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Album

04 octobre 2018 - ZSK

Chapter V:F10

Pathogenesis

LabelAshen Dominion
styleBlack Metal apocalyptique
formatAlbum
paysUkraine
sortieoctobre 2018
La note de
ZSK
8/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Chapter V:F10, ou « la dixième clause du cinquième chapitre d’une classification internationale des maladies dues aux désordres psychiques ou comportementaux suite à l’abus d’alcool ». Des paroles qui « spéculent sur l’aridité de la joie de vivre (ndzsk : en français dans le texte) et l’absurdité de la tendance à l’auto-préservation ». Voilà le programme intriguant mais non moins alléchant de ce projet ukrainien. Formé en 2013, Chapter V:F10 est mené par Astaroth Merc, multi-instrumentiste notamment connu pour son projet principal de Black atmo Raventale, honnête clone de Drudkh qui a sorti quelques albums plutôt sympathiques (notamment Transcendance (2012)), un peu moins dernièrement. Il est ici accompagné par Howler, chanteur du groupe de Black avant-gardiste Virvel Av Morkerhatet, qui actuellement reste sur un très bon Metamorphopsia (2016, sorti chez Avantgarde Music) dans un genre chaotique mais contrôlé. Chapter V:F10 lui est donc assez méconnu en l’état, sauf pour les plus fins limiers de la scène ukrainienne. Il a déjà derrière lui un premier album, Syndrome, sorti en 2015, qui proposait une sorte de Raventale en version plus efficace. Rien de bien neuf sous le soleil d’Astaroth en apparence. Sauf que comme toujours, il faut être patient, il faut laisser le temps aux projets de développer leur identité, pour que la révélation arrive. Voilà donc que Chapter V:F10 ressort du bois à l’occasion d’un second album, Pathogenesis, proposé par Ashen Dominion (Kzohh, Ulvegr, et puis bah tiens, Raventale). Nous entrons donc dans certaines arcanes du Black-Metal ukrainien, avec des groupes qui se sont fait remarquer dernièrement (Kzohh en bien, Ulvegr en mal parce que passé The Call Of Glacial Emptiness (2014), c’est devenu un peu n’importe quoi). Et après Syndrome, on s’attend à ce que Chapter V:F10 s’inscrive dans la lignée de ces groupes, sans véritable originalité. La surprise n’en sera donc que plus retentissante vu que Pathogenesis va nous montrer un tout autre visage de Chapter V:F10, un visage différent de celui de Syndrome, un visage différent de ceux de Raventale et Virvel Av Morkerhatet, un visage différent des concepts de Kzohh et des deux derniers albums tout pétés d’Ulvegr. Un visage brûlé par le feu nucléaire, pour un Black-Metal d’obédience post-apocalyptique.

Parti du Black-Metal assez classique de Syndrome, Chapter V:F10 va donc sensiblement évoluer. Vers quelque chose de plus original et de plus « moderne », une modernité assez rare dans la scène ukrainienne (même si Virvel Av Morkerhatet est aussi moderne à sa manière). Si je devais résumer de manière brute la musique de Pathogenesis, ça serait une sorte d’Aborym, la période de Kali Yuga Bizarre à With No Human Intervention, en moins électronique et remis au goût du jour, et avec le même type de vocaux. Le tout développé sur des morceaux longs qui ne lésinent pas sur des moments épiques et avec bien évidemment un léger touché « ukrainien », que ça soit pour un petit aspect atmo ou des assauts plus proches du Black/Death. Et avec une ambiance résolument apocalyptique pour englober le tout et donner de la singularité. On est même parfois pas très loin d’un qip, dans une version BM ukrainien. Il fallait oser et Chapter V:F10 a tenté l’aventure, surprenant là où ne l’attendait pas. Black-Indus sans être totalement Indus (la batterie semble être programmée mais ne part pas dans des beats hardtek, des synthés lumineux sont en place plutôt que des parties électroniques), atmosphérique à certains égards, plus terre-à-terre et Black/Death à d’autres, la musique de Chapter V:F10 est vivante, complète et bien équilibrée, accompagnée par les vocaux trafiqués déchirants de Howler qui semble brailler en ukrainien. Avec 4 longs morceaux entrecoupés par de savants interludes à samples qui assurent bien la continuité de l’ensemble, Pathogenesis se pose comme un beau récital de Metal apocalyptique, qui porte un regard pessimiste sur le futur, avec la désolation nucléaire en toile de fond. On est en apparence bien loin de l’alcoolisme et de la dépression, mais Chapter V:F10 parvient à poser une œuvre désenchantée en toutes circonstances. Dévoilé par le biais d’un premier extrait surprenant et intense, Pathogenesis semble avoir un sacré potentiel en termes de Metal extrême futuriste à bases traditionnelles, et le combo ukrainien va se poser bien vite comme une des curiosités de l’année avec un album somme toute intéressant dans son domaine, avec une emphase apocalyptique trop rare dans le milieu mais pratiquement toujours convaincante. Et Chapter V:F10 ne va pas déroger à la règle.

Quelques spoken words et "Pathogenesis As Grace" ouvre les hostilités sur près de 9 minutes. Et déjà, Chapter V:F10 montre toute sa verve, il ne faut pas perdre de temps, le rayon de l’explosion nucléaire grandit à toute vitesse. Des riffs terreux mais laissant s’échapper des mélodies, une batterie qui blaste jusqu’à l’essoufflement, des trémolos libérateurs, des vocaux possédés, Chapter V:F10 évolue dès le départ à un haut niveau d’intensité. Et se montre sacrément inspiré avec un long morceau d’ouverture à la fois lancinant et bien construit. Les montées de synthés en fond posent déjà une ambiance apocalyptico-épique, avec un paysage illuminé par le champignon atomique malgré lui. "Pathogenesis As Grace" s’offre même un… refrain particulièrement fédérateur, avec des vocaux scandés accompagnés de mélodies. C’est assez incroyable dans l’absolu et Chapter V:F10 est en train de façonner quelque chose d’assez énorme, avec à la clé un passage central porté par des riffs mystiques et des vocaux encore plus trafiqués. Du bel œuvre et une sensation apocalyptique déjà constante se fait ressentir, et elle est assez irrésistible. Et après le premier interlude "Xenomorph Synthesis", on poursuit Pathogenesis avec "Wrong Alien Endorphin" qui redémarre de plus belle avec un déluge instrumental délicieusement chaotique, vite accompagné d’un chant plus déchirant que jamais qui supplante les trémolos mortels, avant de laisser place à des rythmiques frénétiques très efficaces. Encore une fois, Chapter V:F10 fait montre d’un grand savoir-faire pour construire des morceaux à rallonge lancinants mais tout à fait passionnants, et on se laisse emporter par le trip apocalyptique au son des riffs plus Black/Death de ce morceau, des nombreux trémolos mirifiques et de quelques moments bien mordants (comme les rythmiques incisives vers 5’), en plus des vocaux hallucinés très prenants. Jusque-là on a déjà affaire à un beau bijou de Metal apocalyptique, et on attendait pas ces musiciens ukrainiens sur ce terrain (on reconnaît malgré tout une partie de la patte mélodique de Raventale), posant déjà bien Pathogenesis et Chapter V:F10, qui se révèle vraiment avec cet opus, comme une belle surprise, une surprise explosive et dévastatrice.

Après un "Blame to Human Beings" bien tristounet, on attaque le pavé de Pathogenesis qu’est "Nuclear Dogma AN602", qui démarre dans la lignée des précédents morceaux, tout en trémolos et en rythmiques Black/Death. L’intensité est toujours là mais ce qui transformera ce morceau en une piste tout à fait remarquable, en plus d’une emphase plus prononcée sur les synthés de fond, c’est ce somptueux break qui intervient à partir de 6’30, une cassure atmosphérique d’une beauté sidérante, qui nous laisse apercevoir le ciel chatoyant au-delà du nuage nucléaire, avant que l’on ne reparte vers la désolation terrestre à coups de riffs tranchants. Et Chapter V:F10 a encore de la ressource, en abaissant un peu le tempo et en variant les plaisirs, grâce au court instrumental prenant qu’est "Mephistopheles Discipline", puis au morceau plus singulier qu’est "Helvetestoner", une reprise d’Armagedda plus dépouillée et atmosphérique que jamais, avec des mélodies de fin du monde presque tout du long de ses 7 minutes. Un final plus intimiste, mais toujours aussi intense, et épique à sa manière, grâce encore à des synthés résolument apocalyptiques. L’apocalypse est ici bien mise en musique, en témoigne encore l’outro qu’est "Error Circulation". Une apocalypse metallique délicieuse comme on l’aime bien, avec un album d’un genre qui se fait plutôt rare. Malgré tout, il est vrai que les habitués au Black Indus le plus aventureux et le plus porté sur les ambiances seront en terrain connu, savent où sont les bunkers, ont la main pour vite enfiler leur combinaison anti-radiations. Ils feront peut-être vite le tour de Pathogenesis, légèrement redondant et pas exempt de longueurs, avec des influences palpables, et dont l’originalité de l’œuvre tient plus à son appartenance à une scène qu’on attendait pas œuvrer dans ce style. Mais la performance de Chapter V:F10 est à saluer et Pathogenesis est souvent saisissant (et en plus parfaitement sonorisé pour le genre). Passée la surprise de la première découverte, cet album rentre peut-être dans le rang mais n’en reste pas moins remarquable, inspiré et très réussi dans ce qu’il a entrepris. Alors qu’Aborym a viré sa cuti, que qip ne sortira peut-être pas quelque chose avant longtemps et que d’autres formations similaires ne donnent pas de nouvelles fraîches, Chapter V:F10 tombe à point nommé et Pathogenesis se pose facilement comme une des sensations du « Black Indus » au sens large de l’année, tout du moins comme une curiosité tout à fait convaincante. Car pour qui aime avoir des émotions de fin du monde, ce second opus de Chapter V:F10 est à posséder, car il constitue assurément une belle expérience en termes de vision musicale très apocalyptique.

 

Tracklist de Pathogenesis :

1. Pathogenesis As Grace (8:45)
2. Xenomorph Synthesis (1:18)
3. Wrong Alien Endorphin (8:00)
4. Blame to Human Beings (1:04)
5. Nuclear Dogma AN602 (10:45)
6. Mephistopheles Discipline (2:33)
7. Helvetestoner (7:10)
8. Error Circulation (2:35)