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lundi 16 novembre 2020

Dans l’œil de : Déhà – 10 œuvres aussi violentes que sensibles

Déhà

Dolorès

Non.

Dans l'épisode précédent, nous demandions à Regarde Les Hommes Tomber de nous parler d’œuvres extra-musicales en lien avec leur musique et ce qui les inspire pour composer et interpréter pour le groupe.

Après s'être arrêtés près des liens tissés entre l'humanité et le divin, nous sommes amenés en terre sinistre. C'est le chanteur, multi-instrumentistes, magicien du son, parolier et des tas d'autres choses dont vous avez forcément déjà entendu parler. Yhdarl, Cult of Erinyes, Imber Luminis, Slow, Maladie, Silver Knife, We All Die (Laughing) et de nombreuses participations éparses (Wolvennest), de projets hors-metal (Aurora Borealis), de projets passés (Clouds, Vaer) sans oublier son projet solo principal : Déhà.

Si vous connaissez quelques noms de la liste, vous saurez qu'il n'y a pas mieux placé que lui pour venir vous parler de ce que votre cerveau vient manigancer avec vos entrailles pour créer des sensations. Des sentiments d'anéantissement, de dépression, de forte émotion.

On donne même rarement la parole aux bonnes personnes sur des sujets comme ceux-ci : c'est pour cela qu'aujourd'hui Déhà choisit 10 œuvres à vous partager (littérature, art, cinéma, et musique hors-metal) aussi violentes que sensibles.

 

La Nausée
Roman de Jean-Paul Sartre - 1938

Ce livre porte incroyablement bien son nom vu que je ne l'ai lu que deux fois et c'était une fois de trop. Il a été porteur d'épiphanies incroyables me concernant, que ce soit vers le bas (comprendre le néant, et en avoir toujours peur) ou vers le haut (accepter les choses que l'on ne contrôle pas). J'ai créé un album, il y a quelques années, pour mon projet Imber Luminis qui porte le nom du livre, Nausea, qui est clairement basé sur ce livre. C'est d'ailleurs pour cette raison que je l'ai relu. Je ne sais toujours pas à ce jour si c'était une bonne idée. La Nausée remue très fort, comme un bad trip de somnifères alors qu'on n'arrive pas à s'endormir. Mais ô combien révélateur.
 

Glósóli
Titre de Sigur Rós - 2005

Connu et reconnu, Sigur Rós est un de ces groupes dont les amateurs de Metal sont assez friands et avec raison. Mais je parlerai simplement de cette anecdote : il y a bien longtemps, un ami me donnait cette chanson, en me disant “Tu dois écouter.”, chose que j'avais faite. A la première écoute, cela ne m'a rien fait, du tout. Aucune émotion, une chanson niaise ambient / post rock, sans plus. Quelques mois plus tard, dans une humeur totalement différente (et pourtant pas mélancolique ou autre), je me la suis remise. Et là, l'explosion. Je n'ai pas été capable d'écouter autre chose que cette chanson (et uniquement cette chanson) pendant une semaine complète. Toute autre chanson me semblait fade. “Glósolí” est une de ces chansons qui peut te soulever comme t'enfoncer, dépendant de tes humeurs et c'est un plaisir d'y revenir et de continuellement ressentir quelque chose, peu importe quoi. Cette montée en puissance, cette explosion. Combien de fois je n'avais pas branché ma guitare pour improviser par dessus toute la chanson jusqu'à m'en faire saigner les doigts.

 

Requiem for a Dream
Film de Darren Aronofsky - 2000

C'est peut-être un film cliché à ce jour, mais il s'agit pour moi d'un film qui ne s'arrête pas dans la violence mentale, qui part lumineux et qui arrive dans le sombre absolu. Ayant grandi dans une de ces cités mal famées, j'ai vu ces drogues, ces mêmes gens en sortir ou en crever et ce film est pile poil l'ambiance voulue. Analogie haletante, mais cet enfermement, cette asphyxie progressive me rappellent “L'écume des jours”. Anecdote : la troisième fois que je voyais ce film, une amie & moi le montrions à un ami en commun qui s'est mis à pleurer comme une madeleine vers les fins. Ce film, en fait, touche ceux qui sont sensibles, les “à fleur de peau” presque de manière extrême. Lors de la fin de ma première vision, je me souviens que j'étais resté simplement assis dans le canapé pendant une grosse dizaine de minutes, seul, à simplement penser, à chasser l'identification personelle, et me rassurer. C'était très lourd. Et tant mieux.
 

Zdzisław Beksiński
Artiste visuel - 1929-2005

Beksiński est un génie. Tout, absolument tout, ce qu'il fait est puissant, empli de sens, et sans pour autant privilégier le black metal et tout ce qui y est lié, il est normal à mes yeux que son oeuvre soit, à juste titre, utilisée pour illustrer certains albums incroyables. Je pourrais (déjà fait) me poser pendant des dizaines de minutes devant une peinture, sans bouger, à réfléchir sur tout, que ce soit ma vie, la vie, pourquoi, comment, etc.
 

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Film de Michel Gondry - 2004

L'émotion est une immense partie de ce que je suis et de ce que je fais, et le fait qu'elle soit, certainement, trop sensible, me permet parfois d'amplifier certaines réactions, de voir (trop) loin. Ce film fait partie d'une série d'oeuvres qui m'ont complètement mis à genoux devant mes propres pensées. Il suffit simplement de s'imaginer aussi mauvais (toxique ?) pour quelqu'un que cette personne veuille supprimer ses pensées et souvenirs de vous-mêmes, surtout si le comportement original n'est pas réellement malsain ou volontaire. Ce surplein d'émotions, certainement adolescentes, est juste incroyablement puissant. Cloîtré, une fois de plus, dans mon canapé à me dire que ma vie c'est de la merde mais qu'au moins, je n'ai pas été supprimé des mémoires, même si trompé, laissé pour seul, moqué, etc. Imaginer d'être supprimé par quelqu'un qu'on aime, ou qu'on a aimé, là, c'est violent.


Maxime Taccardi
Artiste visuel

Maxime est le black metal. Il n'y a pas autre chose. Maxime représente le black metal, le vrai, celui qui s'en fout, celui qui repousse tout, celui qui est là, en bas, toujours plus bas, et toujours pour Lui. J'ai la chance d'appeler Maxime un ami proche, d'avoir fait de la musique avec et pour lui, et d'avoir échangé en art, en discussions intenses, etc. Son art visuel parle, est direct, est sale au possible et d'une violence directe. Malsain, qui rentre dans la tête. Tu te retrouves à regarder une de ses peintures pendant des heures, puis tu comprends que c'est un miroir de l'âme. Puis, tu sais.
 

Ils étaient 9 dans l'Obscurité
Album de Trop Tard - 1988

Trop Tard était un groupe français et culte / underground en deux sorties uniquement (Photodrame, 1987, cassette / Ils étaient 9 dans l'Obscurité, 1988, LP). La musique du groupe s'est dessinée comme un mélange de downtempo, cold wave, post punk mais... Cette voix, Fabien Doe, est incroyable. Comme le reste du groupe, on ressent un amateurisme presque gênant sur la musicalité, la finesse ou même la justesse de la basse, guitare ou même voix. Mais, analogie avec raison, cela n'est pas si différent du culte que “Les Légions Noires” ont avec le black metal. Trop Tard est sombre, direct, primaire, minimaliste au possible et tape là où il faut avec des textes poignants, une dissonance incroyable, qui ne s'arrête presque jamais. Joy Division est, vraiment, joyeux à côté. Il suffit simplement d'écouter la chanson “Maman” pour simplement comprendre tout, sans besoin d'autres explications.
 

American History X
Film de Tony Kaye - 1998

La dépression n'est pas forcément qu'une question personelle, intime, mais peut aussi être liée au fait de ne rien pouvoir faire sur pas mal de choses. Ayant souffert de deux racismes opposés (“sale rital” et “sale blanc”), je ne peux pas être une personne raciste : je suis simplement anti-con, en fait. Et ce film pose des couilles immenses sur la table, sans tabous. Et toujours en anecdote : après le visionnement du film, et donc après cette fin incroyable, j'étais à bout. A bout pour tout : à fleur de peau, au bord des larmes, envie de tout péter. Comme si tu avais bossé pendant des années sur toi-même pour voir tout détruire d'un coup, par un tiers qui n'a rien compris, un idiot, et... tu ne peux rien faire. En fait, 2020, ce n'est pas mieux. Et au vu de mon passif concernant le racisme, bah... Ça me déprime, ça m'enrage, toujours. Je n'ai pas revu ce film depuis une dizaine d'années, et tant mieux.

 

Pierre Périchaud - Business for Satan
Artiste visuel

Pierre ne fait pas dans un art dépressif à proprement parler, mais son art parle et bien qu'il soit beaucoup plus fin, détaillé dans ses illustrations, il n'en reste pas moins puissant pour l'âme émotionnelle. Et encore, je ne parle ici qu'en illustrations. Pierre est un tatoueur, et j'ai gardé mon bras gauche pendant plus de cinq ans avant de pouvoir le contacter et avoir un rendez-vous. Chez lui, j'ai retrouvé tout ce que je voulais : aller dans mes retranchements, connaître mes limites, rentrer dans le rituel de souffrance pour l'amélioration globale du corps et de l'esprit. Lui aussi est devenu un ami proche, et je lui suis éternellement reconnaissant pour mon bras mais aussi pour ses oeuvres, ou sa propre musique et le fait qu'il soit, simplement, un artiste accompli, véritable. Je vous encourage d'aller écouter sa première démo, LureMorbid Funeral qui est la sortie black metal de cette année.

 

Sonate “Claire de Lune” N° 14, premier mouvement
Composition de Ludwig van Beethoven - 1801

Tu t'assieds, tu écoutes, tu ressens. C'est tout.

 

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Un grand merci à Déhà
d'avoir accepté de jouer le jeu !

Crédit (photo d'en-tête) : Visual Violence