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Album

31 octobre 2016 - DarkMorue

öOoOoOoOoOo

Samen

LabelApathia Records
styleAvant-garde Organique
formatAlbum
paysFrance
sortieoctobre 2016
La note de
DarkMorue
9.5/10


DarkMorue

Un mec qui écrit des trucs.

Mais regardez-moi comment il est mignon ce nom de groupe. öOoOoOoOoOo. Non ça se prononce pas "ohohohohoho" mais juste "Chenille". Parce que c'est une chenille. Ou "Caterpillar" si vous êtes anglais. Ou "šeniliniai" si vous êtes un Lituanien perdu sur le web francophone,ou encore "papillon pas mûr", "la vieille connasse qui a dézingué mes hortensias" et tout autre sobriquet qui vous conviendra. Bref, ce nom est déjà un coup de génie en soi, et personnellement je surveille le projet de loin depuis un bail, depuis l'interview que j'ai fait de Human Vacuum en fait, que vous pouvez retrouver par ici en cliquant sur moi wesh. Parce qu'un projet d'avant-garde de France avec de tels cerveaux malades derrière, ça pouvait qu'être exceptionnel. Le duo est donc formé par Baptiste donc, l'un des cerveaux de l'aspirateur humain dont je parlais quelques lignes au dessus (actuellement en standby), et rien de moins qu'Asphodel, l'énorme monstre vocal qui nous avait tous tués avec Pin-Up Went Down et son "2 Unlimited" toujours culte. Bref, cette entreprise annonçait donc du bordel et du groove, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'on est pas déçus. Je n'avais aucune véritable idée d'à quoi m'attendre, et le résultat m'a juste totalement tué, et vous pouvez déjà voir la note, on tient l'album Français de 2016 pour moi et pas besoin de chercher plus loin.

"Samen" est un fragment d'un univers qu'on a planté là. Un gros bout des esprits de ses deux géniteurs, ne se posant aucune limite, mais gardant un côté extrêmement organique déroutant. Pin-Up Went Down était un bordel contrôlé impulsif, rock et puissant, et on a très envie de comparer les deux formations car elles ont en commun un genre et une voix. Mais non. Chenille n'est pas PUWD et ne veut pas l'être. Cet album est pensé comme une galerie d'art moderne, chaque morceau étant une pièce différente dans laquelle on entre, on y observe une autre création difforme, et on en ressort avec encore plus de questions que quand on est entré. Chaque titre développe sa propre dynamique, trouve son unité dans sa propre incohérence, on ne s’embarrasse de rien mais contrairement à beaucoup d'autres formations similaires, la musique ne sonne pas fourre-tout, poussive ou artificielle. Le groupe le plus proche du style global serait Unexpect s'il faut n'en garder qu'un, mais ici en encore plus barré car moins hystérique que les Canadiens, et ne dégageant pas d'impression de folie malgré les aberrations auditives. Et avec comme je l'ai dit un côté extrêmement organique qui s'exprime par un travail d'arrangement absolument MONSTRUEUX, l'album étant infesté de petites trouvailles, chants diphoniques, bruits corporels, instruments nobles et classieux, pour une ambiance charnelle que la pochette exprime on ne peut mieux.

Rien que le colossal "Rules of the Show" pose tout. Violence, orchestrations épiques, groove animal, un véritable hit en puissance qui nous catapulte dans cet univers, et ce uniquement pour nous prendre à contrepied par la suite avec une succession de nouvelles facettes qui ne se ressemblent pas. Outre le hit planétaire "No Guts = No Master" et son refrain entêtant malgré une structure prise de tête au possible (entre les grooves de violoncelles et les percus de langues, voilà hein), se manger un truc comme "Meow Meow Frrru" fait mal. Probablement le titre le plus anarchique de l'album, avec ses voix totalement schizophrènes et une succession complètement aberrante sur la fin que je vous laisse écouter tout seuls comme des grands. Tout ça est extrêmement particulier, entêtant, et toujours hyper efficace malgré le dawa ambiant. Et par dessus, la transcendance. Parce que ouais, le travail réalisé est bluffant de maîtrise et de précision (big up au batteur de Pryapisme en session), les arrangements extra-terrestres de complexité (écoutez attentivement "No Guts = No Master" pour vous en convaincre), mais surtout, vocalement, on touche un niveau supérieur.

Asphodel est bien évidemment au centre, bien que Baptiste fasse quelques interventions remarquables (coucou le superbe Jazz de "Well Oiled Time Machine"). On se rappelle de ses prestations complètement hallucinées chez PUWD, mais là on atteint un tout autre niveau. La demoiselle tord sa voix, la fait passer par tous les stades inimaginables, tant et si bien que desfois on se demande carrément comment il est possible que tout ça puisse provenir de la même personne. "I Hope You Sleep Well" me fait proprement halluciner à ce niveau là, tant les intonations vont du hurlement décharné aux petites filles sosie total de Die Antwoord (ultra flagrant sur "Bark City"), avec toujours cette prédominance de sa belle voix grave et chaude. Et il fallait bien ça pour aller par dessus une telle œuvre. Parce qu'au final, "Samen" est juste un exemple parfait de ce que l'avant-garde doit être, à savoir une rupture totale des barrières, pas juste des trucs mélangés n'importe comment juste pour faire du bordel. De l'art moderne mais dans le bon sens du terme. On trouve des gros bouts de Black Metal à bien des endroits (le dernier titre, juste monstrueux), mais même les morceaux les plus violents auront toujours leur petit truc à eux qui ne fera jamais rien sonner trop agressif ou hors sujet (ce break guilleret et rempli de bruits d'objets sur "I Hope You Sleep Well"). Et il suffit d'écouter le dernier titre pour...

Oh et merde. Stop.

"Samen" n'est pas un album descriptible. Si je tente de rentrer dans le détail pour expliquer les trouvailles, ce que contient chaque titre, y'en aura pour des plombes. Chaque pièce est unique, et pensée pour être autant une œuvre indépendante que faisant partie d'un tout. L'analogie avec l'art moderne revient. C'est une exposition, comme si un artiste en particulier nous présentait dans une galerie l'intégralité de ses pièces, disposées de manière logique. On observe chaque machin, ces espèces d’amas de matières difformes, faisant passer un message abstrait derrière un travail de titan, et une fois ressorti on juge, on remet en question, et on y retourne le lendemain pour checker les subtilités qu'on a loupé. "Samen" n'est pas une future référence car il est trop en dehors des considérations pour pouvoir être suivi et égalé. C'est juste un morceau de conscience, un reflet du monde, quelque chose qu'on a posé là et qui arrive maintenant, parce que c'est comme ça. Quelque chose que tout le monde se doit d'écouter juste histoire de s'assurer que oui, la musique est bien un art aussi noble que tous les autres, et que les codes ne sont faits que pour être brisés.

Et la seule conclusion que je peux apporter à tout ça n'est qu'une problématique futile : comment le nom du groupe s'écrira au prochain album ? Parce que là j'arrive vraiment pas à faire un papillon avec mon clavier.

Ce sera tout pour moi, merci de votre attention.

 

Tracklist :

1 – Rules of the Show
2 – Fucking Freaking Futile Freddy
3 – Meow Meow Frrru
4 – No Guts = No Masters
5 – Bark City (A Glimpse of Something)
6 – Purple Tastes Like White
7 – I Hope You Sleep Well
8 – Well-Oiled Time Machine
9 – Chairleg Thesis
10 – Fumigène
11 – LVI
12 – Hemn Be Rho Die Samen