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Album

28 septembre 2018 - ZSK

Binah

Phobiate

LabelOsmose Productions
styleDeath Metal old-school
formatAlbum
paysAngleterre
sortieseptembre 2018
La note de
ZSK
8.5/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Cela fait quelques années que s’est lancé un revival Swedish Death Metal, et le filon s’est bien peu tari. Il y a de quoi faire sous différents horizons et différentes méthodes, entre les vieux groupes qui se sont reformés après près de 20 ans d’inactivité pour certains, les petits jeunes qui se sont lancés dans l’aventure du Metal « à pédale HM-2 », les musiciens bien établis qui ont monté leur groupe de Death old-school, par nostalgie, par plaisir personnel ou par opportunisme, ou encore certaines formations plus ou moins historiques qui ont repris un gain de productivité ou de créativité… les cas sont nombreux et variés et on ne va pas commencer à tous les citer ici. Attardons-nous sur le cas qui nous intéresse ici, celui de Binah. Cette formation anglaise voit le jour en 2011 sous l’impulsion de musiciens ayant une certaine renommée dans leurs scènes respectives, à savoir l’avant-gardiste Aort (Code, Blutvial, ainsi qu’Indesinence), le doomeux Ilia R.G. (Indesinence, Pantheist ; Aphonic Threnody et Esoteric en Live), et le black-death-grindeux A. Carrier (Necrotize, No More Room In Hell, Theoktony, Throes, Tower Of Flesh ; et plus notablement Anaal Nathrakh en Live). Nous sommes donc dans la catégorie de musiciens aguerris qui se sont lancés dans l’aventure du Death-Metal bien gras, pour leur plaisir et/ou par nostalgie, car il est difficile de parler d’opportunisme pour un groupe qui s’est bien peu fait remarquer jusque là. Leur premier album Hallucinating In Resurrecture paraîtra en 2012, noyé à la fois dans la masse de sorties de Death old-school tendance scandinave, et dans les nombreuses sorties du label Dark Descent Records. Ce n’est d’ailleurs qu’avec la signature cette année chez Osmose Productions que j’ai appris ne serait-ce que l’existence du groupe. Il y a donc eu un petit retard à rattraper, et quel retard ! Car il est dommage qu’un album comme Hallucinating In Resurrecture ait pu passer inaperçu à ce point. Car pour moi, nous tenions avec lui un des meilleurs albums du revival du Death d’obédience scandinave, qui rivalise avec une certaine aisance avec les plus grands voire même tutoie les albums cultes. Rien que ça…

Revenons un peu à l’emballage. Binah est donc un groupe de Death-Metal old-school tendance suédois tout ce qu’il y a de plus commun en apparence. Seulement, on sent bien qu’il y a là-dedans du musicien qui a un background pour faire autre chose que du Swedeath de base, même si les caractéristiques de forme sont toutes là (production typique, chant caverneux, mélodies de circonstance, ambiances, violence et lourdeur). Aort amène donc un souffle nouveau dans les compos et un touché plus complexe au Death-Metal de Binah grâce à son expérience acquise dans Code, et la science du Doom/Death raffiné est amenée par celle acquise au sein d’Indesinence, que ça soit pour Aort ou Ilia. Cela ne peut donner qu’un album de Swedeath « avec un plus », bardé de compos inspirées et particulièrement travaillées. Avec en sus une production assez colossale dans les standards du Death suédois, Hallucinating In Resurrecture était alors une énorme bombe, où le groupe se permettait même de faire du Death « lent » particulièrement pertinent, avec des morceaux plus longs mais fouillés comme l’exceptionnel "Morbid Obumbration". Entre du mid-tempo jamais lourdingue ou trop lent et des assauts bien sentis comme la grosse tuerie des familles "A New Rotten Dawn" ou l’instrumental très cossu "Eminence of the Sombre", Hallucinating In Resurrecture était un véritable manifeste de Death old-school scandinave fait par des anglais. Un disque assez monstrueux, varié et irrésistible, sorte de mélange totalement réussi entre Vallenfyre, Dismember et Sulphur Aeon (pour son côté quelque peu innovant et surtout très travaillé) et encore d’autres choses forcément. Osmose a donc sorti Binah du bois de Dark Descent dans lequel il s’était perdu, et va permettre au groupe britannique de réellement exploser à la face du monde cette fois. Avec donc un second album, Phobiate, qui va avoir la lourde charge de transformer l’essai de Hallucinating In Resurrecture avec un nouvel album que l’on espère à nouveau crunchy, en espérant aussi que le soufflé de Binah ne retombe pas aussi sec.

On reprend donc le même trio et la même recette, Phobiate ne réservera aucune surprise et c’est presque tant mieux tant on attend du groupe qu’il soit à nouveau au meilleur niveau du Swedeath, avec toujours sa science de la compo qui tue. Par rapport à Hallucinating In Resurrecture, on notera tout de même deux changements remarquables : la production est tout d’abord moins puissante et un peu plus crue, encore plus old-school, ce qui nécessite un temps d’adaptation après la claque sonore du précédent opus ; le chant est également plus caverneux, moins déclamé, plus glaireux, mais toujours bien sombre et prenant. Mais le fond, lui, change peu. Nous avons toujours affaire à un Death-Metal d’obédience suédoise, avec un riffing bien gras et beaucoup de leads, oscillant toujours entre du mid-tempo boueux mais jamais chiant ni redondant ; et de la bonne brutalité Death qui fait taper du pied et tourner les cheveux. Le groupe sait d’ailleurs presque mieux que quiconque poser une ambiance bien old-school, avec à nouveau une intro mélodique presque horrifique qui sent bon le début des années 90. Ceci nous amène, de la même manière que Hallucinating In Resurrecture, à un premier morceau déjà bien long. Mais si "Morbid Obumbration" durait sept minutes, "The Silent Static" lui va en allonger… plus de douze. Autant dire que Binah est ambitieux et ne va pas se louper. On pense d’ailleurs avoir affaire d’emblée à un éloge de la lourdeur mais pas du tout. Passé une entrée en matière plutôt épique de deux minutes, c’est ensuite une véritable déferlante et l’on a déjà entre les oreilles les compos les plus brutales du disque ! Motivé et inspiré, Binah ratiboise et nous livre d’ores et déjà un catalogue de compos mortelles. Difficile de ne pas se laisser entraîner par un Death-Metal aussi efficace, violent mais raffiné avec des leads gracieux qui s’échappent facilement du chaos sonore, un chaos contrôlé avec des compos plus complexes que la moyenne du revival Swedeath. "The Silent Static" est déjà une incroyable tuerie, digne des meilleurs moments de Hallucinating In Resurrecture. Avec sa longueur étirée, ce morceau se permet également d’explorer des ambiances, et nous propose donc une partie finale instrumentale assez dantesque avec des compos épiques et fantastiques. C’est vraiment du lourd, et le trio frappe déjà très fort alors que Phobiate ne fait que commencer... ! L’album ultime du revival du Death-Metal le plus gras est-il entre nos mains ?

Pendant les 36 minutes restantes de Phobiate, on va en tout cas avoir le droit à une rasade de Death-Metal de qualité, de grande qualité même. Binah arrive d’ailleurs toujours à exceller dans tous les domaines, que ça soit dans le mid-tempo ou dans la frénésie, que ce soit dans la mélodie ou dans la noirceur. On retrouvera donc de la cruauté Death la plus expéditive avec le bien gras "Waves of Defacement" ou encore l’hyper old-school "Consuming Repulse" dont tout le monde aura saisi la subtile référence, un morceau qui se conclut d’ailleurs par quelques notes de synthé nous rappelant de bons vieux interludes mystiques entendus dans des albums de Death des années 90. On retrouvera surtout de l’efficacité et un bon équilibre, matérialisé par le court mais complet "Mind Tap", jouant vraiment sur tous les tableaux, avec un tempo ni trop lent ni trop rapide, à la fois ce qu’il faut de graisseur et de mélodie, et bénéficiant surtout de riffs bien râpeux. Et on retrouvera bien évidemment de la plus absolue lourdeur, Binah réussissant encore le tour de force de ne jamais paraître bêtement lent mais toujours pesant et écrasant. "Dream Paralysis" sera donc une piste particulièrement morbide, "Exit Daze" poussera plus loin le côté dark et malsain de la musique de Binah avec des voix récitées lointaines bien étranges, tout en nous offrant des mélodies mirifiques (les meilleures du disque, mention spéciale aux leads très mélodeath à partir de 4’20) mais aussi des riffs très rampants. Une lourdeur cossue qui nous amène au final colossal de Phobiate qu’est "Bleaching", qui après une introduction désenchantée nous emporte dans les abysses avec un riffing pachydermique digne d’un grand disque de Funeral Doom, la lourdeur la plus puissante du registre de Binah est atteinte et Phobiate se finit dans une noirceur absolue, juste tempérée par les leads désespérés qui s’échappent de l’ensemble et par l’outro "Serum", très psychédélique mais toujours résolument old-school.

Eu égard à la claque reçue par sa découverte qui pour ma part est encore fraîche (et j’ai trouvé la ligne « vieillerie découverte en 2018 » à mettre dans mon bilan), Phobiate sera néanmoins un chouïa inférieur à Hallucinating In Resurrecture qui est encore au-dessus en termes de puissance. Phobiate a d’ailleurs largement copié son aîné dans sa structure globale (intro et outro, long morceau en deuxième position, instrumental également en sixième place - le tout de même très bon et complet "Transmissions From Beneath" avec des leads très inspirés, pas mal d’ambiances mélodiques et un des passages les plus brutaux du disque à 4’), et Binah a peut-être un peu cédé à la facilité. Mais l’essai est transformé avec un disque plus cru, appuyant ici et là soit sa violence soit sa lourdeur, et surtout les musiciens sont à nouveau particulièrement inspirés, apportant grâce à leur background un petit plus et une touche personnelle à ce Swedeath des familles. "The Silent Static" vole peut-être le disque, et il est vrai qu’il est particulier de constater que le tube absolu de ce disque dépasse 12 minutes alors que nous n’avons pas affaire à du Funeral Doom… mais des pistes comme "Mind Tap", "Consuming Repulse", ou "Exit Daze" et "Bleaching" si vous aimez quand votre Death-Metal est bien lourd, ne sont pas en reste même si on ne retrouve pas de hit à la "A New Rotten Dawn". De toute manière, force est de constater que nous avons tout simplement affaire à un nouveau monstre de Death-Metal old-school tendance suédoise voire au-delà. Sorti de presque nulle part malgré le pedigree relatif des musiciens impliqués, et alors que le revival Swedeath se traîne en longueur avec des sorties qui deviennent banales, Binah vient donc de souffler un vent frais sur la scène avec deux albums très travaillés et réfléchis, qui vont un peu loin que les carcans du style mais en respectant les fondamentaux avec classe et efficacité. Et Binah de devenir facilement un des avatars les plus excitants du Death old-school actuel. Jetez-vous sur Hallucinating In Resurrecture si ce n’est déjà fait, et merci à Osmose pour avoir extirpé Binah de la masse, grâce à un second album bien cru et gras, lourd et épique, qui fait honneur au Death-Metal historique et lui offre une légère relecture très morbide et mortelle.

 

Tracklist de Phobiate :

1. Phobia in Excelsis (1:06)
2. The Silent Static (12:06)
3. Mind Tap (2:56)
4. Dream Paralysis (5:13)
5. Waves of Defacement (2:41)
6. Transmissions from Beneath (5:42)
7. Consuming Repulse (3:23)
8. Exit Daze (6:10)
9. Bleaching (7:46)
10. Serum (1:07)