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dimanche 22 décembre 2019

Amenra + Decline of the I @ Bataclan

Bataclan - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de larsens et de gelée de groseilles.

En pleine guerre civile parisienne (comprenez « en pleine période de grèves »), Cartel Concerts organise au Bataclan une date inévitable pour tous les amateurs de musique sombre et épaisse. Contexte de grève oblige, la page Facebook de l’événement est constellée de reventes la veille et le jour du concert.

Après une expédition dangereuse à bord de mon Vélib glissant sur les boulevards de la capitale, je pensais trouver un Bataclan un peu vide, mais malgré les galères, le public est dense dès les premiers accords de la première partie.

 

Decline of the I

Formé par plusieurs membres émérites de la scène parisienne (Vorkreist, Merrimack, The Order of Apollyon, Eibon), Decline of the I est un groupe de black metal conceptuel lorgnant sur l’avant-garde avec des déflagrations bruitistes et des envolées grandiloquentes assourdissantes.

Decline of the I a beau ne pas officier dans la même chapelle que Amenra, les deux groupes partagent une passion pour les textures rêches et les atmosphères menaçantes. Les deux ont cet aspect crispé de catastrophe imminente et l’abordent avec un style différent.

Black metal terreux, sourd et velléitaire, Decline of the I instaure rapidement une ambiance cérémonielle, évidemment impie, qui terrasse le Bataclan.

Malgré le fait que tous les ingrédients soient réunis pour du black haineux traditionnel, le groupe use d’une approche résolument apostate, que ce soit dans les thèmes traités, dans les structures de composition, l’instrumentation et les arrangements.

À ce titre, sont projetés en arrière-plan les sous-titres des citations qui habitent les intros, ponts et outros de morceaux sur fond de paysages lugubres et de vieux films (j’ai reconnu à un moment le Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer). Ces citations imagent les thématiques philosophiques du groupe qui se concentrent sur les expériences comportementales sur des rats, du neurobiologiste Henri Laborit (père de l’utilisation des neuroleptiques en médecine).

Malgré quelques larsens à déplorer, les Parisiens nous offrent une leçon de maîtrise instrumentale sublimée par un chant d’une intensité hallucinante.

Sur un des derniers morceaux, le public assiste à une performance dansée pendant laquelle cinq ou six danseur·se·s se dévêtissent lentement et entament des danses lascives se rapprochant lentement du sol, se fusionnant puis se séparant. Ajout intéressant mais qui gagnerait à mieux utiliser l’espace scénique (la performance était bloquée à la droite de la scène et manquait de place pour pleinement s’exprimer). Malgré ce détail, je reconnais sans peine que le cumul des trois propositions artistiques (musique, danse et projections) créé une atmosphère délétère saisissante, d’autant plus que le son du Bataclan est absolument irréprochable.

 

Amenra

Alors oui je sais, Amenra tourne partout depuis plusieurs années, mais non je n’avais encore jamais saisi la chance de les voir. Considérez donc ce live-report comme celui d’un néophyte de l’expérience live que propose le groupe belge.

Amenra a bénéficié, avec la sortie de son « Mass VI », d’un engouement que je ne saurais pas vraiment expliquer. La musique du groupe belge demeure plutôt difficile d’accès, à la croisée des post-musiques, et propose une expérience immersive dans les ténèbres de la musique, et bien qu’ils méritent mille fois leur succès, je ne comprends pas pourquoi eux plutôt qu’un groupe plus accessible comme STAKE (ex-Steak Number Eight) par exemple.

Quoiqu’il en soit, c’est d’abord Colin H. Van Eeckhout, le chanteur, qui s’avance et nous offre une intro minimaliste avec fumée et morceau de metal martelé. Puis, les autres membres arrivent et déroulent un long crescendo jusqu’à une première explosion de distorsion à l’ampleur de cataclysme. Cette première majestueuse envolée dans les décibels me frappe de plein fouet. Les basses si profondes me donnent des frissons et calment immédiatement tous les doutes que je pouvais avoir à l’égard d’Amenra.

Une des autres forces du set réside dans un lightshow ultra immersif. Tous les musiciens sont de face sauf Van Eeckhout qui ne se retourne qu’à de rares occasions. Sa performance torturée et hallucinée ajoute à la fantastique texture sonore des Belges. Leur musique est pleinement volcanique avec ses grondements sourds, ses éruptions et ses nuages de cendre.

Tout le concert suit le même rythme : crescendo minimaliste et décharné avec parfois du chant clair, suivi par une explosion tonitruante et saturée d'émotions. Si je devais formuler un seul reproche ce serait la longueur. J’aime les albums d'Amenra car ils sont courts et qu’ils évitent ainsi la redite. Ici, le set aurait à mon sens gagné à être amputé d'un ou deux titres.

Néanmoins peu d'artistes parviennent à créer une telle expérience, avec cet état de transe aussi sidérant par l’immensité qu’il suggère que bouleversant par l’intimité qu’il dévoile.

Et en guise de conclusion, sur l'écran une épitaphe : "La tristesse durera toujours".