Chronique Retour

DVD

28 janvier 2019 - Raleigh

Tiamat

A Deeper Kind of Slumber

LabelCentury Media Records
styleDeath/Doom Metal
formatAlbum
paysSuède
sortieavril 1997
La note de
Raleigh
9/10


Raleigh

L'ouverture des portes de cet Éden sumérien se fait au travers des caresses sensuelles de deux corps entrelacés. La chair devient alors le pont et le lien entre les consciences de deux êtres depuis trop longtemps séparés. Les rêves se mêlent et s'entremêlent dans les soupirs étouffés d'une flamme vacillante. Ce jardin merveilleux, où poussent les pétales éclatants de centaines de soleils, se révèle brièvement comme le voyage intérieur de quelques intimes et ultimes secondes. Les fils de ta chevelure d'ébène passent entre mes doigts comme l'écoulement de grains de sable texture de velours. Ces fils, c'est cet Orient imaginé et déjà lointain, pourtant encore si chaud dans ma paume. Un murmure glissant contre la peau ambrée de la nuque de cette compagne, de cette amante d'une vie ou d'une nuit, à l'éclat plus sincère et puissant que le plus aveuglant des astres. Les étoiles filent au-dessus de ce lupanar aux tentures satinées et aux épices aphrodisiaques, et ne restent que les lents râles épuisés pour emplir l'aube naissante.

A Deeper Kind of Slumber, c'est le souvenir parfois amer de cet amour exalté, naturellement ou non, qui perdure dans la mémoire maintenant esseulée. Le souvenir d'un petit univers, alcôve parmi tant d'autres, taillé à l'attention de deux personnes dans les hauts remparts de l'éternelle Babylone.
Ses sonorités chaudes et volatiles s'étendent en moi et m'emplissent de leur fragrance enivrante, comme le ferait le soulèvement d'amples nuages de poussière, amalgame de sable et de cendres aromatiques, se dispersant lentement dans l'air immobile pour ensuite disparaître, non sans me laisser le souvenir de leur arôme millénaire.
Un amour innocent et encore pur, vierge de l'amertume des déceptions, qui noie le monde dans son prisme enfantin mais merveilleux. Une prostituée apparaissant comme la plus ardente des reines, dont la sensualité n'équivaut que la profondeur de ses iris insondables ou l'éclat de ses lèvres au goût d'héroïne. C'est une poésie singulière et terriblement tactile. Boire ses soupirs étouffés et goûter ses pensées les plus personnelles, sans jamais se confronter aux barrières de la gêne et du doute, comme se laisser pleinement pénétrer par ses râles amoureux. Un abandon absolu dans ses bras, dont la conclusion semble si lointaine qu'elle ne nous concerne pas.

Ces odes à la sexualité, à la spiritualité de l'amour sous ocytocine, se lient à des passages totalement instrumentaux et dansants, presque primaux, teintés de l'orientalisme de cette Sumer sensuelle. Me vient principalement à l'esprit l'interlude qu'est le morceau Four Leary Biscuits, et surtout sa cadence, progressive, rythmée, hypnotisante. Voyage au bout des sens, expérience du sombrage de la conscience dans les épaisses et troubles volutes du plaisir, où la drogue perd sa connotation destructrice pour embrasser celle de la beauté magnifiée. La couche devient la lente éclosion d'une fleur bien trop belle pour être le fruit du monde connu, mais la passion efface toutes considérations, tant que l'échéance repoussée permet de faire durer notre danse. Il n'y a bien que la fin de l'album, avec son Mount Marilyn et ses dix minutes de flottante dérive, qui perd de son emprise sur moi par rapport au reste des morceaux. Bien loin de moi l'idée de vouloir remettre en question la qualité de cette dernière partie, peut-être simplement son emplacement, qui rallonge le rythme de l'écoute et vient quelque peu démailler son fil rouge.

Peut-être moins déchirant, uniforme, et pour vulgairement résumer, terriblement parfait que Wildhoney, il s'en dégage néanmoins des saveurs nocturnes que ce dernier ne possède pas. Au-delà de cet exotisme marqué, ce sont les irréductibles rayons du réel qui transpercent les hyménées de la musique. Je ne suis jamais totalement emporté de l'autre côté, ou alors très brièvement, au point d'en oublier mon point de départ. Par delà le délicat voile de soie de cette petite sphère gorgée de lumière repose la pièce qui l'a vu naître. De simples piques de rappel, des notes dissimulées et des mots devinés qui me renvoient à l'idée que ce moment ne s'inscrit pas dans une quelconque temporalité, bien qu'il soit si beau, beau à en mourir. De la redescente difficile il reste moins le souvenir addictif de la mescaline que celui de la communion parfaite entre deux êtres. Mais plus dur est le retour, plus merveilleux alors est le souvenir, modifié, embelli et presque déifié avec le temps.

Une plaie émotionnelle encore vive, viscéralement douloureuse, et pourtant gardienne de ce jardin des sens exaltés. Et c'est précisément cet équilibre précaire entre ces deux mondes inconciliables qui rend A Deeper Kind of Slumber si poétique. Jamais perdu dans les ombres brumeuses de l'encens, jamais totalement conscient dans le corps présent. Déchiré entre les deux, aimant la déesse, aimant la courtisane, jusqu'à ce que les frontières se troublent et qu'il n'y ait plus de place dans l'un et l'autre, si ce n'est dans le bileux et réconfortant cocon de l'anamnèse. Si cette existence nous a séparés, peut-être que la prochaine nous verra nous retrouver ?
Il s'agit bien d'un amour, infini et sincère, éclipsant les horizons de la raison, qu'importe s'il n'est pas parfait, il ne l'est jamais. Une élégie de ce sentiment obsédant et grandissant, au point d'en devenir son martyr volontaire et un pratiquant de son ascèse sentimentale. Ce sommeil plus profond, c'est cette dévotion, ce don aveugle de tout son être mis à nu, sans prendre compte des conséquences ou de la douleur qui pourraient en résulter. À jamais fidèle à son image, irremplaçable car sublimée, et vivre ce que les plus sensibles poètes ont su décrire. Un imbécile encore amoureux, ne trouvant la paix que dans son impitoyable mirage de cire. Les draps semblent encore abriter dans leurs plis un ersatz de son odeur corporelle, de sa chaleur disparue, et comme doués d'une conscience propre, ils chuchotent dans leur frottement son prénom, si éprouvant et difficile à entendre : Atlantis

Tracklist :

1. Cold Seed
2. Teonanacatl
3. Trillion Zillion Centipedes
4. The Desolate One
5. Atlantis as a Lover
6. Alteration X 10
7. Four Leary Biscuits
8. Only in my Tears it Last
9. The Whores of Babylon
10. Kite
11. Phantasma de Luxe
12. Mount Marilyn
13. A Deeper Kind of Slumber