Interviews Retour
mercredi 10 mars 2021

Dans l'oeil de : Darkenhöld - 10 oeuvres entre donjons, dragons et temps médiévaux

Aldébaran et Cervantes

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Notre sérieDans l'oeil de... se poursuit et après avoir fait dans l'occulte et le torturé, place à un tout autre univers : celui de Darkenhöld, dont les références sont assez évidentes depuis le début de leur carrière - D&D, fantasy, mais aussi cet amour pour les vieilles pierres et leur souffle, ces châteaux abandonnés et leurs ruines déchiquetées qui peuplent les terres de leur région niçoise, mais aussi leur imaginaire. Et le mien quand, tout au long  de l'année précédente, je me suis plongé dans leur excellent Arcanes & Sortilèges, probablement l'un de mes albums de 2020, à l'iconographie plus heroic fantasy que jamais. 

Avec une identité visuelle et un univers aussi marqués, quoi de plus naturel que de contacter les éminemment sympathiques Aldébaran (guitare) et Cervantes (chant) pour leur demander de nous présenter 10 oeuvres, 10 morceaux de leur univers, 10 pierres ayant contribué à dresser leur fier château ? Enfants des 80ies et 90ies, attention - rêverie nostalgique en approche ... 

 

Aldébaran

Tilt Magazine
Magazine français - 1990

Tilt a été un point de départ pour moi dans la lecture liée à l’univers vidéoludique. Amateur de la Sega Master System, j’avais déjà été sensibilisé aux jeux en allant chez des amis ayant l’Apple 2, la Colecovision, le Commodore 64. Cependant c'est à partir de l’acquisition du Commodore Amiga 500 que je suis vraiment devenu amateur de jeux vidéo. De nombreux jeux en disquette (souvent piratés malheureusement) m’ont permis d’explorer des univers qui me parlaient tout particulièrement à l’époque ("Crystal Of Arborea", "Sword Of Sodan" entre autres). Je ne sais pas si ça parlera aux jeunes lecteurs mais à cette époque il y avait une vraie ferveur dans ces milieux-là.

Shadow of the Beast 
Jeu vidéo Amiga 500 - 1989 

Ce jeu vidéo Amiga 500 sorti chez Psygnosis en 1989 a défrayé la chronique par des graphismes fabuleux, un univers particulier, mystérieux et une superbe musique composée par David Whittaker. D’ailleurs certaines mélodies peuvent ressembler à des riffs de Darkenhöld pour ceux qui voudront s’y pencher… Il est à noter que la firme Psygnosis avait une esthétique raffinée, très fantasmagorique que l’on retrouvait à travers de superbes pochettes de jeu réalisées souvent par Roger Dean (le même qui a peint les pochettes du groupe Yes). Un shoot-them-up comme "Agony" avait aussi un visuel et une musique très attractifs, à tel point que Dimmu Borgir avait emprunté un thème de ce dernier jeu sur son deuxième album Stormblast  (première édition).
 

Rising Force 
Album de Yngwie J. Malmsteen - 1984

Si le black metal, notamment celui des années 90 est sûrement une grosse influence pour Darkenhöld, il est évident que d’autres sources d’inspiration peuvent apparaître dans notre univers comme le dungeon synth ou le hard rock plus classique. En l’occurrence cet album d’Yngwie J. Malmsteen, Rising Force, m’a marqué durablement, pas seulement pour sa démonstration de virtuosité, mais aussi pour ses mélodies émouvantes, ce toucher et ce vibrato incroyable, cette sonorité de stratocaster « boisée »…
 

Un Livre Dont VOUS Êtes Le Héros : Le Sorcier de la Montagne de Feu
Livre-jeu de Steve Jackson & Ian Livingstone, 1982 

Le Sorcier de la Montagne de Feu,  le premier " Livre Dont VOUS Êtes Le Héros" coécrit par Steve Jackson et Ian Livingstone a, j’en suis sûr, ensorcelé plus d’un enfant des années 70/80. C’est le premier livre écrit dans ce style et le début d’une collection qui s’est déclinée en de nombreuses séries (Défis Fantastiques, Loup Solitaire, Sorcellerie !, Loup Ardent...). Les gravures en noir et blanc qui accompagnaient certaines scènes du livre renforçaient à coup sûr notre immersion dans les méandres du labyrinthe… (ndMalice : et cette pochette rappelle tant Arcanes & Sortilèges !)
 

Thrashing Rage Magazine 
Fanzine


 

Je dois dire que ce fanzine écrit et conçu par Laurent Michelland, imprimé en noir et blanc m’a vraiment plongé dans l’univers tumultueux du black metal au milieu des années 90. Des interviews de groupes aujourd’hui majeurs, des chroniques souvent littéraires et au souffle épique, voire un certain romantisme noir, le tout marqué d’un sceau de cire et d’une photo de l’auteur en chemise à jabots dans un donjon m’a sûrement permis d’apprécier ce genre musical à sa juste valeur. Je pourrais citer aussi l’encart « Black, Doom et ses amis », de l’inénarrable journaliste Alain Lavanne présent dans Hard Rock Magazine, qui était une boussole indispensable pour se repérer dans cette scène pré-internet assez obscure de l’époque. Deux personnalités visionnaires qui en ces temps-là n’avaient qu’une place assez discrète dans les colonnes des journaux spécialisés.
 

La musique médiévale, Renaissance et classique : Edvard Grieg, Guillaume de Machaut...

La musique classique est une influence dans mon parcours de musicien, on la trouve assez bien représentée aussi dans le black metal je trouve d’ailleurs. Je pourrais citer Franz Liszt, J.S. Bach, Tchaikovski, Schubert, Dvorak, Chopin, Debussy, Schumann, Berlioz, Wagner, Borodine, Paganini, Brahms et bien d’autres. Grieg apporte cette touche « troll » et « fjord » non négligeable, mais pas seulement. Il y a à mon sens cette nostalgie, cette profondeur qui sont retranscrites par des mélodies et des harmonies riches qui transportent vraiment dans des paysages de montagnes, de lacs et de brume (ndMalice : Grieg a bien sûr été repris par de nombreux groupes via le thème de "In the Hall of the Moutain King").
 

La musique médiévale et Renaissante est une autre source d’inspiration. En ce qui concerne le Moyen Âge il y a ces harmonies parfois étranges dans la musique de Guillaume de Machaut (compositeur du XIIIe siècle) avec ces quintes consécutives mais aussi ces mélismes complexes qui rendent l’écoute presque confuse. C’est une musique qui par moments pourrait presque se rapprocher de la musique contemporaine car elle semble avoir des règles qui lui sont propres.Nous n’en percevons pas toujours la logique mais cette opacité lui permet de garder tout son mystère et son charme. 
 

J.R.R. Tolkien 
Auteur 


The Tower of Cirith Ungol, concept art, Alan Lee

Ce nom paraît assez évident aujourd’hui, celui que l’on nomme comme le père de la fantasy, tout le monde le connaît grâce aux films de Peter Jackson, mais avant cela l'univers de Tolkien était il me semble davantage réservé aux nerds fans de Donjons & Dragons. D’ailleurs je me rappelle encore d'un exposé oral que j’avais présenté en classe de troisième au début des années 90, la prof de français et mes camarades m’avaient regardé avec des yeux ronds, du genre « qu’est-ce que ce truc ? ». À l’instar de Darkthrone, on trouve dans l'oeuvre de Tolkien un attrait prononcé pour la nature qui transparaît assez nettement dans l’oeuvre, et c’en est un aspect qui rend l’histoire vraiment immersive à mon sens. J’ai aimé aussi les artistes qui ont illustré ses livres, Alan Lee, Robert Goldsmith, Roger Garland.
 

Gustave Doré

Comme Theodor Kittelsen (covers de Hvis Lyset Tar Oss et Filosofem du groupe dont on ne doit pas prononcer le nom) ou Albrecht Dürer (Channeling the Quintessence of Satan  d’Abigor), l’ancêtre de Julien (Doré) a assurément laissé une empreinte visuelle considérable dans les têtes tourmentés des amateurs de métal noir. Je pense au split Emperor/Enslaved avec « La Mort (vision de Saint Jean) » ou le premier album de Dimmu Borgir For All Tid  et sa cover reprenant « Camelot : Les Idylles du Roi Arthur ». Il en existe bien sûr beaucoup d’autres qui ont emprunté l'oeuvre de Gustave Doré pour donner une vision grandiose à leurs albums. Nous n’avons pas été une exception à la règle en terme d'influence.
 

Cervantes

Hero Quest
Jeu de plateau, 1989

Etant donné l’univers assez orienté « médiéval fantastique » de Darkenhöld, on pourrait s’attendre à trouver chez nous d’inébranlables amateurs de jeux de rôle, leurs après-midi et soirées d’adolescents passées à endurer les péripéties décrétées par le maître du jeu et à lancer des dés multi-faces en se gavant de cookies. En réalité, je n’eus que des rapports éloignés avec les jeux de rôle… mais une vraie connexion, en revanche, avec l’ancêtre Hero Quest, véritable source d‘émerveillement immersif dans le monde de la fantasy pour un gamin qui a construit son imaginaire dans les années 80’s-90’s (la première édition du jeu est sortie en 1989 en France). Rien que l’illustration ultime de la boîte de jeu, signée Les Edwards, aimantait le regard de l’enfant arpentant les rayons du magasin de jouets ! Si l’univers de Darkenhöld comporte une telle appétence pour les corridors souterrains, les artefacts magiques et autres créatures méphitiques jetant leurs forces dans la bataille pour un trésor ou la conquête d’une épée, c’est probablement parce que le jeune garçon que j’étais dans les 90’s a peuplé nombre de ses journées à parcourir les souterrains, dénicher des portes secrètes, jeter des sorts… mais aussi à créer ses propres scénarios de jeu, dessiner des cartes et remodeler les règles simplistes du jeu pour en accroître l’immersion. Par exemple, en ajoutant de nouvelles modalités de combats et, notamment, une dimension auditive à base de bruitages personnels pour tenir les joueurs en alerte quand je commandais aux légions de monstres en tant que Morcar. Il fallait se montrer attentif pour anticiper un piège dans la salle du trône ou suspecter la présence plus ou moins discrète d’une troupe de gobelins dans un couloir interlope ! Plus tard, dans les 90’s, devenu adolescent je m’attachais à peindre les figurines du jeu en me gavant de Black Metal… ce n’est pas par hasard si mes figurines orcs arboraient pour certaines les teintes violacées des hordes belliqueuses s’exhibant sur la pochette mémorable de Heaven shall Burn… when we’re Gathered de Marduk ! Hero Quest fait donc partie aussi des sources d’inspiration pour l’écriture des textes de Darkenhöld et vous pourriez même découvrir une photo ou une vidéo d’Aldébaran arborant un t-shirt du plus bel effet, aux couleurs du jeu…  

Les jeux vidéo 


Rygar, jeu Tecmo, 1986


Shadowgate, jeu Apple IIGS/Amiga, 1987

Comme beaucoup d’enfants des 80’s, j’ai pris de plein fouet la révolution ludique que constituait pour nous l’arrivée massive des jeux vidéo dans l’architecture de nos temps de loisirs et vacances ! Après une antique Atari, c’est l’inégalable madeleine de Proust de Nintendo, la NES, qui fit irruption dans ma chambre et m’emporta dans un tourbillon de passionnantes quêtes. Je dévorais beaucoup de jeux variés, du terrible Cobra Triangle au chef d’œuvreMetroiden passant bien sûr par Double Dragon, les Megaman, Metal Gearou la saga des Mario Bros… mais j’adhérais particulièrement aux jeux qui transportaient le joueur dans des mondes antiques et mythologiques (Kid Icarus, The Battle of Olympus) ou l’aspiraient dans des univers imaginaires épiques comme The Legend of Zelda, Faxanadu ou Rygar, ce dernier m’ayant marqué par son univers médiéval fantastique, sa musique héroïque, ses paysages crépusculaires et sa galerie de monstres fascinants.

Nul doute qu’un peu de mon inspiration pour Darkenhöld en provient. Déjà je découvrais le plaisir rare de rêver plus grand que la réalité, de peupler les forêts, les grottes et les montagnes de créatures effrayantes, de magiciens aux pouvoirs insondables, de guerriers intrépides. Castlevania, Shadowgate et l’insoutenable difficulté de Ghosts’n Goblinsenrichirent de ténèbres mon panthéon personnel avec des contrées nocturnes, des châteaux maudits et autres cimetières infestés de démons et gargouilles, sur fond de thèmes musicaux inoubliables. Plus tard ce furent Golden Axe, Landstalker et l’étouffant et sanglant The Immortal sur Megadrive qui apportèrent d’autres touches épiques, oniriques et… horrifiques, entre concerts d’épées et de haches, errances en des territoires sauvages et autres plongées angoissantes dans des souterrains insalubres et périlleux… Quant aux Magician Lordsur la dispendieuse Neo Geo (dont je n’ai pu que rêver) et autres Shadow of the Beast surAmiga (je ne disposais pas de la machine), je me contentais des images de magazines mais celles-ci me frappèrent durablement. L’univers des textes de Darkenhöld foisonne ainsi de ces références aux vieux jeux vidéo des 80’s et 90’s dont j’introjectais les aventures hors du temps, maçonnées de vieilles pierres, remplies de monstres et de fracas de métal, enveloppées des odeurs inquiétantes de souterrains, de forêts hantées, de couloirs où se terre l’indicible et des châteaux dangereux…

 

****

Merci à Aldébaran (Guillaume) et Cervantes (Julien) de nous avoir ouvert les portes du donjon !