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Livre

21 avril 2019 - Matthias

Sakis Tolis & Dayal Patterson

Non Serviam : The official story of Rotting Christ

LabelCult Never Dies
styleAutobiographie
formatAlbum
paysGrèce - Grande Bretagne
sortienovembre 2018
La note de
Matthias
7/10


Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Qu'est ce qui fait le succès d'un groupe ? Comment un projet un peu fou porté par quelques adolescents peut grandir jusqu'à devenir un élément incontournable de la scène Metal internationale ? C'est à cette question au moins aussi vieille que le Rock&Roll que tente de répondre Dayal Patterson avec « Non Serviam : The official story of Rotting Christ », sorti à l'occasion des trente ans de la formation impie hellénique.

Le livre compile une série d'entretiens avec chacun des membres, anciens ou actuels, de Rotting Christ, mais aussi avec de nombreux autres musiciens qui évoquent leurs souvenirs de tournées en compagnie des Grecs, ou plus généralement l'influence qu'ils ont eu sur leurs propres compositions. Une démarche qui aurait pu paraître par trop hagiographique pour tout autre groupe, mais l'auteur, qui a déjà consacré plusieurs tomes au Black Metal, tourne intelligemment sa plume vers les particularités de Rotting Christ, dont le succès n'était vraiment pas garanti dès l'origine.

La Grèce des années 80, malgré son histoire marquée par des milliers d'années de tragédie, des combats pour Thèbes à ceux pour Smyrne, n'était pas de prime abord le plus fertile des terreaux pour la musique extrême. Pauvre et converti depuis peu à la démocratie, le pays reste ancré dans un certain conservatisme, y compris et surtout religieux. C'est dans ce contexte que grandissent les frères Sakis et Themis Tolis, ainsi que Dmitris Patsouris, alias Jim Mutilator, véritable troisième membre de la fratrie. Adolescents, ces gamins des rues commencent à fréquenter les milieux punks et anarchistes d'Athènes, tout en lorgnant chez les quelques disquaires qui proposent, de temps en temps, l'un ou l'autre album de musique extrême, alors que le Metal s'épanouit partout ailleurs.

C'est donc tout naturellement qu'ils se mettent en tête de monter sur scène à leur tour. Mais, alors qu'ils imaginent déjà un projet occulte inspiré par Celtic Frost et Bathory, leur absence totale de maîtrise musicale et le milieu dans lequel ils évoluent les orientent vers un grindcore primitif. Musicalement cela peut prêter à sourire, mais le groupe restera toujours marqué par ses origines prolétaires et cette philosophie libertaire, proclamée jusque sur la couverture de ce bouquin.

Bientôt les compétences musicales s'étoffent, quelques démos servent de champ d'expérimentation, et Mutilator enchaine les bonnes idées en dilettante. Chaque protagoniste du livre insiste d'ailleurs sur le rôle essentiel qu'a joué le premier bassiste : c'est lui qui a renommé le projet Black Church en Rotting Christ, étiquette tellement provoquante qu'elle vaut encore régulièrement l'anathème aux musiciens grecs.

Alors que les flammes du Black Metal commencent à se répandre dans le nord de l'Europe, le son particulier de Rotting Christ, de même sans doute que son aspect exotique, offrent au groupe une certaine estime dans le milieu – ô combien réduit à l'époque – du fanzinat et du tape trading. Le premier EP, Passage to Arcturo (1992), puis les premiers albums entament un cercle vertueux qui amène rencontres, collaborations, et tournées à l'étranger dans un esprit d'improvisation optimiste qui laisse songeur. Après la sortie de Triarchy Of The Lost Lovers (1996), la formation subit toutefois de plein fouet le départ définitif de Mutilator, ainsi que celui, heureusement momentané, de Themis. Rotting Christ a bien failli ne pas s'en relever, et n'aurait sans doute été qu'un groupe de plus dont les trois albums ne seraient plus encensés que par quelques connaisseurs. C'était sans compter sur le caractère opiniâtre, voire têtu, de Sakis, qui porte depuis sur ses épaules un groupe devenu son projet quasiment personnel.

« Non Serviam : The official story of Rotting Christ » aborde l'histoire des Hellènes de façon chronologique, un album après l'autre, ce qui le rend certes un peu répétitif. Le récit en est touchant toutefois, n'éludant pas les périodes de doutes de chacun des membres, et m'a incité à redécouvrir certaines oeuvres d'une oreille nouvelle, avec une meilleure idée du message que portaient les morceaux. Par le prisme des trente ans de carrière de Rotting Christ, c'est de toute l'histoire de la scène extrême grecque que le livre fait le portrait : un milieu créatif marqué par un grand sens de la débrouille mais aussi une certaine naïveté, à mille lieues de l'élitisme et de l'agressivité que revendiquaient en même temps les cercles scandinaves. Si ce bouquin reste destiné aux fans inconditionnels de Rotting Christ, dont je fais partie, il compile tout du long de ses 297 pages un recueil précieux et assez émouvant de témoignages, anecdotes et photographies du groupe. Ces dernières à elles seules valent le détour, tant les Grecs ont fait preuve d'autodérision en acceptant de publier certaines des plus anciennes !

Un concert de Rotting Christ a récemment été annulé dans la ville natale du groupe, Athènes, suite à des pressions religieuses et politiques. Preuve que le message que veulent porter Sakis et ses séides, le fameux Non Serviam, reste douloureusement pertinent.