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Album

03 mars 2019 - ZSK

Sulphur Aeon

The Scythe Of Cosmic Chaos

LabelVán Records
styleMetal Lovecraftien
formatAlbum
paysAllemagne
sortiedécembre 2018
La note de
ZSK
6/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Le Metal extrême, de par son côté forcément sombre et sinistre, s’est laissé influencer par un certain nombre d’œuvres culturelles. Et quoi de plus sombre et sinistre que le registre de H.P. Lovecraft ? Nombreuses sont les formations de Metal ayant revendiqué la filiation à l’univers de l’écrivain américain, de la simple utilisation de quelques références ici et là jusqu’à un certain niveau d’influence sur le son et les paroles. Certains groupes en sont même arrivés à lui dédier la quasi-totalité de leur œuvre. C’est le cas, de par chez nous, de The Great Old Ones par exemple, mais outre-Rhin, on trouve aussi Sulphur Aeon, qui est un peu au Death-Metal ce que The Great Old Ones est au Black atmosphérique. Révélé, ou plutôt apparu des profondeurs sans crier gare, au tout début de l’année 2013 avec son premier full-length Swallowed By The Ocean’s Tide, Sulphur Aeon a fait sensation. Déjà visuellement en arborant un splendide artwork signé du méconnu mais talentueux Ola Larsson, puis musicalement avec un Death-Metal qui sortait des carcans du old-school bête et méchant pour partir vers quelque chose de plus travaillé et ambitieux. Sorte de Death-Metal mi-américain mi-suédois, teinté de Black mélodique plus ou moins moderne, le Sulphur Aeon de Swallowed By The Ocean’s Tide était absolument monumental, avec une production bouillonnante qui renforçait son côté océanique et tidal. Lourd et violent, mais épique et accrocheur, Sulphur Aeon avait d’ores et déjà livré une pépite, qui brodait avec pertinence sur l’œuvre de Lovecraft et avait déjà trouvé sa propre patte. Gateway To The Antisphere avait enfoncé le clou deux ans plus tard, même si l’effet de surprise n’était plus là. Sulphur Aeon s’est donc posé comme une belle originalité dans le petit monde du Death/Black européen, avec une identité très Lovecraftienne mais très personnelle dans l’exécution de la musique. Un formidable début de carrière presque culte à sa manière, pour un des meilleurs représentants de l’hommage permanent du Metal à l’œuvre de Lovecraft.

Trois ans et demi plus tard, Sulphur Aeon poursuit donc sa carrière, sans dévier de sa route qui le mène inexorablement vers des profondeurs de plus en plus sombres et inquiétantes. Quoique. Peut-être qu’après avoir exploré les abysses les plus profondes, Sulphur Aeon va-t-il entamer le voyage de retour vers la surface plus chatoyante ? C’est la question qu’on va se poser après l’écoute de The Scythe Of Cosmic Chaos, le troisième méfait du trident allemand à nouveau paru chez Ván Records. Oui, Sulphur Aeon va procéder à un léger virage. Sans se réinventer totalement, en restant d’ailleurs reconnaissable entre mille, mais en effectuant quelques rééquilibrages pour ne pas répéter à l’infini la formule gagnante de Swallowed By The Ocean’s Tide. Il est vrai qu’en refaisant peu ou prou la même chose que ses débuts sur Gateway To The Antisphere, Sulphur Aeon avait déjà donné l’impression de stagner un tantinet, même si l’inspiration demeurait au rendez-vous sur cet album parfaitement homogène. The Scythe Of Cosmic Chaos va alors donner l’occasion à Sulphur Aeon de faire évoluer quelques éléments. Qu’on se rassure, presque tout ce qui faisait le charme des deux premiers opus est toujours là. On retrouve donc ce Metal extrême très massif à la production étouffée mais puissante, rythmiques et blasts donnant toujours l’impression de former ce mur d’eau qui peut s’abîmer sur nous à tout moment. Et si jusque là, les mélodies épiçaient surtout l’ensemble et lui donnaient sa coloration à la fois épique et sinistre, elles vont ici prendre bien plus d’importance et se mettre presque au premier plan, régissant la plupart des morceaux. On ne perd rien de l’ambiance Lovecraftienne, mais on perd en force de frappe ce qu’on gagne en atmosphère. Les accélérations monumentales se font alors bien rares, et The Scythe Of Cosmic Chaos s’éloigne bien des déflagrations à la "The Devil’s Gorge" du passé. Sulphur Aeon reste massif, nous laissant toujours imaginer des lieux et créatures à la taille impressionnante, mais aère largement son propos pour nous faire admirer ces invocations plutôt que tout détruire avec gros fracas.

En apparence, cette évolution du son de Sulphur Aeon semble logique. Ayant toujours fait cohabiter le Metal extrême écrasant et percutant et l’art mélodique évocateur de Lovecraft, il est normal que Sulphur Aeon en vienne à pencher plus vers une composante que l’autre le temps d’un album par rapport à un autre. Ce qui nous intéressera in fine sera donc : le résultat. Et c’est là que le bât blesse. Car si Sulphur Aeon était éminemment intéressant pour son côté Lovecraftien presque jusqu’au-boutiste, il l’était aussi pour son Death/Black implacable et terrassant. Mais cet aspect s’est donc étiolé pour laisser place à du Metal 100% Lovecraftien et très mélodique qui privilégie l’ambiance à l’efficacité. On retrouvera toujours des passages blastés aux rythmiques puissantes, mais ils se font relativement discrets, ou font plus office de fond de travail, et sont éminemment moins marquants que par le passé, surtout que là aussi, l’effet de surprise et de découverte de Swallowed By The Ocean’s Tide ne fait vraiment plus effet. "Cult of Starry Wisdom" démarre alors The Scythe Of Cosmic Chaos sans intro, et sans surprise, dans un certain classicisme pour la formation allemande désormais, avec le mur de guitares et le tapis de blasts (sans oublier le chant typique), et au fur et à mesure les mélodies s’échappent de l’ensemble, jusqu’à finir dans de beaux leads. Du Sulphur Aeon toujours colossal, mais nettement plus aéré. Le trio allemand sait toujours mettre la gomme quand c’est nécessaire avec divers passages rythmiques bien sentis (le mur riffique constant et pesant de "Yuggothian Spell" ainsi que quelques passages agressifs, les moments bien cossus de "Sinister Sea Sabbath", ceux plus incisifs et blastants de "The Oneironaut", les structures travaillées et les bonnes accélérations de "Lungs Into Gills", les riffs massifs de "Thou Shalt Not Speak His Name"), mention spéciale à l’excellent "The Summoning of Nyarlathotep" qui est assurément la sensation de ce disque avec ses riffs mortels. Seulement voilà, tout ceci n’est que détail car dans sa globalité The Scythe Of Cosmic Chaos est, hélas, un album qui va se révéler vite inoffensif et assez plat.

Si le bien lourd "Yuggothian Spell", qui était d’ailleurs le premier single du disque, demeure intéressant, il est d’ores et déjà un symbole parlant du Sulphur Aeon plus posé de The Scythe Of Cosmic Chaos. On compte beaucoup de trémolos et beaucoup de mélodies qui s’échappent, et cela devient vite lassant. Passé le hit "The Summoning of Nyarlathotep", The Scythe Of Cosmic Chaos va devenir un album très poussif, dès le mi-massif mi-mélodique "Veneration of the Lunar Orb" qui s’avère linéaire et ne convainc guère. Le très long "Sinister Sea Sabbath" est répétitif au possible, "The Oneironaut" est franchement vain, "Lungs Into Gills" agace à force de trémolos redondants, idem pour "Thou Shalt Not Speak His Name"… Sulphur Aeon est assez pataud et manque d’idées pour une majeure partie de ce 3ème album, qui provoque vite de menus bâillements. Si le virage plus mélodique avait de quoi convaincre (on note quelques passages assez splendides et épiques ici et là, les leads de "The Oneironaut", ou encore de jolies mélodies sur les deux dernières pistes), The Scythe Of Cosmic Chaos est un album qui a du mal à redécoller passé ses trois premiers morceaux. L’ensemble est donc assez décevant, cela manque d’intensité, de noirceur. Et de ceci va découler ce qui est pour moi le plus malheureux, c’est qu’à force de pousser le côté Lovecraftien à son paroxysme en multipliant ici les mélodies ésotériques, Sulphur Aeon finit même par s’auto-caricaturer, et livrer une quasi-caricature de Metal Lovecraftien, où le groupe semble s’être donné le pari de caser le plus de références à Lovecraft possibles, références convenues au possible (Nyarlathotep et compagnie, on a déjà donné…). D’ailleurs cela nous donne ici et là quelques passages franchement pompeux, comme les voix pseudo-théâtrales de "Yuggothian Spell" (le final en voix claires de "Thou Shalt Not Speak His Name" est bien meilleur). Tout ceci est très triste et à part quelques bons assauts rythmiques pour nous maintenir en éveil, The Scythe Of Cosmic Chaos est un album assez moribond, le Metal extrême si lourd, massif et impressionnant d’antan s’est presque envolé et ce qui faisait le charme de Swallowed By The Ocean’s Tide est en train de disparaître, abandonné au fond des eaux. Pour laisser place à une espèce de Metal mélodique Lovecraftien, conservant ce qu’il faut de puissance et de lourdeur, mais se révélant trop souvent vain et limité à force d’insister sur les atmosphères en oubliant un peu le reste. Ce virage pourra plaire, mais si vous cherchiez encore du Death/Black Metal particulièrement monumental, The Scythe Of Cosmic Chaos sera une petite voire franche déception, et Sulphur Aeon passe de révélation absolue à groupe de Metal Lovecraftien assez cliché. Même l’artwork est bien moins beau et fouillé qu’avant, c’est tout un symbole finalement…

 

Tracklist de The Scythe Of Cosmic Chaos :

1. Cult of Starry Wisdom (6:02)
2. Yuggothian Spell (5:11)
3. The Summoning of Nyarlathotep (6:14)
4. Veneration of the Lunar Orb (5:12)
5. Sinister Sea Sabbath (9:25)
6. The Oneironaut - Haunting Visions Within the Starlit Chambers of Seven Gates (6:33)
7. Lungs Into Gills (5:54)
8. Thou Shalt Not Speak His Name (The Scythe of Cosmic Chaos) (6:52)

 

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