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Album

28 février 2017 - Dolorès

King Woman

Created In The Image Of Suffering

LabelRelapse Records
styleDoom / Shoegaze
formatAlbum
paysEtats-Unis
sortiefévrier 2017
La note de
Dolorès
8/10


Dolorès

Non.

Il y a deux ans, je chroniquais l’EP « Doubt » de King Woman sur Horns Up. Autant dire que je m’attendais à ce que, comme souvent, mon coup de cœur du moment ne parvienne pour autant pas à sortir de sa coquille. Qualifié rapidement de Doom à chanteuse, cela ravirait les fans du style un peu curieux, mais on ne chercherait globalement pas plus loin alors que, pour une fois, on avait véritablement une prise de risques, et une originalité bien marquée !
Et finalement… J’en ai été la première surprise, mais King Woman a renouvelé l’offensive en ce début d’année, avec un premier full-length chez Relapse, un artwork que vous retrouverez très probablement dans mon Bilan de 2017 comme plus belle pochette de l’année, et une tournée en première partie de True Widow, rien que ça, dans le genre référence absolue du Stonegaze.

Si à ma première écoute du groupe il y a deux ans, j’avais songé "Chelsea Wolfe rencontre SubRosa", il est vite apparu évident qu’une influence du côté de True Widow était aussi présente. King Woman pratique également ce qu’on appelle Stonegaze, avec un Doom (plus que Stoner ici) teinté de Shoegaze et de Dream Pop. C’était omniprésent sur l’EP « Doubt », et c’est légèrement remanié ici.

Avec « Created In The Image Of Suffering », on a toujours ce feeling éthéré, notamment grâce à une production claire et aérée, grâce aux arpèges de guitare, au chant, à ces boucles lancinantes dont le groupe s’est rendu maître. Néanmoins, une idée plus sludge-gentillet ressort également, chose nouvelle. C’était notamment ce qui ressortait avec « Utopia », titre dévoilé avant la sortie de l’album, sans doute histoire de poser le cadre et prouver que le groupe ne s’est pas rangé dans une case aux parois étroites. Un album, c’est l’occasion pour King Woman de nous montrer qu’ils ne savent pas uniquement projeter l’auditeur dans un voyage cotonneux et mélancolique, mais également rendre l’ensemble chaotique quand bon leur semble. La nouveauté a également été la sortie d’un clip, celui de « Deny » qui est d’ailleurs assez surprenant. Si son esthétique semble loin de ce qu’on imagine en écoutant le groupe, il reprend un thème cher à Kristina, son rapport au Renouveau charismatique, un courant chrétien dans lequel elle a été élevée. Une thématique religieuse qu’on retrouve plusieurs fois au cours de l’écoute.

Evidemment, le véritable atout du groupe est la voix de Kristina, dissonante mais toujours maîtrisée, d’un timbre que je n’avais jamais entendu avant, et très difficile à décrire. Son chant est complexe et paradoxal : il sonne toujours grave, bien qu’elle ait la possibilité de monter bien haut, et ressemble à une suite de soupirs à peine déclamés bien qu’elle sache utiliser efficacement sa puissance (et quelle puissance). Il est rendu fantomatique en studio par la superposition quasiment constante, tout au long de l’album, de deux pistes de chant (parfois à la tierce, parfois non) donnant cet aspect aérien, au-delà du monde réel. Un petit côté Mazzy Star beaucoup plus assumé et profond.

J’ai souvent l’impression que dans ce genre, il est habituel de laisser la lourdeur des riffs, l’angoisse d’une batterie retenue et la basse former un ensemble qui peut se suffire à lui-même pour créer une ambiance. Si beau soit-il, le chant est parfois laissé de côté, comme secondaire, ne prenant place que sur quelques parties du morceau, ou en tout cas limité. Je pense à Pallbearer qui installe pour moi des ambiances qui peuvent être comparées à celles de King Woman, où le chant se fait éthéré, planant sur l’ensemble. Et pourtant, le parti pris est radicalement différent, car Kristina est loin de vouloir se taire, son chant vient sublimer la composition au lieu de l’accompagner ou d’être un élément de rupture.

« Created In The Image Of Suffering » illustre à merveille l’idée qu’on peut tout à fait surcharger un morceau Doom lourd et pesant avec un chant mélodieux et en faire un chef-d’œuvre. « Worn » est d’ailleurs l’un de mes titres favoris pour cette raison, l’auditeur est complètement envoûté par ces lignes de chant qu’on suit sans se rendre compte que les éléments instrumentaux s’emballent, une partie emportant l’autre successivement dans un crescendo monumental.

« You break the bread, you drink the wine »

Cela peut sembler anecdotique, mais c’est en réalité pour moi un élément important de la musique de King Woman, puisque si le groupe joue sur un terrain bien rempli en ce moment, cela le démarque énormément de la masse restante. En effet, on ne rentre pas du tout dans l’album de la même manière, les mécanismes habituels et les repères sont complètement oubliés ici.
C’est sans doute pourquoi on peut indéniablement dire que King Woman entre dans la cour des grands, ayant bien compris où puiser ses atouts, comment les magnifier et rendre un ensemble cohérent et pro. A bientôt sur scène.


1. Citios
2. Utopia
3. Deny
4. Shame
5. Hierophant
6. Worn
7. Manna
8. Hem

 

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