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Egypte 117 : Le Caire, nid de metaleux

jeudi 3 mars 2016
Prout

Chroniqueur musiques du monde. Parfois Brutal Death / Black / Grind mais rien au dessous de 300BPM sinon c'est trop mou et je m'endors.

Jeudi 17 septembre 2015 j'étais au Caire pour le premier concert international de metal extrême d'Égypte. J'entends par international le fait que pour la toute première fois un groupe de renommée internationale natif à 100% d'un pays occidental venait jouer en Égypte avec un tempo qui va à un peu plus de 200bpm. A l'affiche donc de cette soirée exceptionnelle, de la soirée que tu fais qu'une fois dans ta vie, pour laquelle ça valait le coup de se bouger le boule : Sallos, Alkaloid, Nader Sadek et Aborted, quatre groupes d'horizons totalement différents.

L'affiche de la soirée

Ça aurait été plus malin de ma part d'écrire cet article dans les temps, je l'avoue, or j'ai mis 100 ans avant de le faire, et nous connaissons désormais malheureusement tous les tragiques évènements qui se sont succédés à Paris depuis, ou certains d'entre-nous y ont perdu des connaissances ou de très bons amis. Néanmoins il fallait que cet écrit sorte, et si je peux montrer un autre aspect du monde arabe aux gens, si je peux rien que montrer à quel point l'amour du Rock'n'Roll dépasse les frontières et nous unifie à travers le monde, fukk le timing, c'est le cœur qui parle maintenant.

Après quelques péripéties douanières et qu'un pote soit heureusement venu me chercher en taxi direct à l'aéroport en pleine nuit (je ne serais jamais arrivé à bon port sans lui, croyez-moi), une nuit écourtée à 500°c dans la face, on arrive finalement assez tôt devant le El Sawy Culturewheel, la seule salle du Caire qui a eu les couilles d'accueillir des groupes de metal extrême et internationaux. On se fait recevoir cash par Nader Sadek en personne qui semble bien stress par les événements. Du retard, de la part de l'équipe technique, mais aussi de certains zicos, ne semble pas le mettre super à l'aise, le manque de préventes non plus d'ailleurs, pas plus que d'être le principale instigateur de la musique du diable sur une terre assez opposée à ce genre de manifestation.

En effet, les metaleux égyptiens sont encore aujourd'hui perçus par une grande majorité comme des chiens de l'occident, perturbés, sombres et diaboliques. Les "asshabab el-metal" (jeunesse metaleuse), ou "mateela" (metaleux/metalistes) comme on les appelle là-bas sont associés à la drogue, l'alcool, l'addiction, le sexe hors mariage, aux MST, à l'agressivité, la violence, le satanisme, le sionisme (what?!!), les orgies ou toutes autres bêtises du genre que pourrait te sortir n'importe quelle personne qui n'a aucune culture de la scène ; et pour avoir côtoyé la scène pendant presque une semaine, je peux vous dire que c'est bien que des conneries, mais ça on y reviendra souvent.

Le Caire avant c'était ça

Au détour de nombreuses discussions avec les fans locaux, une histoire est souvent revenue. Le 22 janvier 1997, après un concert de metal au Caire, une centaine de fans ont été interpellés chez eux, alors qu'ils étaient gentiment rentrés se coucher après un bon pti concert qui n'avait pourtant relevé aucun incident. On les avait alors jugés mais pour tellement plein de débilités genre diffusion de messages sataniques, pratique de rituels diaboliques, pour avoir bu du sang de chat et écrit leurs noms dans du sang de rat partout dans la salle de ce fameux concert (un squat, ironiquement). Les autorités avaient d'ailleurs saisi toutes les "évidences", c'est-à-dire les skeud, les cassettes, posters, t-shirts noirs (de groupes de metal ou pas d'ailleurs) chez ces pauvres gamins qui étaient parfois jeune de 13 ans, et ils les ont foutus tous en prison de deux semaines jusqu'à 45 jours pour certains ! Pendant ce temps on leur posait des questions à la con genre "est-ce que vous faites des rituels pagan", "est-ce que vous écorchez des chats" etc. Le leader égyptien de l'époque Sheikh Nars Farid Wassil avait carrément demandé qu'ils se repentent ou qu'ils soient exécutés pour apostasie... Heureusement les preuves ne valaient rien, et ils ont été relâchés. Néanmoins la peur d'être metaleux subsiste encore aujourd'hui. J'ai rencontré cette jeune fille de 19 ans arborant un t-shirt Motörhead qui m'a demandé de ne pas donner son nom, ni de mettre de photo d'elle en ligne par peur de représailles. Elle m'a raconté s'être faite emprisonner deux ans auparavant, complètement gratuitement alors qu'elle était avec ses potes au bord d'une fontaine. Emprisonnée deux semaines dans une pièce complètement noire, à lui dire d'être désormais une bonne croyante et sans doute subissant d'autres sévices vu ses nombreux blancs et autocensures durant l'interview. D'ailleurs, toutes les autres personnes incroyables que j'ai rencontrées durant mon séjour m'ont tous demandé la même chose, et très souvent ils se taisaient en plein milieu de la conversation, me demandant à chaque fois de les rassurer "promis, tu mets pas ça en ligne hein?". Faut dire, être athée là-bas est valable de peine de mort, et le metal prône assez souvent l'athéisme, donc même un musulman, croyant, mais metaleux, craint pour son sort. Quand j'ai demandé à la fille ce qui lui faisait le plus peur en tant que metaleuse, elle m'a répondu : la police. On sent bien l'oppression, comme si on retournait chez nous dans les années 70 / 80. Aussi, au tout premier concert de Nader Sadek au Caire, un peu moins d'un an auparavant, devant quelques 800 personnes, quand même, les pogos ont été interdits par la salle, comme c'est très souvent le cas, car on ne connait pas les réactions que pourraient avoir les autorités ; mais bon, ça n'a pas empêché des petits malins à se faire plaisir quand même ce soir là où pour la toute première fois se produisaient des groupes de metal extrême internationaux...

Il reste encore des trucs mignons en ville en souvenir des dernières révolutions

D'ailleurs ce soir là, revenons-y. Les portes s'ouvrent sur le coup des 17h00, on traîne un peu devant et c'est amusant déjà de voir la peuplade locale. Il y a un côté assez touchant avec ces fans d'outre-mer. On sent un décalage limite anachronique dans les styles vestimentaires mais je crois que ce qui m'a le plus marqué c'est la fille avec un voile sur la gueule portant un t-shirt Dissection, les gars légèrement maquillés et cette franchouillarde amitié pas très virile qu'il y a entre tous - genre à se faire des bisous dans le cou et se tripoter le bas du dos. Comme quoi, le côté un peu fofolle des metaleux ne connaît pas de frontières.

19h30, quoi en fait je m'en souviens plus mais par là, les concerts commencent. Sallos, un groupe local ouvre donc le bal. L'interview du groupe paraîtra plus tard dans nos pages mais les racines musicales avouées par le groupe ne m'ont pas sauté aux yeux. Loin d'un Black Metal primaire, Sallos joue une sorte de Black Thrash assez old school. Les compositions n'ont rien d'original et l'exécution n'a rien d'extraordinaire non plus. Le groupe m'a avoué avoir joué ce soir leur tout premier concert. C'est vrai que commencer sa carrière live sur une scène comme celle-là, avec un enjeu aussi gros, est un sacré challenge. Le groupe n'a pas pu non plus fait de balance et a été poussé au cul par l'orga car un retard important avait été accumulé en amont. Finalement, les gars de Sallos ne pourront pas jouer tous leurs morceaux et tiendront la scène au mieux qu'ils peuvent vu la tension sous-jacente qui accompagnait leur set. Reste qu'ils ont donné tout ce qu'ils pouvaient sur scène et que leurs sourires communicatifs étaient du pain béni pour les aficionados du pit. Une performance donc pas inoubliable pour son côté musical mais pour moi, avoir la chance de voir sur scène un groupe égyptien, en Egypte, était déjà un grand moment d'émotion, qui plus est du Black Metal, je ne pouvais que me délecter de cette expérience et me sentir vraiment chanceux d'être présent ici ce soir-là.

Sallos

Oublions le timing, car tout le monde s'en fout et que j'en ai pas la moindre idée non plus, et passage obligatoire au bar... En fait non. L'alcool étant interdit dans les lieux publics, la salle ne vend que des pepsi et des ice tea, d'ailleurs j'ai frisé la crise de diabète ce soir-là. En aparté d'ailleurs, c'est marrant pour un pays qui annonce clairement son anti américanisme de voir des millions de canettes de pepsi arborer toutes les étagères de petites épiceries de quartier (je peux pas dire les arabes du coin du coup là), tous les "bars" et restaurants. Enfin bon, mon voyage au Caire m'a prouvé que ce pays défie toute logique à plein de niveaux. Bref, j'ai essayé de me faire des copains en louzedé pour trouver une binouze ou une autre connerie à picoler mais c'est encore plus facile de se procurer de la drogue que de l'alcool ici-bas. J'en profite pour interviewer Sallos et je cours voir Alkaloid, qui ne m'intéresse réellement que pour le batteur d'Obscura, Hannes Grossmann, pas spécialement pour Morean, la star de Dark Fortress(qui joue bientôt au Caire d'ailleurs), au chant dans Alkaloid, qui était étonnamment populaire d'ailleurs, au point qu'il a eu bien du mal à revenir du public jusque sur scène au moment de jouer. Alkaloid joue une sorte de Death Metal Progressif, progressif dans le sens fourre-tout du terme tellement les compo' ressemblent à la fois à tout et à rien du tout. Tantôt tu crois voir un réel Obscura-like, tantôt tu tombes sur du Dream Theater en bien plus musclé, parfois ça blast à mort, parfois tu te fais méga chier, euh... parfois ça part en envolée lyrique et voyage fascinant au cœur de tes pensées poétiques les plus enchanteresses, on va dire ça. Le chant alterne entre grosse guttu et chant clair ultra pédé mais parfois ça rend bien. Genre ça a super bien rendu quand le batteur a pété sa caisse claire en plein milieu du set et que le chanteur a alors pris le micro pour chanter en diphonique avec une maitrise assez stylée. Ça a suffi pour embraser le public alors complètement en transe.

Alkaloid

D'ailleurs parlons en du public. La soirée s'avançant, la salle se remplit de plus en plus et le public commence à être de plus en plus chaud. Même s'ils ne pogotent pas vraiment ils font des trucs ultra chelou que j'avais jamais vu avant. Genre tout le monde se met en cercle en se tenant par les épaules comme les mêlées de rugby et ils se mettent à headbangay ou à se foutre des coups de têtes vu la promiscuité, je sais pas. Plus ils sont à donf, plus ils se baissent sur les genoux tout en continuant leur headbang comme on twerkerait sur le dancefloor, jusque finir au sol et pour certains s'asseoir. Dans le cas où ils ne descendent pas, ils tournent en rond comme une farandole de crabes, j'ai pas tout tout compris, mais c'était folklo. Du coup pour rigoler parfois je me suis incrusté dans les cercles, ils ont bien grillé que j'étais "différent" mais ils m'ont fait tourner également, c'était exotique.

La bière locale. Oui, oui, j'y tiens

Bon on arrête de plaisanter et on avance dans la soirée. C'est au tour de Nader Sadek (le groupe) d'envahir la scène. On aura le temps de parler plus en détail du personnage et de son œuvre au cours d'une interview qui passera également plus tard dans Horns Up donc on va s'attarder maintenant principalement sur la prestation du groupe. Nader Sadek c'est une mélange de metal extrême teinté de Black Metal, d'Atmosphérique et de Death Metal, le tout servi par une scène très théâtrale. En effet, nombreux sont ceux qui connaissent aujourd'hui la démarche artistique de Nader Sadek, le plasticien, couplée à celle de Nader Sadek, le musicien. La scène est donc pour l'occasion décorée de branches d'arbres fraîchement coupées afin de donner à Nader le décor qui correspond à son personnage, une sorte de Shrek mélangé à un big foot. Nader traîne au milieu de la scène avec sa nouvelle femme, une sorte de tête décapitée rappelant les têtes indiennes avant réduction. Devant lui trône Attila, le chanteur de Mayhem ornant sa plus belle toque de druide devant une multitude de pédales d'effet utilisées ici pour la voix. Nos deux congénères se partagent les voix, Nader oscillant dans un registre plutôt aigu, yellsé, et Attila dans un registre plus expérimental, un peu comme il ferait sur Void ov Voices. A la batterie, on a le tueur de Alkaloid, soit le tueur de Obscura qui enchaîne alors son second set de la soirée. Musicalement on retrouvera principalement des morceaux du dernier EP donc beaucoup plus Black Metal que le premier album de Nader Sadek. L'ambiance est encore plus sombre que lors de leur passage au Neurotic en 2015 et le public paraît s'en délecter. La prestation reste très atmosphérique et semble durer une plombe, du coup il est temps d'aller se chercher un nouveau pepsi et d'entretenir son diabète.

Nader Sadek

La soirée se clôtura sur Aborted, la tête d'affiche de la soirée. Aborted, c'est le groupe de Brutal Death que tout le monde a vu, c'est le groupe que j'ai vu, je ne sais pas, 50 fois peut-être ?! A coup de deux / trois fois par an, j'ai vu tous les line up s'enchaîner, tous les albums se fondre dans le set du groupe et surtout j'ai vu leur tenue de scène évoluer. Je ne suis plus à donf dans Aborted comme je l'étais à l'époque de Engineering the Dead et Goremageddon et j'arrive là à l'aube de la sortie de Termination Redux, leur nouvel EP, que je trouve assez inégal ceci dit mais avec quand même de bons morceaux. Autrement dit, Aborted sur scène c'est devenu pour moi comme commander un demi dans un bar, ça fait toujours plaisir, mais tu fais plus vraiment attention à la bière que tu bois. Et pourtant. Pourtant ! Aborted ce soir m'a époustouflé. Les gars avaient une putain de patate sur scène, tu sentais qu'ils se sont fait plaisir puissance un milliard. Ils ont joué un peu de tous les albums pour un set de pratiquement une heure si mes souvenirs ne me font pas trop défaut, bref un joli cadeau pour Le Caire. C'était aussi une des dernières voire la dernière date d'un des deux guitaristes, et quelle date ?!! Leur première venue en Egypte, dans un contexte politique compliqué, avec un bordel organisationnel à faire rêver n'importe quel Suisse Allemand. Pourtant ils ont tout déchiré. Il y avait ce soir là une cohésion de groupe assez incroyable, la scène a été merveilleusement tenue, l'espace exemplairement utilisé. Le public n'était pas en reste, puisqu'il était juste complètement déchaîné. J'ai vu des gamins au premier rang les larmes aux yeux, d'autres se prendre les joues en se disant que c'était un show incroyable, d'autres encore hurler jusqu'à la mort leur contentement. C'était vraiment épique à voir, ça donnait chaud au cœur, comme si on se retrouvait à notre passion primaire de quand on avait 14 ans, que n'importe-quel riff de metal nous faisait vibrer, qu'on rêvait d'aller en festival ou encore de monter sur scène pour les plus téméraires d'entre nous. Je ne vous raconte pas à la sortie du groupe le nombre de personnes qui attendaient devant la salle pour prendre une photo avec les zicos, c'était interminable.

Aborted, et la salle bondée pour l'occasion

Au bilan, c'était plusieurs centaines de personnes qui se sont agglutinées ici, tout en gardant à l'esprit, sans doute calmé par la soirée mais pas calmé par l'histoire, que cette nuit, peut-être que quelqu'un viendra taper chez eux pour embarquer tous leurs CDs et t-shirts qu'ils ont eu tant de mal à se procurer. En effet, hormis à Alexandrie, il n'y a aucun magasin où il est aisé de se procurer des articles de metal. La VPC, si elle aide quand même bien, ne fait pas de miracles tant les colis venant de l'étranger sont pratiquement systématiquement dépecés par la douane et si des signes ostentatoires sont retrouvés dans le colis, le commanditaire peut avoir des soucis, et vu que dans le metal des signes ostentatoires y'en a genre un peu beaucoup, on fait attention à ce qu'on commande quoi.
La soirée a-t-elle été un succès ? Niveau affluence, elle n'a pas répondu aux besoins financiers de Nader Sadek qui a vu gros sur cette première affiche internationale, faire venir des groupes en date unique étant toujours un peu compliqué. Par contre au niveau ambiance, au niveau scénique, et pour la symbolique qu'a apporté cette date pour la libération du metal en Orient, on peut dire que c'est un parfait 20/20. Il s'agissait ici de la première pierre posée d'un édifice qui va être très difficile à monter, mais qui sera un jour terminé, j'en suis persuadé.

Avec les gars de Sallos

Quelles ont été les retombées de ce concert à l'heure d'aujourd'hui ? Depuis, Inquisition et Perversion sont passés par là le 20 février dernier (2016), et Sepultura est programmé le 4 juin prochain (2016). Le concert d'Inquisition a fait un grand remous, les blackeux américains n'ayant pas l'image la moins sulfureuse de toute la scène metal. Dans un pays où l'athéisme est puni par la peine de mort, faire venir un groupe de Black Metal à l'imagerie forte est forcément un pari très osé, mais c'était aussi le pari de Nader Sadek, d'éduquer son pays. Comme la France montre aujourd'hui avec son Hellfest que le metaleux lambda n'est rien de plus qu'une personne comme toutes les autres, Nader tente de montrer à son pays que non, les metaleux ne font pas de sacrifices d'animaux en priant Satan et la destruction du monde oriental. Néanmoins, la venue d'Inquisition est loin d'être passée inaperçue. Etonnamment, les détracteurs du concert cette fois-ci n'étaient pas les autorités, a priori elles n'en avaient même rien à foutre, mais carrément les acteurs internes de la scène. Certains groupes locaux, dont je ne tairais pas le nom car je connais les ragots (hi hi), pour diverses raisons, que je vais énoncer aussi car je les connais également, ont alerté Hany Shaker, le directeur du syndicat des musiciens, ainsi que les médias, sur le mal que pourrait apporter la venue d'Inquisition sur leurs terres sacrées. Depuis son retour, Nader s'épuise à faire vivre la scène metal du Caire et à lui donner un aspect international, de mon point de vue. Ceci a pour effet de désintéresser (un tant soit peu) le public de sa scène locale pour lui permettre de regarder outre Nil. Ainsi, par jalousie, peut-être, j'imagine, certains groupes s'efforcent d'endiguer les efforts de Nader Sadek qui continue lui à perdre son argent personnel pour faire venir toujours plus de groupes sur ses terres (d'après Nader lui-même). La jalousie est quelque chose de très marqué en Egypte, m'a-t-on expliqué, et ça pose énormément de problème dans les institutions publiques ; tous les pays du monde ne gèrent pas l'ego de la même manière, et il suffit d'aller une fois au Caire pour comprendre que le pays a beaucoup de problèmes de gestion, de logique d'infrastructure, et qu'il a tendance tout simplement à se tirer lui-même une balle dans le pied. Et ça se retrouve aussi dans la scène metal, qui est déjà un microcosme compliqué chez nous, mais qui n'est néanmoins plus vraiment un outil politique et culturel, hormis dans la vallée de Clisson. On ne craint pas la peine de mort en France en prônant son athéisme et son attachement à la scène metal, ce n'est pas le cas de l'Egypte, très affaibli par ses dernières révolutions et la montée en puissance des islamistes radicaux, montée que les locaux déplorent autant que vous, soit dit en passant. J'ai depuis parlé avec Scarab, groupe de Death Metal égyptien que vous avez peut-être eu la chance de voir au MetalCamp 2014, qui semble en vérité totalement se désintéresser de la question et dont les rapports avec Nader Sadek ne sont pas cordiaux, qui semblait pourtant être un des investigateurs premiers de ceci. Je pourrais nommer aussi Enraged groupe de Heavy Metal du Caire, dont un des musiciens est aussi organisateur d'évènements, ainsi que Crescent, groupe de Black Metal cette fois-ci, toujours du coin. Leur histoire est un peu différente puisque ceux-ci ont invité le public à ne pas se rendre au concert car ils craignaient une interdiction pure et dure du metal en Egypte. Bref, pour des beumeuh, c'est un peu flipette quand même hein. Il faut néanmoins comprendre leurs positions, la sensibilité religieuse est très forte dans ce pays, et un des musiciens de Enraged vient tout juste de m'annoncer qu'une centaine de personnes ont été emprisonnées pour déflexion à la doctrine religieuse, dont quatre enfants très récemment. C'est pourquoi tout le monde est tendu. Cette histoire a pris tellement d'ampleur qu'elle a été relayée dans de nombreux médias ainsi qu'à la télévision nationale. Il y a quelques jours seulement, Nader Sadek passait carrément lui-même à la télé pour défendre sa cause. En face de lui se trouvait un envoyé du syndicat des musiciens en phoner, Mr. Hany Shaker n'ayant même pas eu les couilles de venir attaquer Nader Sadek de front, c'est un peu dommage, m'voyez. Le côté positif de l'histoire c'est que la présentatrice a clairement montré sa sympathie pour la cause de Nader, le côté opposé répondant comme d'habitude par d'énormes âneries du niveau d'un reportage de M6, quoi, vous voyez bien le genre. Bref, ça a été un lynchage intellectuel en bonne et dûe forme pour l'envoyé du syndicat, qui est pourtant censé représenter des professionnels de la musique, des gens qui connaissent, qui devraient justement se battre pour l'ouverture de la culture. Allez comprendre ce qu'il y a dans la tête des demeurés... Même Naguib Sawiris, chrétien copte, milliardaire et homme d'affaire émérite égyptien, a tweeté son support pour la cause de Nader Sadek, c'est dire.

Aborted au top

Pour finir ce long périple, je dirais qu'il est assez dommage que des acteurs d'une même scène se tirent des balles dans la tronche alors qu'en travaillant ensemble ils pourraient aller d'autant plus loin. C'est d'autant plus important qu'outre une guéguerre musicale, se trame ici un réel combat pour la liberté, combat que les Egyptiens semblent perdre au jour le jour à force de mauvaises décisions politiques et de la montée de la radicalisation religieuse. Il est bien loin le Caire touristique où il faisait bon vivre comme on le voit encore dans certains vieux films ou séries. Je n'ai vu que très peu de touristes, la force de l'Egypte, ainsi que très peu de lieux conviviaux. Néanmoins ceux-ci existent bel et bien, et il n'a pas été difficile pour moi d'aller boire des bières avec les copains et même de me ramasser une cuite monumentale avec de la vodka locale. Les metaleux égyptiens ont vraiment tout en commun avec nous, sauf qu'ils n'ont pas perdu leur passion l'adolescence passée, ils n'ont d'ailleurs pas notre luxe d'être blasés. Je suis tombé sur des gens incroyablement gentils et tolérants, la plupart m'assurant être croyants, et qui pourtant acceptaient ma différence, de la manière la plus conviviale qui soit. Ce voyage a été une très bonne expérience d'une scène très méconnue, et que j'imagine montante, et m'a permis de voir encore une fois ce lien qui nous relie tous en tant que fans de musiques extrêmes. J'espère que ce lien ne crèvera jamais !! En attendant, si le monde est incapable de s'échanger autre chose que des bombes ou des mandales, montrons leur qu'on fait 100 fois plus mal mais que ça reste dans le pit, et ne fermons pas nos yeux sur tous ces pays dont on a encore tout à découvrir.

Cairo by night

Enfin, je remercie énormément Nader Sadek pour m'avoir invité au concert, ainsi que tous les potes que j'ai pu me faire là-bas dont je vais devoir garder l'anonymat. Je remercie tout particulièrement mon pote de longue date Gets, pour m'avoir permis ce périple et m'avoir fait comprendre de nombreux aspects de la culture égyptienne actuelle et j'applaudis tous les groupes pour leurs prestations. Merci les gars !!!!

Pour les personnes intéressées par la scène égyptienne, voici des albums dont on vente les mérites que j'ai pu trouver en commentaire sur la page d'Inquisition :

Hecate - Oceans ov hell
Scarab - Serpents of the nile
Enraged - Ma'at
Veritatem solamn - As I rule the world of the dead
Cresent - Pyramid slaves
Segadoras - the rise
Wyvern - Kingdom of gold
Dark philosophy - 50,000 years
Qaf - Demaa' Alhagin Outcast 44- As the days pass

Evil Prout

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