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jeudi 1 octobre 2015

Business For Satan

Pierre Perichaud

Dolorès

Non.

Bonjour, peux-tu te présenter, et introduire Business For Satan à nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ? Pourquoi avoir choisi ce nom ?

Bonjour à tous.

Tout d'abord, merci pour l’intérêt que tu portes à mon travail et merci de partager mes travaux sur votre webzine.

Business For Satan est le nom que je me suis donné lorsque j'ai démarré mon activité dans l'illustration il y a maintenant trois ans. Ce nom m'est venu assez rapidement.

L'art n'a jamais vraiment été pris au sérieux chez mes parents. Ils ne voyaient pas ça comme une véritable orientation professionnelle. Moi, j'ai toujours aimé dessiner. En cours je passais mon temps à amuser mes potes en leur faisant des dessins plutôt trash et gore au lieu de prendre des notes comme tout le monde. Ces dessins effrayaient mes parents. Pas forcément bizarre quand ton enfant dessine le diable qui fait des trucs pas très catholiques à des femmes. Ils détestaient ça. Ils voyaient ça comme quelque chose de mal, qui nuisait à ma santé mentale. Ils disaient même que c'était diabolique, que ce n'était pas moi qui faisais ces choses. Dès qu'ils tombaient sur un de mes dessins, il le détruisait ou le faisait étudier par des psys...

Aujourd'hui ils sont heureux de voir que tout ça a finalement pris un sens dans ma vie.

Bref, c'est là que m'est venue l'idée. En m'y remettant sérieusement des années plus tard, alors que j'avais complètement laissé ça de côté, et en rigolant avec un ami, je lui disais que je dessinais pour le diable, que j'allais en faire mon métier et que je ferais du Business avec lui.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours (musical, graphique) et comment tu en es arrivé là ?

J'ai commencé la musique très jeune. Dès mes 6 ans, j'étais inscrit dans une école de musique pour y apprendre la trompette, j'y ai appris le solfège. J'ai joué dans un orchestre, fait le conservatoire, mais rapidement mes goûts musicaux ont évolué.

Je crois que c'était en 2001, j'ai acheté mon tout premier magazine de métal extrême. Je m'en souviens encore. J'y ai découvert des trucs qui m'ont tout de suite fasciné, par leurs pochettes, leurs univers et l'ambiance qui s'en dégageait. Alors très vite je me suis mis à la batterie, à la guitare, j'ai monté mes premiers de groupes avec mes potes, j'avais même commencé un projet solo de black métal dépressif en 2004. C'est ce projet qui a fait que j'ai rencontré Antonin sur le web.

Suite à cette rencontre est né Paramnesia. Même si nous avons ensuite été séparés pendant environ 6 ans, le groupe et l'esprit sont restés les mêmes depuis 2005.

Pour ce qui est de mon parcours graphique, tout s’est déclenché beaucoup plus tard.

Je n'étais vraiment pas bon à l'école et j'avais de gros soucis avec l'alcool. Je n'ai pas obtenu mon diplôme du Baccalauréat. Dès mes 18 ans, je suis partie vivre à Strasbourg, j'y ai enchaîné les petits boulots de merde, pour finalement travailler à la Fnac comme vendeur disques et DVD. Je n'avais aucune formation dans le domaine artistique, mais je gardais en moi cette passion, cette envie qui me démangeait de faire des artworks et des illustrations pour mes groupes de musiques préférés. J'ai fait mes dessins dans mon coin, commencé à en publier sur le net sans jamais avoir la prétention ni l'ambition d'en faire quelque chose.

Je crois que tout est parti d'un dessin que j'avais fait pour le groupe Botanist. J'adorais ce groupe et un ami m'a juste poussé à contacter Roberto. Je l'ai fait, sans espérer aucune réponse, mais il m'a tout de suite pris au sérieux. Il a acheté mon dessin en me disant qu'il l'utiliserait pour un disque futur. Je peux donc dire merci à Tristan s'il lit cette interview aujourd'hui.

Cette histoire m'a donné confiance en moi, et m'a aussi aidé à ne plus me foutre en l'air. J'ai contacté d'autres groupes comme Cult Of Erinyes, fais les visuels et des affiches de concerts pour des formations du coin (Alsace) comme Crown...

J'ai arrêté de travailler en magasin et je me suis mis à dessiner. Mon tout premier tatoueur m'avait dit une fois : « si tu veux progresser, il faut que tu termines un dessin tous les jours. Tous les jours! Même si tu penses que c'est de la merde ». C'est ce que j'ai fait. Plus tard j'ai rejoint le groupe Pledge Of Cain à la batterie et ai fait la connaissance d'un autre artiste tatoueur à la recherche d'un apprenti. Il a aimé mon travail, on a tout de suite accroché et c'est grâce à lui que je suis entré dans le milieu du tatouage.

On entend peu parler de Paramnesia en ce moment, est-ce que tu peux nous dire où le groupe en est ?

Je te rassure Paramnesia, est toujours actif. Le rythme s'est un peu ralenti, mais c'est en grande partie ma faute. L'année 2015 est une véritable année de merde, j'ai enchaîné problèmes de santé, décès dans ma famille, problèmes financiers. Récemment, j'ai perdu quelqu'un qui m'était cher et qui m'avait accompagné pendant longtemps. Tout ça s'est ressenti dans mon travail, mais aussi dans le groupe. On a dû annuler des dates qui comptaient énormément pour moi (les concerts avec Monads, le Void Fest...).

Cependant, nous n'avons jamais cessé de composer. Antonin est une véritable usine à riff.

Nous avons un nouveau titre terminé et prêt à être enregistré. Ce sera un morceau plus agressif que les autres et il sortira sans doute en split début d'année prochaine. Nous avons également fait rééditer et remasteriser notre démo par Déhà / Musical Excrements. Elle sortira en format vinyle/cd et tape. Nous préparons aussi une tournée pour le mois d'octobre et avril de l'année prochaine.

Tes travaux, tant graphiques que musicaux, semblent être toujours étroitement liés (création d'artworks, de merch pour ton propre groupe, univers esthétiques proches mêmes dans tes tatouages...). Est-ce important pour toi de garder une sorte de ligne directrice entre toutes ces facettes de ta créativité ? J'ai l'impression qu'il y a une sorte d'idéal d'art complet pour tout artiste qui diversifie ses pratiques dans différents domaines, est-ce ton cas ?

C'est important pour moi de rester honnête avec mon travail. Comme pour la musique, il faut que cela reste une passion. Que ça me plaise, que je puisse m'exprimer sans de réelles contraintes. J'ai la chance de travailler avec des gens qui viennent justement vers moi pour cet univers que je me suis créé. Je pense que je serai incapable de faire quelque chose qui ne me correspond pas ou ne m'inspire tout simplement pas.

Pour chaque demande, que ce soit un tatouage ou une illustration, je m'implique énormément. Tout me prend beaucoup de temps. C'est comme ça que je fonctionne, je dois me plonger dedans, être à fond et toujours garder cette envie de faire mieux que la fois précédente. Je le fais avec mes tripes et je m’épanouis à chaque nouveau projet.

Penses-tu d'ailleurs, à l'avenir, ouvrir ton art sur d'autres domaines que ceux que tu pratiques déjà ?

La musique, l'illustration, le tatouage... Il y a toujours possibilité de faire mieux et de s'améliorer. J'ai encore beaucoup de choses à apprendre, notamment s'agissant du tatouage. Rester concentré sur ce que je fais et le faire le mieux possible me semble déjà être une bonne chose. Après, je ne suis pas fermé. Il y a trois ans, je n'imaginais pas une seule seconde faire ce que je fais aujourd'hui.

L'aspect macabre occulte, ésotérique, les traits qui rappellent la gravure ancienne, je pense que les gens associent ton travail assez rapidement à de grandes figures comme Albrecht Dürer ou Gustave Doré. Qu'est-ce qui t'inspire principalement (artistes ou autres) ?

C'est vrai que les grands graveurs du XVe et XVIe siècle m'inspirent beaucoup. J'ai grandi avec ce tableau immense de la tentation de Saint Antoine de Jacques Callot accroché au mur chez mes parents. Cette gravure me fascinait quand j'étais petit. Aujourd'hui, ils me l'ont offerte et elle est accrochée dans mon salon.

Ça me fait toujours énormément plaisir qu'on associe mon travail à ces grandes figures même si je suis loin, très loin de maîtriser leurs techniques.

Le cinéma m'a aussi énormément influencé. J'ai passé mon adolescence à visionner des séries B et Z, ainsi que des classiques de science-fiction, cinéma surréaliste... Certains films de Jodorowsky ainsi que ceux de Ken Russell m'ont énormément marqué, certains plans sont de véritables tableaux, plein de symétrie, de symboles et de sens cachés.

Y a-t-il une différence d'approche lorsque tu conçois un artwork et lorsqu'il s'agit d'un tatouage ?

Oui et non. Lorsque je conçois un visuel pour un groupe, j'ai une sorte de liberté que je n'aurais jamais avec le tatouage : le support. La peau et le papier sont deux choses différentes et c'est assez difficile de passer de l'un à l'autre.

Lorsqu’il s’agit d'une illustration, on va souvent me demander d'imaginer quelque chose autour des textes, ou d'imaginer quelque chose qui correspond à l’ambiance. La plupart du temps, je suis totalement libre et les premiers sketch sont quasi toujours validés du premier coup. Pour la conception d'un tatouage, c'est différent.

Même si cela m'arrive de temps en temps d'avoir des projets libres, l'idée et le concept viennent des gens. Je cherche toujours à travailler avec eux, pour que l’inspiration, le rendu et le traitement viennent de nous deux. Les décisions doivent être prise ensemble et au final, il faut que ça nous plaise à tous les deux. C'est un travail intéressant.

Il m'est parfois arrivé de refuser un projet parce que l'idée ne me plaisait pas, ou bien même de le rediriger vers un autre artiste tatoueur qui soit plus en mesure de parvenir aux attentes du client.

C'est toujours plaisant de voir que nos artistes français travaillent avec des groupes étrangers, de plus ou moins grande renommée. Est-ce qu'il y a des collaborations dont tu es particulièrement fier ?

J'ai beaucoup aimé travailler avec Wildernessking.

C'est un groupe que j'aimais déjà énormément, bien avant qu'ils ne me contactent. Quand j'ai lu leur courriel et qu'ils me demandaient de concevoir la pochette de leur prochain disque, avec carte blanche, j'ai ressenti beaucoup de pression.

Je suis très critique envers moi-même et j'ai souvent du mal à être satisfait de mon travail. Je me souviens avoir déchiré mon dessin, quasiment fini et encré, quelques semaines avant la date limite. Ils ont été patients, compréhensifs et m'ont donné plus de temps. Je suis reparti de zéro et suis vraiment content du résultat. Ce fut un plaisir et un honneur de travailler pour eux.

Je dois avouer que j'ai eu un énorme coup de cœur pour l'artwork que tu as dessiné pour le vinyle de Hail Spirit Noir. Comment est-ce que cela s'est fait ? Est-ce que ce sont eux qui sont venus vers toi, et appréciais-tu le groupe avant de travailler sur cette pochette ?

C'est le label Aural Music/Code 666 qui m'a contacté. Emi est l'une des toutes premières personnes à m'avoir sollicité pour mes illustrations. Notamment pour le groupe Fen, mais aussi pour son label.

A la base ce visuel devait simplement être un insert au format poster pour la réédition de l'album "Oi Magoi" de H.S.N, mais je crois qu'il a tellement plus au groupe qu'ils ont demandé d'en faire la couverture de leur vinyle.

Un travail comme celui-ci, combien de temps environ cela te prend-il ?

Je pense qu'en totalité, le travail a dû me prendre plus d'une semaine. Le temps de lire les textes et de trouver l'idée. Ensuite il y a l'étape des croquis, les échanges par courriels... puis vient l'encrage.

Comme pour les autres projets, je suis resté enfermé et concentré avant de l'avoir complètement terminé. J'ai beaucoup de mal à passer d'un projet à un autre tant que je n'ai pas terminé celui que j'ai commencé. Je m'enferme chez moi et me coupe de tout pour créer une sorte de confort créatif.

As-tu des préférences pour certains artistes ou tatoueurs actuels ?

L'un de mes artistes tatoueurs préférés, et notamment celui qui m'a donné envie d'en faire lorsque j'ai découvert son travail, est Maxime Buchi. J'ai également énormément d'admiration pour Thomas Hooper.

Quant aux illustrateurs actuels, je suis hyper fan du travail de Brian Proteau. On a été en contact dès mes débuts et nos échanges sont aujourd'hui toujours très amicaux. J'espère rencontrer ce bonhomme un de ces quatre. Après... Je pourrais en citer tellement. Je découvre de nouveaux artistes quasiment tous les jours. Il y a tant de «  grosses pointures ».

Et musicalement, des coups de cœur récents ?

Musicalement, c'est la même chose. Je dévore les disques à grande vitesse et passe mon temps sur les forums. J'écoute constamment de la musique. Le silence m'angoisse et il y a toujours un nouveau truc à écouter. J'ai bien entendu un gros coup de cœur pour le dernier Leviathan, Jef Whitehead est un artiste que je respecte depuis toujours, mais dans les projets un peu plus underground, je citerai Moonknight ou le dernier Arizmenda, un groupe du label mexicain Crepusculo Negro, un label de qualité en matière de black métal.

Je te laisse le mot de la fin pour nos lecteurs, et merci d'avoir répondu à ces quelques questions !

Encore une fois, Merci à Horns Up pour cette interview et merci pour votre soutien.

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