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Album

08 février 2015 - Paul

Falkenbach

Asa

LabelProphecy Productions
styleBlack Pagan
formatAlbum
paysAllemagne
sortienovembre 2013
La note de
Paul
8/10


Paul

Falkenbach est un one-man band allemand pionnier en matière de Black Pagan, dont la première démo date de 1989. Depuis 25 ans, le « mastermind » se cachant derrière le nom Falkenbach, de son pseudonyme Vratyas Vakyas (signifiant « l'errant en quête de... »), écrit et enregistre sans jamais dévier de sa trajectoire une musique unique qui n'a cessé d'émerveiller, au fil des années, les amateurs de Black Metal aux accents folkloriques.

Le précédent album, « Tiurida », sorti deux ans plus tôt (en 2011) chez Napalm Records, avait laissé dans la bouche du fan, comme dans celle de son géniteur, le goût amer de l'inachevèment, faute de temps et faute de moyens. C'est pour cette raison que Vratyas Vakyas a fini par se brouiller avec le label allemand, sur lequel Falkenbach était signé depuis 1998 et avait sorti quatre albums, considérant que Napalm Records n'était plus en mesure de lui offrir le nécessaire pour réaliser ses ambitions avec Falkenbach.

C'est vers le label allemand d'avant-garde Prophecy Productions qu'il s'est tourné pour sortir son sixième et dernier album en date, intitulé « Asa », sorti le premier novembre 2013, jour de Samhain, célébration du début de la saison « sombre » chez les anciens Celtes. Il m'a personnellement avoué être très satisfait de ce nouvel album, qui comporte un début et une fin, et dans lequel il a pu incorporer tous les éléments qu'il voulait y voir figurer. Ce qui est, du moins sur le papier, un immense soulagement pour tout le monde.

« Asa » a été produit, à l'instar de tous ses prédécesseurs depuis « Ok Nefna Tysvar Ty » (2003), au Tidalwave Studio de Patrick Damiani basé à Karlsruhe. Vratyas Vakyas s'est pour l'occasion entouré, comme à l'accoutumée, de ses amis Tyrann (chant harsh), Boltthorn (batterie) et Hagalaz (pseudonyme de Patrick Damiani, guitare acoustique), tous des ex-Vindsval/Le Grand Guignol, qui sont encore une fois venus lui prêter main forte en studio lors de l'enregistrement d'« Asa ».

Pour donner un avant-goût de ce qui attendait l'auditeur, Prophecy Productions a sorti dès la fin du mois d'avril en vinyle 7" un premier single extrait d'« Asa », intitulé « Eweroun », qui laissait augurer du meilleur quant à la qualité du nouvel opus. Et en effet « Asa » s'est révélé être, au fur et à mesure des écoutes successives, à la hauteur de ses promesses.
 


Dans sa version 2-CDs, l'album contient 11 nouveaux titres pour une cinquantaine de minutes de musique inédite, ainsi que deux réenregistrements d'anciens morceaux, qui sont cette fois-ci « Ultima Thule » et « I Svertar Sunna Luihtint » (la maigre version digipack de l'album, avec ses 9 pistes seulement, n'est pas un achat vraiment intéressant). L'auto-reprise s'impose comme un exercice constitutif de la conception de la musique de Vratyas Vakyas, lorsque nous pensons par exemple au fait que l'album « Heralding – The Fireblade » était dans sa quasi-intégralité un réenregistrement de l'album « The Fireblade » composé plus de dix ans auparavant et jamais paru à cause de problèmes techniques. À tel point qu'il est toujours difficile pour l'auditeur de discerner, à l'écoute du nouveau matériel de Falkenbach, ce qui a été écrit pour l'occasion de ce qui a été repris et éventuellement réarrangé (les premiers enregistrements du projet étant aujourd'hui introuvables et nimbés de mystère). C'est aussi dans ce processus constant d'aller-retour du présent vers le passé, et inversement, que s'établit l'originalité de la démarche artistique de Falkenbach.

Je considère vraiment « Asa » comme un résumé des temps forts de l'impressionnante carrière de Falkenbach : Vratyas Vakyas y a retravaillé – volontairement ou non, je serais bien incapable de l'affirmer... – toutes les façons d'écrire de la musique qu'il a explorées depuis 1989, que ce soit dans la structure des morceaux, les effets de jeu ou les sonorités utilisées.

Nous pouvons d'emblée remarquer dans la tracklist une alternance agréable entre les morceaux plus lumineux typés « Folk » et les morceaux plus ténébreux typés Black Metal, et du même coup une alternance entre tempi lents et tempi rapides, ce qui permet d'éviter les redondances problématiques inhérentes au genre pratiqué (le morceau « Folk » au tempo élevé « Bluot Fuër Bluot », avec son pont Black Metal porté par un blast beat ravageur, fait office d'exception dans l'ensemble). Sur cet album, comme la plupart du temps chez Falkenbach à mon sens, ce sont les morceaux typés « Folk » qui permettent à Vratyas Vakyas d'exprimer tout son génie : des chansons telles que « Eweroun », « Bluot Fuër Bluot » ou encore « En Lintinbluitin Faran... » font déjà partie des standards du groupe.

C'est à un véritable voyage dans le temps auquel nous convie cet album, tant par exemple le morceau « I Nattens Stilta », avec son atmosphère nocturne et ses chromatismes, nous replongera dans les brumes obscures du premier album « ...En Their Medh Ríki Fara... » sorti en 1996. De nombreux autres parallèles pourront être établis : parmi eux, la progression harmonique de « Mijn Laezt Wourd » rappellera immanquablement à l'auditeur attentif le morceau « Homeward Shore » (2003), de même que les cavalcades effrénées « Wulfarweijd » et « Bronzen Embrace » seront naturellement à rapprocher d'un « ...of Forests Unknown » (2005). Les « coups de chœur » bien connus présents à nouveau sur « Vaer Stjernar Vaerdan » évoqueront sans aucun doute les monuments musicaux que sont « Vanadis » (2003) et « Heathen Foray » (2005), là où le passage caisse claire de l'hymne final « Ufirstanan Folk » reprendra manifestement le moment similaire du morceau « Sunnavend », qui lui mettait un terme à l'album « Tiurida » (2011).

Pour ce qui est des paroles, nous retrouvons sans surprise avec « Asa » la plume contemplative et paganiste de Vratyas Vakyas, qui aborde encore et toujours avec une poésie certaine (cette fois dans un ancien dialecte germanique parlé par ses ancêtres) les thèmes de la beauté de la nature, de la valeur de la tradition et de la vengeance sanguinaire des (néo- ?)païens sur les chrétiens.

Ces multiples éléments font de cet album une excellente porte d'entrée pour l'univers onirique de Falkenbach. À l'auditeur curieux désireux de découvrir la musique du projet, je conseillerais bien volontiers d'écouter « Asa » en premier lieu. En ce sens, cet album, que nous pouvons légitimement considérer comme une sorte de « bilan » musical fait par Falkenbach en 2013, vient s’inclure à merveille dans la discographie du one-man band, au sein de laquelle, comme dirait le Merlin de Kaamelott, « l’imposant le dispute à la majesté ».

Fait réjouissant, « Asa » a atteint la 48ème place des charts allemands à sa sortie.

Je veux maintenant en venir à un autre point essentiel : cela fait de nombreuses années que Vratyas Vakyas évoque la possibilité d'une production sur scène de Falkenbach (projet maintes fois avorté qui n'a, pour des raisons qui restent obscures, jamais été concrétisé à ce jour) et je pense que cet album, taillé pour la scène, donne plus que jamais corps à cette idée.

Je m'explique : tout d'abord, la voix de Vratyas Vakyas n'a jamais été autant mise en avant que sur « Asa ». Le chant « choral » résultant d'une superposition de voix, dont il usait (et abusait) sur les albums précédents, hélas très difficile à retranscrire en live avec un line-up restreint, a été ici mis de côté, ce qui signifie selon toute vraisemblance que Vratyas Vakyas assume de mieux en mieux le rôle de chanteur clair lead.

Quant à la batterie, elle se fait de plus en plus présente et percutante grâce à la production impeccable de Patrick Damiani (il suffit d'écouter « Return To Ultima Thule » pour se rendre compte du chemin parcouru depuis le premier album au niveau de la qualité sonore...). Il faut également souligner l'importance de l'apparition chez Falkenbach de blast beats (sur « Stikke Wound », notamment), rythmes réputés pour être des plus dévastateurs en concert.

Une tournée en bonne et due forme est tout ce qu’il reste à faire à Falkenbach, après 25 ans d’une carrière résolument underground, pour asseoir définitivement sa domination sur la scène Black Pagan.

Il y aurait mille et une autres choses à dire à propos de cet album, que ce soit sur cet artwork magnifique, tiré une nouvelle fois d'un tableau du peintre allemand Albert Bierstadt (1830 – 1902) ou sur ce créateur éclairé qu’est Vratyas Vakyas, qui seul parvient à mêler aussi magistralement dans ses compositions la mélancolie et la pugnacité, mais je préfère sans plus attendre laisser la musique de Falkenbach exercer sur vous son attraction si particulière.

Falkenbach est le projet artistique d'une vie tout entière consacrée à la recherche du beau dans la musique.

« Now see how crosses burn, my revived folk »

1. Vaer Stjernar Vaerdan
2. Wulfarweijd
3. Mijn Laezt Wourd
4. Bronzen Embrace
5. Eweroun
6. I Nattens Stilta
7. Bluot Fuër Bluot
8. Stikke Wound
9. Ufirstanan Folk
CD2 :
10. Beloved Feral Winter
11. En Lintinbluitin Faran...
12. Return To Ultima Thule
13. I Svertar Sunna Luihtint

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