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Album

11 novembre 2018 - Traleuh

A Forest of Stars

Grave Mounds and Grave Mistakes

LabelProphecy Productions
styleVictorian Black Metal
formatAlbum
paysAngleterre
sortieseptembre 2018
La note de
Traleuh
9/10


Traleuh

« Exuberance is Beauty » – William Blake

Alors oui, flanquer son nouveau disque d'une citation d'un des plus illustres poètes de l'Histoire, ça peut paraître inconvenant voire tout à fait pédant. Et ça l'est, indéniablement. C'est pourtant en ces termes bien emphatiques qu'A Forest Of Stars nous accueille, une fois n'est pas coutume, dans l'Angleterre de la fin du siècle industriel, cette fameuse Angleterre victorienne, qui aura enfanté le Londres mégapole, protéiforme, tentaculaire, où se croiseront dandysme et misère, puritanisme démesuré et prostitution décomplexée. Ce prisme londonien duquel A Forest of Stars nous dépeint depuis maintenant une décennie (!) ses albums-concepts à rallonge, ses thématiques profondes, minutieusement ciselées, son univers étrange, théâtral, et baroque à souhait.

Car rappelons le : A Forest Of Stars est de cette caste, celle des The Ruins Of Beverast, des In The Woods..., des Negură Bunget, puissamment élitiste – oligarchique - , où ambition musicale rime avec ambition conceptuelle, artistique, mais également discrétion bercée d'une transparente hautaineté. Et soyons honnêtes, l'entreprise peut être parfois détestable, en attestent précisément les deux dernières sorties du pourtant regretté Negură Bunget, loupant formidablement le coche pour atterrir dans un joli tas de mélasse, mais aussi toute une partie du catalogue récent de Prophecy, devenu en très peu de temps 5e dan dans l'art d'humer ses propres flatulences. Mais cette ambition, d’apparat pour certains, a également le mérite de conférer une aura toute particulière à d'autres, en cette harmonie, cette juste balance, qui subsiste entre qualité musicale intrinsèque et le concept guidant l'orchestre, devenant non plus coquille mais bien matière d'impulsion créatrice.

Et la clef pour entrer dans ce club fort privé des aristocrates du genre, c'est peut-être la persistance, cette fameuse persistance, celle proclamée haut et fort par les membres d'A Forest of Stars dès le titre d'introduction de leur nouveau disque, Persistance is All. Cette persistance, glorieuse persistance, résonant comme un mantra, une véritable ligne de conduite pour le projet de Leeds, déjà décennal. Cette persistance, éclatante persistance, qui aura également permis à un certain William Blake de persévérer dans l'obscurité, le manque de reconnaissance, l'échec, aussi bien dans son activité de graveur que dans sa poésie, tenant pourtant à son entreprise visionnaire malgré l'absence d'une véritable audience. Cette persistance, ce travail du temps, qui permettra enfin à Blake de trouver sa place au firmament, devenant, et je citerais notre sacro-saint Duc de Boulogne, ce qu'il aurait dû être.

Et en cette décennie de règne donc, difficile de ne pas voir ici un AFOS posé au sommet de son art, en Auguste trônant au sommet du mont Palatin, regardant enfin quelque peu dans le rétroviseur, se remémorant ses victoires passées pour mieux entamer les conquêtes futures. Grave Mounds and Grave Mistakes, donc, semble parfaitement corréler au curieux axiome de l'album de synthèse, ce fameux disque de milieu de parcours, comme un somptueux kaléidoscope assemblant les plus belles pérambulations du groupe jusqu'alors, pour autant de pièces singulières, mais cohérentes, après les errances pas parfaitement sans reproches, et je me permets d'avancer cela avec un recul tout à fait à point, car triennal, de Beware The Sword That You Cannot See.

La variété est le sel de la vie semble donc avoir été le modus operandi de nos joyeux grivois lors de l'élaboration de ce divin nectar. Mais ici, AFOS prend également le parti d'une atmosphère plus vaporeuse, plus éthérée et atmosphérique, pas si éloignée du glorieux A Shadowplay for Yesterdays, en atteste la bien curieuse introduction de Tombward Bound, ses claviers lézardants, nous embaumant doucement mais sûrement vers la nuit, cette mystérieuse nuit, inéluctable et absolue, à laquelle AFOS doit tant. N'ayez pourtant aucune crainte : pour nous guider dans ce tortueux théâtre demeure encore et toujours notre dévoué poète maudit, Mister Curse, remontant une énième fois sur le chariot de Thespis, toujours accompagné de son phrasé de David Tibet sous amphétamine, persistant encore et toujours à déambuler dans ce nouveau recueil de pièces, toutes plus fantastiques les unes que les autres.

Et on y revient donc, à cette persistance, cette magnifique persistance. Persistance qui donne ses lettres de noblesse à qui veut l'adopter. Persistance qui fait céder votre serviteur à chaque écoute, me poussant à noircir de nouveau ces numériques pages. J'aurais pu discourir des heures sur l'hors-d'oeuvre et pourtant terriblement à-propos Taken By The Sea, ou bien encore du travail d'arrangement proprement spectaculaire, conférant au disque un relief insoupçonné. Mais au delà de la profonde vacuité de l'exercice, je me tiens de garder intacte la discrétion caractéristique de cette caste de groupes, dont AFOS semble, par ailleurs, tenir tout particulièrement à cœur. Je me contenterais d'incliner mon chapeau bien bas, plus bas que le sol encore, et de contempler une dernière fois cette scintillante forêt, cette forêt d'étoiles, qui s'est faite, le temps d'une soirée, plus éclatante et brillante que jamais.

Tracklist :

1. Persistence is All
2. Precipice Pirouette
3. Tombward Bound
4. Premature Invocation
5. Children of the Night Soil
6. Taken by the Sea
7. Scripturally Transmitted Disease
8. Decomposing Deity Dance Hall