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Raton et la bagarre #2

mercredi 12 février 2020
Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

Bienvenue dans le deuxième épisode de Raton et la bagarre, la chronique qui revient sur les récentes sorties dans les scènes hardcore !

Décembre 2019 et janvier 2020 ont été des mois très calmes dans la sphère hardcore et il a fallu creuser pour trouver 8 sorties dignes d’être chroniquées. On se retrouve donc avec deux grosses sorties deathcore, du screamo, du metalcore, du mathcore méchant et une dynamite hardcore alternatif (et même un album calme pour conclure).

 

Fawn Limbs – Their Holes Aroused by the Splinters Carved from Their Teeth
Mathcore / Grindcore – USA (indépendant)

Fawn Limbs est le genre de groupe qui m’intéresse au premier coup d’œil. Photos intenses en noir et blanc en guise de pochettes (on pense très fortement à Céleste), une promesse de hardcore dissonant et farouche, une durée courte et efficace (8 minutes en version classique, 19 avec les deux pistes bonus) et un titre à rallonge qui sous-entend une démarche bien particulière.
Ce bon pressentiment m’a été confirmé avec la piste introductive, crescendo menaçant d’une minute. Quand un groupe se permet une introduction ambient d’une minute sur un disque de huit minutes, c’est généralement qu’il est là pour créer quelque chose de viscéral et de dévastateur.
La suite le confirme avec une tornade de méchanceté dans laquelle le chaos s’agite avec la plus grande des précisions. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, Fawn Limbs déchaîne la distorsion et la dissonance mais le fait avec une maîtrise impressionnante. Orchestration radicale et nihiliste, il est difficile d’imaginer mieux sur une durée aussi courte.

Si vous achetez le disque, vous pourrez aussi profiter de deux pistes bonus, divagations bruitistes réussies qui prolongent l’atmosphère malsaine de l’EP. Pour couronner le tout, c’est Dark Trail qui s’occupe de la distribution, label montant qui a déjà bossé avec SeeYouSpaceCowboy et les Callous Daoboys, soit la fine fleur de la nouvelle scène mathcore.

 

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Frail Hands – Parted/Departed/Apart
Screamo – Canada (Twelve Gauge Records)

Je vous avais déjà évoqué Frail Hands dans l’épisode précédent, groupe majeur de la scène skramz nord-américaine moderne (annoncée par Ampere, menée par Ghost Spirit, Lord Snow et consorts). La scène a beau avoir des sonorités reconnaissables, loin par exemple des textures de la scène italienne ou de la démarche post- de l’école française, je trouve que ces groupes tendent à devenir interchangeables. Ne vous y trompez pas, Frail Hands livre un screamo d’une grande qualité, massif, enragé et sourd, mais à qui il manque des partis-pris plus marqués. Les titres s’enchaînent dans une masse sonore étincelante et on se prend vite à imaginer une ville perdue de la Nouvelle-Écosse, balayée par une neige cinglante.

On peut également noter une inspiration intéressante des scènes math rock et post rock dans le jeu de guitare. Du haut de ses 19 minutes, « Parted/Departed/Apart » construit quelque chose de passionnel, d’essoufflé et de tranchant qui confirme indéniablement leur position dans le peloton de tête du screamo outre-Atlantique.

 

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The Acacia Strain – It Comes in Waves
Post-deathcore – USA (Closed Casket)

Si les Étasuniens avaient déjà l'habitude d'incorporer des éléments sludge et doom dans leur deathcore qui tache, personne n'attendait un tel revirement dans leur son. Sur ce nouveau disque, on trouve davantage de post-metal que de deathcore. Le groupe a plus que jamais travaillé la texture et la densité sonore dans une démarche qui rappelle fortement Ulcerate ou Neurosis.

Un éloignement de la scène deathcore qui se voit aussi dans le changement de label, du plus mainstream Rise Records (Of Mice & Men, Crown the Empire, Chelsea Grin) au désormais incontournable Closed Casket Activities (Incendiary, Xibalba, Vein).

Pour autant, ils ne s'interdisent pas des passages frontaux dans la plus pure tradition deathcore, mais l'atmosphère dense et sombre du post-metal donne une coloration infiniment plus menaçante au style traditionnel du groupe. Ceci étant dit, le disque comporte de nombreux passages à vide pendant lesquels le travail sur l'ambiance patine et nuit à l'immersion.

 

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La Petite Mort / Little Death – Disco
Screamo / Post-hardcore – Allemagne (indépendant)

Formation originaire de l'Allemagne, non loin de Francfort, La Petite Mort / Little Death ne semble pas avoir pour priorité de respecter les codes des genres dans lesquels elle évolue. Dès l'intro de l'album, le ton est donné : la musique sera cathartique mais impertinente et effrontée.
Ce qui m'a instantanément séduit, c'est cette démarche originale et anticonformiste. Les membres se sont appropriés les codes du screamo, du post-hardcore ou du math rock mais ont décidé d'en faire un peu n'importe quoi. Pourtant j'étais prévenu : ""Disco" est tout sauf du disco. Ou peut-être que si après tout [...] c'est sauvage, épuisant, bruyant et calme".
C'est cette quête du paradoxe qui me plaît dans le screamo, qui ancre la contradiction dans son ADN (l'émotion chantée contre l'abrasiveté des instruments, le désespoir lancinant des guitares contre la passion hurlée). Sur "Disco", cette dissonance se trouve au détour d'un accord, au hasard d'une intro. Car "Disco" est joueur, mais "Disco" est surtout sincère et il y a quelque chose de profondément beau dans les âneries de ces quatre Allemands.

 

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Lorna Shore – Immortal
Deathcore – USA (Century Media)

Alors que l’on vit le grand retour du deathcore (2019 avait particulièrement marqué le genre avec Fuming Mouth, Fit for an AutopsyShadow of Intent ou Venom Prison), Lorna Shore sort son troisième album qui pourrait les confirmer en tant que tête d’affiche de la nouvelle scène deathcore. C’était sans compter les lourdes controverses autour de la sortie de « Immortal ».

Flashback jusqu’en 2018. En avril, le fondateur et chanteur Tom Barber annonce quitter le groupe pour remplacer Alex Koehler dans Chelsea Grin. C’est alors qu’est recruté CJ McCreery de Signs of the Swarm. Le groupe se lance dans l’enregistrement de ce qui deviendra « Immortal » et dans des tournées aux côtés de Cattle Decapitation, Carnifex ou Fit for an Autopsy. Fin 2019, le groupe annonce fermement sur Facebook que CJ McCreery a été expulsé du groupe. Cette action intervient après de nombreuses accusations d’abus sexuels, de manipulation psychologique et de racisme à l’encontre du chanteur. Une initiative salutaire de la part du groupe, à l’heure où de nombreux groupes font la sourde oreille aux demandes des victimes.
Vous me pardonnerez donc d’avoir eu un goût amer en bouche à l’écoute de cet album et de peut-être ne pas le juger objectivement.

Pourtant l’album a des qualités certaines. Varié et dense, il emprunte tant au death technique (certains solos sont diablement maîtrisés) qu’au black symphonique avec des orchestrations grandiloquentes qui accompagnent le tumulte d’une batterie martelée. Ces influences n’empêchent pas le groupe de se vautrer dans des parties low-tempo hargneuses garnies de growls bien sourds. Mais quand ce sont les influences extérieures qui me séduisent davantage que le deathcore lui-même, alors qu’il compose la majorité du disque, je me dis qu’il y a un souci quelque part et que j’aurais probablement tout oublié du disque dans un mois.

 

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Higher Power – 27 Miles Underwater
Hardcore / Metal alternatif – Royaume-Uni (Roadrunner)

On vous avait déjà parlé des kids de Higher Power et de leur hardcore juvénile et mélodique à l’occasion du Paris Hardcore Fest #2. Ils nous sont revenus en cette fin janvier avec un nouvel album, 3 ans après leur « Soul Structure ».
Pour vous les situer musicalement, je vais avoir recours à beaucoup de comparaisons. Si d’ordinaire je n’aime pas trop cette façon de faire, avec Higher Power c’est indispensable.
Cet album est du pur Turnstile en encore plus décontracté et avec une emphase sur l’approche alternative : écoutez « Shedding Skin » et osez me dire que vous ne pensez pas instantanément à « Can’t Deny It ». En plus des riffs New York Hardcore (« Passenger »), « 27 Miles Underwater » convoque également de nombreux piliers des scènes alternatives avec du Alice in Chains, du Helmet (référencé également dans la typo de la pochette ?) et consorts, lourdement parsemés sur l’album.
Les Britanniques enchaînent les refrains puissants mis en valeur par la voix nasillarde et extrêmement reconnaissable de Jimmy Wizard. L’impertinence dans sa voix m’évoque vraiment la scène sasscore (The Blood Brothers notamment). Quant à la production, elle est typique d’une sortie Roadrunner, extrêmement propre et nette. Sur des morceaux dénués de saturation, comme « In the Meantine », elle l’est peut-être même trop.

Pour une analyse plus en détail, restez dans les parages car notre nouveau venu Mess va s'en occuper !

 

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Pressure Cracks – This Is Called Surival
Metalcore – USA (indépendant)

J'avoue que je ne connaissais pas l'existence de Pressure Cracks avant les recherches pour cet épisode. Pourtant, les Californiens jouent dans la même cour que beaucoup de groupes que j'affectionne, Knocked Loose et Every Time I Die notamment.
Avec un hardcore métallique et chaotique, Pressure Cracks partage la démarche des deux groupes précédemment cités, avec un déluge d'énergie juvénile, des riffs aiguisés et quelques parties mid-tempo ravageuses.

"This Is Called Survival" n'est que le deuxième EP du groupe, qui impressionne déjà avec une maturité musicale rare dans le genre. Pour tous les amateurs de sauvagerie, je ne saurai assez recommander le premier EP, merveille de variété et d'efficacité.
D'entrée de jeu, ce nouvel opus propose une approche plus métallique ainsi qu'une production bien supérieure, massive et brutale avec une bonne balance des aigus et des graves (ce qui est loin d'être systématique dans cette scène). Tous les titres de l'EP sont de véritables pavés de fureur, mais la palme revient à "Shhh", frénétique et délicieusement cacophonique. Malgré la grande homogénéité du disque et l'absence de fautes de goût, je lui préfère quand même les 4 morceaux de l'EP précédent, que je trouvais plus diversifié et imparable.

 

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Floral Tattoo – You Can Never Have a Long Enough Head Start
Emo / Shoegaze / Noise pop – USA (indépendant)

Celui-ci est plus éloigné de la scène hardcore, mais ça me paraît intéressant de vous en parler dans la mesure où l’emo prend ses racines dans le punk et qu’il est important de vous faire écouter autre chose que du bourrin de temps en temps.

Il semblerait qu'après l'avènement de l'emo-rap, l'emo regagne un certain intérêt dans les sphères indé. L'année dernière c'était le premier album de Weatherday qui avait obtenu un succès critique en mélangeant emo à l'ancienne et noise pop lo-fi et il semblerait que Floral Tattoo poursuive la démarche en 2020.

Le groupe basé dans le Washington mêle à une sensibilité et un chant emo ("Don’t Try Things") une texture sonore typique des genres en vogue à la fin des années 80, début des années 90, à savoir le shoegaze et la noise pop. Des murs de réverb crachotants s’enroulent autour d’une voix façonnée par l’emo-pop afin de créer une ambiance onirique, surréaliste et très tendre. La pochette exprime clairement cet état d’esprit que l’on peut ressentir à la fin de l’été dans un sous-bois qui filtre les derniers rayons du soleil, à l’heure où la mélancolie se fait bienveillante.
Mais bien que je soutienne complètement ce retour d'un genre beaucoup trop sous-estimé et inlassablement victime de clichés dépassés, je ne parviens pas à adhérer à la proposition de Floral Tattoo. N'ayant jamais été fan des scènes shoegaze et noise pop, je passe clairement à côté de l'album, et ce malgré une très solide dernière track : "(My Life Fell Apart This Year)".

 

Et si vous n'en avez toujours pas eu assez ou que vous avez déjà saigné toutes ces sorties, je vous conseille le nouveau Jodie Faster, la petite démo de Terror, la compilation de trois singles de Homeland. (à suivre pour tous les fans d'hardcore mélodique), le nouvel EP de Rule Them All (NYHC, HxC mélodique), ou encore l’EP de Labor Hex pour les amateurs et amatrices de Drug Church.