verra bien, je pense qu’on reprendra un peu plus tard dans l’année, si Dieu veut et une fois que toute cette merde sera derrière nous.

Une anecdote sur Worst Doubt que nos lecteurs méconnaissent ?

Dans les trucs intéressants, rien de légal hélas (rires). 

Merci à toi pour ton intérêt et pour cette interview.

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Nous remercions Worst Doubt pour ses mots et nous vous invitons à aller vous faire savater la gueule grâce à ces liens pour découvrir le premier album abouti des Parisiens.

Extinction est déjà disponible à l'écoute également ici : 

Bandcamp : ici

Spotify : ici

Site officiel : ici

 

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