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mercredi 27 février 2019

Earth and Pillars

Z.

Traleuh

Initié en 2014, le projet italien Earth and Pillars s'est rapidement imposé, à votre serviteur comme à une jolie poignée d'adeptes, comme un des projets de Black/Ambient les plus captivants de la décennie. Souvent comparée à Darkspace et Paysage d'Hiver pour son approche très immersive du genre, et à Wolves in the Throne Room pour son côté profondément naturaliste, la formation italienne a pourtant développé une vraie singularité, et ce dès le premier disque, par un effacement profond et un dévouement à la nature très personnel, semblant, du haut de ses Alpes italiennes, capter son essence même. C'est cette singularité dans l'approche qui m'a donc convaincu de mener une investigation en profondeur sur l'énigme Earth and Pillars, à l'occasion de l'officialisation de leur prochain disque, Earth II, pour un entretien-fleuve en compagnie de la tête pensante du projet italien, Z.
 

 

L'officialisation de Earth II sonne donc comme la première "Révolution complète" du groupe depuis le début de sa carrière. On peut donc s'attendre à une cassure, mais également à une certaine continuité. Qu'est-ce que cette "nouvelle saga" signifie pour vous, en terme d'évolution sonore, de thématiques ?

On peut certainement, dans votre question, voir la réponse elle-même. Ce nouveau chapitre, "Earth and Pillars II", est à la fois une suite et une séparation du passé.

Les éléments qui constituent cette continuité sont à la fois sonores et conceptuels. Le "message" que nous essayons de transmettre ne verra aucun changement remarquable. Comme c'est le cas, je pense, avec la majorité des groupes, l'atmosphère générale que nous essayons d'obtenir est déterminée par une idée/une image que le compositeur a dans l'esprit au moment de la "création". Avec Earth and Pillars, la source d'inspiration vient de la nature, de ses couleurs, de ses sons, et cet aspect n'a pas changé depuis le tout début, et ne changera d'ailleurs jamais. La nature influence non seulement le son, mais aussi les thèmes que nous essayons d'étudier et de traiter dans nos albums. Le côté "Earth" (terre) traite du processus naturel du devenir et de l'impermanence de l'être. Les "Pillars" (piliers) font plutôt référence aux aspects immuables/divins de notre expérience.

Comme il est clair que les deux sujets ne sont pas séparables (le "devenir éternel des choses" n'est-il pas immuable ?!), la Terre et les Piliers connaissent des points de jonction et de contradiction, d'harmonie et de désaccord, de synthèse et de division, qui se manifestent (je l'espère) tant dans la musique que dans les paroles. Dans cette perspective, nous pouvons trouver un fil conducteur, un cheminement conceptuel, à travers les différents chapitres, à partir de "Earth I" jusque "Pillars II" (qui restent à terminer). "Earth I", un album sur le thème de l'eau, était intrinsèquement lié au printemps. D'autre part, "Pillars I" est associé à la roche, la pierre, et s'enracine profondément en hiver. Ce deuxième chapitre, "Earth and Pillars II", clôturera en effet la "boucle" à la fois avec les éléments naturels (air/vent et feu) et les saisons (automne et été). Ce cycle était en quelque sorte inconsciemment là depuis le début et voit enfin le jour avec "Earth II".

Mais comme je l'ai déjà dit, il y a aussi certains éléments de scission. Le premier grand changement est l'arrivée d'un vrai batteur dans Earth and Pillars. Cela a ramené une certaine dynamique "naturelle" qui caractérisait "Earth I", composé avec un vrai batteur (F) mais enregistré avec une boîte à rythmes. Alors que "Pillars I", pour de nombreuses raisons, représentait le côté humain du projet et a grandement bénéficié d'une boite à rythmes, "Earth II" profitera d'une vraie batterie pour être plus humain, terrestre, plus proche de la nature.

Le deuxième aspect qui est substantiellement nouveau réside dans la composition et dans la manière dont les idées ont été élaborées. Alors que dans le passé la plupart du travail se faisait sur des guitares électriques, dans le deuxième chapitre (à la fois "Earth" et "Pillars") j'ai utilisé principalement des guitares classiques et des synthés. Ce changement a donné de la fraîcheur et de la liberté à mon processus d'écriture musicale. Il a également permis d'incorporer de nouvelles atmosphères et de nouveaux sons dans le cadre sonore conventionnel de Earth et Pillars. La guitare classique sera l'élément crucial du prochain album "Earth II" : chaque chanson est issue d'un arpège de guitare classique qui évolue ensuite à travers la chanson pour créer le continuum que je recherche toujours. Les synthétiseurs prendront ensuite la composante primordiale de "Pillars II". A cet égard, l'expérience de "Towards the Pillars" a été fondamentale pour découvrir les nombreuses possibilités de composition sur synthés.


Justement, j'aimerais revenir sur ce lien permanent, cette influence, que vous entretenez avec la nature dans un sens large. Je ne saurais saisir exactement mon impression, mais contrairement à la grande majorité des formations de Black Atmosphérique dites "naturaliste", vous semblez plus incarner la nature que la dépeindre, retranscrivant ses plus profondes vibrations, à la limite de l'expérience mystique. Si mon raisonnement semble vous faire sens, comment expliquez vous cette différence ? Une approche conceptuelle plus poussée peut-être ?

Bien, tout d'abord, merci beaucoup pour ces belles paroles car, plus que de représenter, "incarner la nature" est l'objectif de Earth and Pillars.

Je crois que la raison pour laquelle cela s'est produit provient à la fois des aspects conceptuels et pratiques (toujours garder à l'esprit la dualité des choses, en relation avec la réponse précédente). Quand Earth and Pillars a commencé, j'étais dans un moment relativement difficile de ma vie et je cherchais sans but des raisons et des solutions à mes luttes. Disons qu'à ce moment-là, j'étais davantage penché sur une approche conceptuelle et intellectuelle de la vie, délaissant quelque peu le monde sensoriel et les aspects les plus pragmatiques de l'existence : je passais beaucoup de temps à lire, étudier et chercher des réponses.

Le sujet principal sur lequel je me suis retrouvé était en effet la nature, souvent employée par les auteurs comme métaphore de l'expérience humaine (Rilke, Holderlin, Montale, Leopardi, Thoreau, etc.). Ce qui m'a intrigué (et qui m'intrigue encore), c'est la profonde différence dans la façon dont l'homme et la nature vivent le temps qui passe, le devenir des choses. Pendant que nous essayons de résister, de survivre, de combattre l'inévitable, la nature accepte et laisse les choses se passer comme elles le doivent. Cette différence incarne pour moi la séparation entre l'humain et le divin et donc, au sens large, la nature est pour moi une apparition d'ordre divin.

La nature n'était pas seulement présente dans mes lectures, mais aussi dans ma "vie quotidienne" : né en montagne mais élevé dans un environnement (sub)urbain, j'essayais à l'époque de retrouver mes racines culturelles, même si c'était d'une manière vraiment naïve/enfantine.

Pourtant, le bien naît du mal, en passant de plus en plus de temps dans les bois et les montagnes, loin de l'environnement civilisé, j'ai commencé à réaliser que plus qu'aucun livre ou poème ne pouvait expliquer, être dans la nature était (et est) simplement la réponse à tous mes problèmes. Une vie plus simple était en effet ce dont j'avais besoin : cette prise de conscience m'a poussé à quitter mon pays natal (l'Italie) pour la France et les Alpes. La nature me permet de mettre dans le même "cadre" les aspects conceptuels et pratiques de ma vie, de donner un sens et un but à mon action et à mes décisions. En ce moment, il m'est vraiment difficile de séparer les montagnes et un raisonnement philosophique sur la vie, car dans les montagnes j'ai trouvé la synthèse spirituelle que je désirais auparavant dans ma vie.


Je me permets de revenir sur un point de votre premier paragraphe. Les auteurs cités reflètent bien, à mon sens, le lyrisme et la poésie qui se dégagent des paroles du projet, à la fois spirituelles, naturalistes et philosophiques, Hölderlin et Thoreau étant par ailleurs aussi bien philosophes que poètes, en plus d'avoir un lien très particulier avec la nature comme vous le mentionnez très justement. J'aimerais donc revenir sur cet aspect d'Earth and Pillars : avez vous d'autres inspirations/influences du côté des paroles du projet, aussi bien de romanciers, poètes, philosophes, ou même d'autres groupes ?

Pour répondre pleinement à votre question, j'aurais probablement besoin de quelques pages... Je vais essayer de résumer autant que possible les sources les plus importantes.

Tout d'abord, ma passion pour Rilke et Hölderlin vient en fait de ma passion plus ancienne pour Heidegger, un des philosophes les plus importants du siècle dernier. La philosophie a longtemps été l'un des principaux sujets de ma lecture et, à côté de Heidegger, j'admire profondément Ernst Junger, Nietzsche, Sartre et Derrida. Mais la philosophie (à part Nietzsche) n'a pas la capacité d'établir une relation "émotionnelle" avec la réalité et peut finalement déboucher sur une sorte d'exercice mental constant : c'est la raison pour laquelle je me suis tant intéressé à la poésie (Rilke, Hölderlin, Montale, Leopardi pour n'en citer que quelques-uns).

La poésie a le pouvoir de transmettre des concepts puissants en associant des images à des mots, sous une forme concise et vraiment percutante. Cette approche semble un peu en "contradiction" avec Earth and Pillars, puisque "concis" n'est certainement pas le premier mot que j'utiliserais pour décrire notre musique. Cependant, si on associe concision à minimalisme, essentiel, symbolique, alors la symétrie pourrait être, à mon sens, plus juste. La poésie m'a aidé à changer ma façon de penser la composition : même si je considère toujours que la plupart des "œuvres" sont surtout formées au moment de l'inspiration/création, j'apprécie maintenant davantage le moment "après inspiration" où l'idée originale est façonnée et sculptée en musique. En fin de compte, cela m'a montré que, l'inspiration n'étant pas quelque chose que nous créons ou cherchons vraiment nous-mêmes , le moment de la composition, la première idée est en fait une sorte de "cadeau venu de nulle part"... comme si elle venait de quelque part mais pas de nous, car nous sommes "simplement" médiateur.

Sur une note plus légère, je lis encore beaucoup de romans historiques et fantastiques. Ces dernières années, j'ai redécouvert de nombreux auteurs de fantasy contemporains (Rothfuss, Sanderson et Erikson par exemple) sur lesquels je travaille actuellement.

Je suppose que cette fantasy est en quelque sorte inconsciemment une source d'inspiration pour Earth and Pillars aussi. L'atmosphère, la mythologie, les paysages dépeints par ces auteurs, sont des éléments qui me viennent à l'esprit et contribuent aux "images mentales" que j'utilise pour inspirer la composition.


Tant que nous abordons le volet des inspirations, j'aimerais revenir, si vous le voulez bien, sur un domaine plus strictement musical. Je comprends parfaitement que l'inévitable "jeu des influences" n'est jamais plaisant lors d'un entretien, d'autant que j'ai moi même du mal avec ces raisonnements par assimilation, souvent fortuits. Cependant, j'aimerais tout de même en venir à ce point, qui me semble malgré tout essentiel : quelles sont vos influences, inspirations, d'un point de vue musical ? Étant moi-même grand consommateur de chroniques, j'ai souvent vu évoquer Paysage d'Hiver, Darkspace, Evilfeast, ou encore Wolves in the Throne Room pour votre cas. Considérez vous ces rapprochement comme pertinents ? En ajouterez-vous d'autres ?

Tout d'abord, je crois qu'il est vraiment important de faire la distinction entre les influences et les similitudes. En effet, les gens semblent souvent mal comprendre la différence entre eux. Il est clair que le son d'Earth and Pillars présente de profondes similitudes avec certains groupes tels que Paysage d'Hiver, Darkspace et Wolves in the Throne Room. Cependant, de nombreux autres projets ont joué (et jouent encore) un rôle important dans la définition du son et de l'atmosphère que nous voulons créer. Vous avez mentionné Evilfeast, qui est clairement l'un de mes projets "modernes" préférés, et je suis vraiment content que vous ayez essayé de vous éloigner de la comparaison classique des Paysage d'Hiver et Wolves in the Throne Room, qui ne reviennent que trop souvent. Quoi qu'il en soit, si je dois mentionner d'autres groupes de Black Metal qui ont certainement été cruciaux dans ma croissance musicale, je choisirais Lunar Aurora et Blut Aus Nord. Les deux groupes ont une longue carrière impressionnante et la capacité unique de transcender le temps, d'évoluer vers de nouvelles formes tout en étant capables de transmettre leur atmosphère et leur puissance personnelle et originale. J'ai considéré ces deux groupes comme une sorte de référence pour mes "objectifs" musicaux. La liste pourrait de toute façon continuer sans fin (Emperor, Burzum, les débuts de Satyricon et d'Enslaved), donc je me limiterai à ces 5/6 noms ci-dessus comme inspiration principale. En plus du black metal, la musique synthétisée des années 70 et 80 a également contribué à enrichir les sons que j'essaie d'incorporer dans ma musique : Klaus Schulze, Tangerine Dream, Ash Ra Tempel mais aussi des projets plus industriels comme Skinny Puppy et Front Line Assembly.

Plus globalement, ces dernières années, je me suis davantage concentré sur des vieux groupes « classiques » plutôt que de m'orienter vers de la nouveauté. Je suis relativement statique en matière musicale dernièrement. Après avoir passé ma jeunesse à essayer de suivre les nouveaux projets, les nouveaux styles, et ce qui peut paraître intéressant, je me retrouve de plus en plus souvent à revenir aux mêmes "références" mentionnées ci-dessus. D'un côté, je vieillis et il me semble raisonnable d'être plus à l'aise avec la "sonorité" avec laquelle j'ai grandi ; de l'autre, je crois que la musique moderne manque de "quelque chose" qui était beaucoup plus vif et présent à l'époque.

Je ne parle pas seulement de Black Metal, je crois que le même raisonnement peut s'étendre à beaucoup d'autres styles : nous sommes dans une période de revivalism, les nouvelles idées manquent de visibilité et beaucoup de "nouveaux" artistes trouvent simplement un chemin plus facile, réinventant, réactualisant l'ancienne recette. C'est une forme de critique que j'adresse aussi à moi-même.

Il est vraiment difficile de comprendre si ce "problème" vient d'un manque de dévouement à la musique, d'un manque d'inspiration ou de quelque chose d'encore plus profond. Sans s'ouvrir à beaucoup de portes sur différents sujets, je crois que le manque de dévouement et d'inspiration sont déjà suffisants pour justifier ce tournant dans l'évolution de la musique. D'une part, nous sommes constamment distraits (médias sociaux, séries télévisées, vidéos aléatoires sur Youtube, Instagram, etc.) et incapables de concentrer notre attention sur une tâche simple : je crois que cette modification du paradigme de la façon dont nous vivons va finir par perturber notre capacité à créer quelque chose de nouveau. D'autre part, il y a un manque d'inspiration en termes de contact avec la vie réelle : encore une fois, je pourrais mentionner les démons ci-dessus (médias sociaux, etc.) comme l'entité qui draine beaucoup de nos énergies, limitant notre capacité à nous investir dans des "tâches" significatives. J'ai lu récemment un article de recherche dans lequel il est montré comment les enfants associent aujourd'hui les couleurs à l'environnement urbain plus qu'à la nature : cela signifie certainement que quelque chose change subtilement dans notre approche de la vie. Nous nous sentons plus confiants, plus proches et plus attachés à l'environnement urbain plutôt qu'à notre environnement initial, à savoir la nature. Nous sommes fondamentalement en train de transiter joyeusement vers un monde purement fictif et construit de toutes pièces, perdant nos vraies racines.

PS : bien que toujours dans l'esprit du revivalism, de nouveaux projets très intéressants peuvent être trouvés. En ce sens, certains groupes de Nordvis (surtout Stilla et Saiva) et surtout beaucoup de projets d'Ancient Records (Mystik, Bekëth Nexëhmuh, Gnipahalan, Urkaos) sont tout simplement incroyables. Ensuite, il y a d'autres projets à l'investissement certain, comme The Ruins of Beverast, qui semble transcender le temps.


Effectivement, on le lit beaucoup, la tendance depuis plusieurs années est bien plus à la réactualisation qu'à l'innovation véritable, surtout en ce qui concerne le rock et ses dérivés. C'est ce qui conduit par ailleurs, j'ai l'impression, de plus en plus d'auditeurs metal à se tourner vers le passé, ou d'autres genres plus expérimentaux, notamment en matière de musique électronique, ou encore des bords plus extrêmes, avec la noise et ses dérivés. Vous mentionnez par ailleurs Schulze et Tangerine Dream, c'est effectivement des artistes auxquels on pense lorsqu'on écoute "Towards the Pillars", cette génération de pionniers de la musique ambiante, auxquels on pourrait peut-être rajouter Jarre, Eno... Vous expliquiez par ailleurs, au début de notre entretien, que "l'expérience Towards the Pillars" a ouvert le champ de vos possibles. J'imagine qu'il s'agit ici surtout de textures sonores et de nouvelles atmosphères, mais qu'entendez vous par ces nouvelles possibilités et comment celles-ci impacteront vos prochaines sorties ?

Comme vous l'avez dit, la première contribution directe de "Towards the Pillars" a été en termes de texture. Pour la toute première fois de ma vie, j'ai vraiment compris que la "superposition" est un outil de composition à part entière et que, pour cela, les synthés sont parfaitement adaptés. L'exploration de sons différents, d'atmosphères différentes peut ajouter une certaine "nuance" qui ne peut être considérée que comme un détail mais qui ne l'est pas : chaque morceau de "Towards the Pillars" a 20/30 sons de synthés différents, certains ont un "poids" très faible dans le mix final, mais ils contribuent à créer l'atmosphère finale.

A la fin, j'ai commencé à expérimenter beaucoup même sur les chansons traditionnelles de Earth and Pillars, en essayant d'ajouter quelques synthés ici et là, pour compléter les guitares dans les différentes parties des chansons d'une manière plus dynamique.

Au début, il s'agissait d'une forme de "décoration" et déjà dans "Pillars I", vous pouvez entendre quelques résultats. Je pense que la contribution sera encore plus présente dans le(s) nouvel(s) album(s).

Avec le temps, jouer du synthé s'est transformé en composer de la musique avec des synthés. Comme je l'ai déjà dit, après de nombreuses années passées uniquement à la guitare, c'était une bouffée d'air frais. Simplement à cause de l'instrument lui-même, on passe de 4 à 10 doigts disponibles, un fait qui multiplie les possibilités de tissage de mélodies et de lignes. Certaines combinaisons (surtout en termes d'excursion) ne sont même pas envisageables sur une guitare. Après avoir passé beaucoup de temps à composer sur la guitare, je la vois parfois comme une sorte de cage : c'est vrai, on a la possibilité de changer d'accord, mais vous n'avez jamais la même liberté qu'un clavier. D'autre part, la guitare m'est accessible et familière (depuis que j'en joue à 15/16 ans). Tout compte fait, je me retrouve à sauter d'un côté et de l'autre. Récemment, j'ai passé beaucoup de temps sur la guitare classique, mais je suis presque sûr que quand l'hiver sera vraiment arrivé, je reviendrai aux synthés et à ses sonorités glaciaires. En fin de compte, c'est la possibilité de choisir entre les deux qui m'intrigue et me pousse à aller de l'avant.


Peut-on d'ailleurs s'attendre à un "Towards the Pillars II" pour conclure la prochaine partie d'Earth and Pillars ?

Je dirais oui, mais ce sera probablement une expérience différente. Contrairement au reste du matériel du groupe, la particularité de "Towards the Pillars" est que ce n'est pas quelque chose que j'ai planifié et auquel j'ai vraiment "pensé". C'est venu tout naturellement car j'ai senti que c'était le moment d'enregistrer un tel album. De plus, la collaboration avec Radok (ndlr : compositeur de Lorn) a joué un rôle fondamental : nous sommes partis d'esquisses d'idées de synthés (miennes et siennes) pour développer des chansons complètes. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois lors du mixage/mastering de "Pillars I" et cela a permis de développer le matériel original avec le temps et la profondeur. Dans l'enregistrement final, nous avons beaucoup improvisé et expérimenté, mais il y a eu un peu de "préparation" et d'entraînement.

Pour l'instant, cependant, mon emploi du temps est très chargé pendant les saisons d'hiver et de neige, alors que Radok est très occupé pendant l'été. Je ne sais pas si nous pouvons recréer les mêmes conditions pour qu'un "Towards the Pillars II" soit enregistré...de toute façon ce serait probablement un "Towards the Earth".


Justement, en quoi consistait l'implication de Radok sur le projet ?

Au début de mon expérience dans le "business de la musique", son opinion et ses idées ont été très importantes. J'avais clairement déjà une idée sur la façon dont Earth and Pillars devait sonner, mais comme cela arrive souvent, entre l'idée et le résultat, il y a beaucoup de travail à faire. Il a simplement passé des mois à créer le son de "Earth I", qui est jusqu'à présent, selon moi, notre album le plus réussi. Pendant "Pillars I", après l'expérience du premier album, j'étais beaucoup plus "dans le coup" à la fois pendant le mixage et le mastering... et en fait je crois que le son "Pillars I" est plus proche de mon idée originale de Earth and Pillars. Quoi qu'il en soit, en raison de l'expérience réussie du premier album, il était tout à fait naturel de demander à Radok d'y participer et de s'impliquer autant qu'il le voulait. J'étais vraiment content qu'il ait décidé de " se joindre " au projet.


Concernant ces parties rythmiques justement, plus particulièrement l'intégration d'un batteur dans la formation, des performances live sont elles envisageables dans le futur, ou Earth and Pillars restera bel et bien un projet studio ?

En fait, il y a quelques semaines, je discutais du sujet avec Roberto d'Avantgarde, et il m'a presque convaincu. Cependant, pour être réaliste, je ne serais pas capable de consacrer assez d'énergie/attention pour créer une performance live à la mesure de mes attentes. Comme je pense l'avoir mentionné dans ma réponse précédente, certaines priorités ont changé dans ma vie : de plus, les autres membres "potentiels" vivent très loin de moi, donc l'idée même d'avoir une chimie/connexion avec le groupe est inévitablement peine perdue.


En parcourant les différents visuels de vos albums et en s'intéressant de près à votre imagerie, on peut y lire une grande synchronicité et une vraie cohérence, qui, bien que je ne sois pas versé particulièrement dans le domaine de la photographie, me semble en profonde corrélation avec la musique d'Earth and Pillars : faire transparaître les pulsations de la terre, sa nature profonde, l'incarner. Comment avez-vous développé votre univers visuel ? Des références précises en tête, ou juste une idée globale ?

Concernant le côté visuel de Earth and Pillars. La photographie a toujours été un de mes centres d'intérêt : Je n'appellerais pas ça une passion car je n'ai jamais vraiment investi beaucoup de temps dans l'apprentissage des détails et des détails techniques. Mais, surtout quand je ne suis pas engagé dans des activités particulières, quand j'aime simplement profiter et marcher à l'extérieur, j'adore apporter un appareil photo avec moi.  J'ai toujours regardé les arts visuels (comme la peinture) avec beaucoup de respect et d'admiration. La photographie est (peut-être sous une forme plus faible) l'équivalent moderne de l'art visuel : en effet, ce que je fais, c'est simplement prendre des photos, mais il y a des artistes qui sont capables de parler par la photographie (par exemple Ansel Adams ou un plus moderne Daniel Ernst). 


Et concernant l'entretien, eh bien je crois que nous arrivons à son terme, en tout cas pour les thématiques que je tenais à aborder. Quelque chose à ajouter ou nous passons au traditionnel mot de la fin ? Pour cet exercice, j'avoue apprécier lorsqu'un artiste fait quelques recommandations, de sa scène locale ou non : ça permet de mieux cerner celui-ci, tout en faisant faire de belles découvertes, évidemment.

Tout d'abord je tiens à te remercier de l'intérêt que tu portes pour Earth and Pillars. En tant que petite réalité comme nous sommes, il est très gratifiant de voir que quelqu'un est intéressé à passer un peu de temps à essayer de comprendre quelque chose de plus sur le projet. 

Deuxièmement, je tiens à remercier toutes les personnes qui nous ont soutenus et nous soutiendront, en écoutant notre musique et en lisant cette interview. C'est un vrai plaisir d'essayer de décrire un peu plus en détail les forces motrices de la création de la Terre et des Piliers pour les auditeurs. Nous avons été très réservés sur nous-mêmes, mais pas pour faire semblant d'être élitistes, mystérieux, etc. C'est simplement ma vision personnelle, que l'aspect visuel des groupes surpasse aujourd'hui la musique elle-même. Nous avons essayé de garder l'esprit musical et conceptuel du projet à l'avant-plan, car nous ne nous soucions pas du tout du reste. J'espère que ces quelques lignes que nous avons échangées aideront les gens à mieux nous connaître et à s'intéresser encore plus à ce que nous faisons.

Pour ce qui est des suggestions, je ne suis probablement pas la meilleure personne à qui poser la question puisque je ne suis pas beaucoup la scène actuelle. Comme je l'ai dit dans ma réponse précédente, je me sens de plus en plus attiré par les racines du black metal, plutôt que d'explorer ces nouveaux sous-genres (post-something ou black-gaze) qui semblent être si populaires ces dernières années. En plus du nom classique et en essayant d'être un peu contemporain, je me sens obligé de mentionner Ancient Records et tous les groupes dans lesquels Swartadauþuz est impliqué : Bekëth Nexëhmü, Mystik, Gnipahålan en particulier sont des groupes qui font revivre l'esprit du black metal.  L'ambiance, les synthés et les riffs, la production, tout semble si authentique et "frais". Un autre label que je suive activement est Nordvis, avec des groupes comme Stilla, Saiva, Skogen, Murg. En écrivant, je me rends compte qu'aujourd'hui je considère la Suède comme le pays le plus intéressant en termes de musique extrême. Une chose que je n'aurais pas dit il y a 10 ans, quand j'aurais choisi l'Allemagne ou la France comme pays du black metal contemporain.

J'aimerais pouvoir donner des suggestions similaires et de même qualité sur les groupes italiens, mais en fait, il n'y en a aucun que je trouve intéressant aujourd'hui. En remontant un peu dans le temps, la scène des Dolomites était clairement une référence majeure quand j'étais plus jeune. Non seulement les projets de Radok, Lorn et Nordheim, mais beaucoup d'autres groupes étaient plus intéressants que leur popularité ne le dirait. Je dois aussi mentionner Tenebrae in Perpetuum, probablement le plus célèbre, qui mélangeait un son black metal classique avec une touche sinistre personnelle et quelque peu unique. D'autres groupes intéressants sont Beatrik, Near, Fiave

 

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