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Album

23 janvier 2020 - ZSK

Thy Catafalque

Naiv

LabelSeason of Mist
styleMetal avant-gardiste
formatAlbum
paysHongrie
sortiejanvier 2020
La note de
ZSK
8.5/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

La parution d’un nouvel album de Thy Catafalque chaque année va-t-elle devenir une tradition ? Pas tout à fait encore, mais de peu cette fois, vu que Naiv nous arrive alors que 2019 s’est à peine terminé. La productivité de Tamás Kátai n’est toutefois plus à démontrer, vu que Naiv sera malgré tout son… 4ème album sorti en 6 ans, le neuvième en tout. Depuis Sgùrr (2015), qui marquait une « pause » de 4 ans suivant l’excellent Rengeteg (2011), le Hongrois devenu Ecossais d’adoption ne chôme pas. Et la créativité de Thy Catafalque, devenu un des maîtres absolus du Metal d’avant-garde, ne baisse pas. Même si le projet a pu faire croire un temps qu’il avait fait le tour de la question, notamment pour le (relativement) plus anecdotique Meta (2016). Pour se renouveler, Tamás Kátai a brodé sur ses bases, faisant toujours le pont entre aspirations Folk/Electro et Black-Metal parfois cru, en amenant pas mal d’instrumentations plus jazzy et des ambiances différentes. Geometria (2018) avait alors signé un léger nouveau départ pour Thy Catafalque, plus de variété, des choses inattendues (ou pas vraiment si vous aviez suivi le side-project Neolunar), des nouveaux morceaux de premier choix comme "Szamojéd Freskó", "Töltés" ou "Gőte", et de nouveaux camarades de jeu comme Gyula Vasvári (Perihelion) ou la chanteuse Martina Veronika Horváth (Nulah, SallyAnne). La palette de Thy Catafalque s’est donc plutôt élargie, et le renouvellement dans la continuité est bien là, ce que peu d’artistes qui commencent à avoir une discographie assez conséquente sont souvent capables de faire. Pour les chefs-d’œuvre qu’il a sorti par le passé (Tűnő Idő Tárlat, Róka Hasa Rádió), la longévité de son illustre projet principal et sa musique toujours assez inimitable et très personnelle, Tamás Kátai mérite donc un respect déjà éternel. L’aventure continue donc, avec ce qui est la 10ème sortie de Thy Catafalque si l’on compte la démo Cor Cordium sortie en 1999, Naiv. Pour un projet qui fait tout sauf preuve de naïveté dans son art…

L’enrobage, malgré une pochette encore très singulière et différente des précédents albums, ne changera donc pas de prime abord. Thy Catafalque se pose toujours comme un collectif autour du maître de cérémonie Tamás Kátai, avec des contributeurs habituels comme Gyula Vasvári et Martina Veronika Horváth qui rempilent après Geometria, l’ex-chanteur de Gire Zoltán Kónya qui fait son retour aux côtés de son compère bassiste Balázs Hermann, en plus du tromboniste de Sear Bliss Zoltán Pál et d’autres musiciens pour divers instruments à corde, des cuivres ou encore de l’oud. Vocalistes compris, on atteint 11 guests pour Naiv. Thy Catafalque en deviendrait presque ambitieux mais pourtant, va rester lui-même en toutes circonstances. Dès le départ sur "A Bolyongás Ideje", on est accueilli par des grattes râpeuses semi-mélodiques totalement Black-Metal. Car oui, Thy Catafalque restera probablement toujours un projet ancré dans le Metal extrême, même si les vocaux arrachés et archi-saturés de Tamás Kátai se font de plus en plus rares avec le temps, Naiv ne dérogeant pas à la règle. Entre trémolos mélodiques, sonorités électroniques et/ou de synthé toujours aussi particulières, on est en terrain connu, Thy Catafalque ne surprend pas avec cette mise en bouche mais est en forme, appuyé en cela par l’enchanteuse voix de Martina Veronika Horváth, vite accompagnée de Zoltán Kónya pour un final plus remuant. Depuis Sgùrr, Thy Catafalque exploite à nouveau bien sa composante Black-Metal latente et ça fonctionne toujours. Mais on connaît bien Thy Catafalque, il ne va pas faire un album 100% « Metal », même s’il en serait capable. Naiv va en réalité réussir à pratiquement exposer la palette entière que Thy Catafalque exploite depuis un long moment, le tout avec un regard et un souffle nouveau. Il y aura bien sûr d’évidents relents de Geometria avec ses oripeaux jazzy (et sa production sonore), que l’on retrouve d’ailleurs dès l’instrumental très entraînant - et toujours très « Metal » malgré tout - "Tsitsushka" qui exploite d’ailleurs très bien les cuivres de même que les ambiances avant-gardistes si chères au projet hongrois. Mais on retrouvera dans la suite de Naiv, pêle-même, du Róka Hasa Rádió, du Sgùrr, voire du Tűnő Idő Tárlat et même du Rengeteg avec… de nouveaux tubes potentiels. Oui, c’est un sacré programme, et l’on va finalement avoir affaire à un album plus dense qu’il en a l’air, malgré qu’il soit… l’album le plus court de la carrière de Thy Catafalque (47 minutes).

Les morceaux hyper-longs comme "Neath Waters", "Molekuláris Gépezetek", "Vashegyek", "Sgùrr Eilde Mòr" ou autre "Malmok Járnak" semblent désormais être du domaine du passé, Thy Catafalque en restant à l’essentiel tout comme pour Geometria qui ne comportait que deux morceaux dépassant de peu 8 minutes. C’est encore « pire » pour Naiv vu que seul "Vető" dépassera ces huit unités, et donc pour le reste, Thy Catafalque va en profiter pour se montrer à nouveau accrocheur et envoûtant. Le contrat est déjà rempli grâce au génial "Embersólyom" parfaitement construit et irrésistible, entre atmosphères épico-oniriques, relents folkisants, guitares tranchantes et vocaux exceptionnels de Martina Veronika Horváth qui réussit l’exploit de faire oublier Ágnes Tóth (The Moon And The Nightspirit). C’est du grand Thy Catafalque, qui sait encore innover sans perdre son identité, et cela annonce un Naiv formidable qui va remettre un vrai coup de boost à la carrière du projet. C’est que Thy Catafalque va nous refaire rêver comme à sa glorieuse époque… déjà grâce au mélancolique "Számtalan Színek" qui met en exergue les instruments à corde de Gábor Drótos (… du groupe de Deathgrind hongrois Gutted), qui est bien vite contrebalancé par le très Metal (c’est ici que Tamás Kátai nous ressort ses plus beaux vocaux saturés) mais résolument avant-gardiste "A Valóság Kazamatái", dynamique et folklorique, salvateur mais enchanteur grâce aux ambiances et sonorités toujours aussi particulières (avec à la clé un somptueux break sidérant). Du pur Thy Catafalque qui, ça commence à se dessiner, lorgne clairement vers le meilleur de Tűnő Idő Tárlat et Róka Hasa Rádió (sans oublier le Metal extrême de Sgùrr). Et les aspirations très folk-avant-gardistes de Naiv vont atteindre leur paroxysme pour "Kék Madár (Négy Kép)", un passionnant morceau instrumental qui retrouve les sonorités les plus féériques que le projet a pu proposer par le passé, et on s’y replonge avec grand plaisir. Remuant mais envoûtant, ce morceau est un véritable bijou d’avant-garde, s’offrant une deuxième partie atmosphérique absolument fabuleuse digne des meilleures ambiances onirico-mélancoliques jamais amenées par Thy Catafalque. Et ce n’est pas tout car on va subtilement enchaîner sur "Napút" qui est juste un incroyable tube, un morceau entraînant à souhait grâce à tout ce que Thy Catafalque est en mesure de proposer en termes de Metal et de sonorités avant-gardistes typiques, en plus de la voix d’or de Martina Veronika Horváth. Peut-être le morceau le plus mémorable de Thy Catafalque depuis un bon moment, depuis Rengeteg et ses hits absolus qu’étaient "Kel Keleti Szél", "Trilobita" et "Kék Ingem Lobogó". Irrésistible et déjà inoubliable…

Autant dire que Naiv se pose facilement comme l’album le plus complet de Thy Catafalque sorti depuis Sgùrr. Même si un Meta synthétisait déjà tout ce que Thy Catafalque avait fait depuis Microcosmos, il ne le fait pas aussi bien que sur Naiv, qui capitalise aussi sur les nouveautés apportées par Geometria pour élargir encore la palette. Ce n’est d’ailleurs pas fini car il reste la dernière ligne droite de l’album matérialisée par sa pièce la plus longue, "Vető", qui nous offre encore du Metal bien tranchant, des sonorités folk et avant-gardistes bien senties et toujours aussi singulières, une dernière intervention de Martina Veronika Horváth mais surtout un dernier break mélancolique de toute beauté. Dommage que la reprise du schéma Metal en bout de course s’avère de trop, le seul véritable accroc de cet album qui se termine de toute manière en fanfare par "Szélvész", premier single de l’album mais aussi son autre tube incontestable, qui lui aussi n’aurait pas fait tache sur Rengeteg et bénéficie en outre des vocaux clairs toujours formidables de Gyula Vasvári. Si j’avais décrit Geometria il y a deux ans comme le meilleur album de Thy Catafalque depuis Rengeteg, autant dire que Naiv le dépasse et reprend ce titre. Certes, l’effet de surprise s’est estompé avec le temps, et les véritables chefs-d’œuvre appartiennent au passé. Mais Naiv se pose facilement comme l’album le plus efficace et inspiré proposé par Thy Catafalque depuis le génial Rengeteg. Le Metal avant-gardiste apporté sensationnellement à l’époque de Tűnő Idő Tárlat et Róka Hasa Rádió fonctionne toujours, Thy Catafalque l’a ré-agrémenté du Metal plus extrême des débuts, Geometria avait permis au projet de se renouveler avec des sonorités plus modernes et jazzy, et voilà que Naiv compile tout ça avec une classe folle et un talent certain qui n’est plus à démontrer. On avait peut-être hésité sur la solidité du projet avec Meta, mais Naiv démontre que le vrai Thy Catafalque est de retour, ou plutôt, il a toujours été là, attendant de retrouver le top de son inspiration et des moyens de varier les plaisirs. Naiv prouve finalement que Thy Catafalque restera un projet unique, avec ses propres codes qu’il exploite avec brio, et nous ramène vers ses meilleures performances à coups d’ambiances enchanteuses, de Metal acéré, de vrais tubes et surtout d’avant-gardisme débridé qui a toujours caractérisé le maestro hongrois. Un excellent album, qui tutoie les mètre-étalons passés et confirme que Thy Catafalque demeure le maître absolu du Metal avant-gardiste.

 

Tracklist de Naiv :

1. A Bolyongás Ideje (4:55)
2. Tsitsushka (5:39)
3. Embersólyom (4:17)
4. Számtalan Színek (2:34)
5. A Valóság Kazamatái (5:30)
6. Kék Madár (Négy Kép) (6:27)
7. Napút (3:48)
8. Vető (8:17)
9. Szélvész (5:36)

 

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