
La caution grunge du webzine.
Dans sa chronique de Goldstar, S.A.D.E expliquait les concessions faites par les membres d'Imperial Triumphant sur les sections jazz pour respecter la contrainte artistique qu’ils s'étaient alors fixés : « une limite de format […] rester en dessous des cinq minutes ». Plus loin, il analysait que l’album « reste plus accroché au metal avant-gardiste basé sur le riff ». Il est donc particulièrement cocasse, et révélateur, que ce moment ait inspiré l’un des musiciens, Steve Blanco, « au masque de Baal », à jouer le répertoire du groupe au piano. Cela révélerait-il un manque ? L’essence d’Imprints of Man guide – naturellement – notre Trinité new-yorkaise vers la conquête d’un autre public. Mais, en réalité, qu’importe que la fenêtre musicale s’ouvre davantage, ce cadeau de fin d’année s’adresse, ou plutôt récompense, la fanbase d’Imperial Triumphant, déjà solidement établie. Des mélomanes, sans doute perplexes devant leur metal halluciné et labyrinthique, se perdront peut-être dans ces empreintes. C’est ce que l’on souhaite à l’album.
L’on peut s’en réjouir, l’artiste n’a point structuré son œuvre selon un ordre chronologique : des allers-retours sont proposés, spécifiquement dans la période 2018-2022 (excluant, de fait, Goldstar). À cet échantillon musical s’ajoutent des surprises, à l’image de « Crushing the Idol » et de la fugue de Jean-Sébastien Bach en Fa mineur, clôturant Imprints of Man. Des internautes décrivent des similitudes de jeu avec les musiciens pennsylvaniens Keith Jarrett et Ahmad Jamal. La comparaison s’entend : hormis quelques fulgurances qui doivent beaucoup à la manière dont les titres ont été composés initialement (« Merkurius Gilded », « Swarming Opulence »), Steve Blanco introduit un piano jazz très académique. Il ne cède pas à la tentation, voire à la facilité, de transposer le metal expérimental d’Imperial Triumphant en une musique instable. Au contraire, le claviériste affiche une retenue, sinon une pudeur instrumentale de bon aloi. En outre, New York, haut lieu du jazz multiculturel, abrite des petits clubs, ainsi que le quartier de Harlem, célèbre pour avoir été un laboratoire musical à partir de la Grande Dépression. En tout état de cause, la charge historico-culturelle de la ville et de son art infuse cet album ; par moments, l’on sent poindre un jazz à « cocktails » de soirée VIP, comme sur « Maximalist Scream ». La force de ces morceaux réarrangés réside, encore, dans leur propension à « habiller » une pièce d’appartement ou de maison, ainsi que dans la capacité à laver, « réinitialiser » le cerveau.
La cohérence et le « lissage » des titres sont tels qu’ils semblent avoir été composés dans le cadre de cet album. Aucune transition n’est rude ou laborieuse : « F# Minor Fugue » succède au répertoire d’Imperial Triumphant de façon logique, sans altérer la dynamique ou tomber dans le baroquisme. Abandonné·es à cette expérience, l’on imaginerait presque un enregistrement en public que des applaudissements francs viendraient saluer à la fin de l’hommage à Bach. « Swarming Opulence » confirme cette impression de live, avec ses petites sections étonnamment dansantes, confinant à la transe ; un potentiel déjà suggéré dans la version d'origine, via une instrumentation groovy et anarchique, qui ne laissait personne indifférent. Et, à la lueur de cette nouvelle énergie, naît l'envie de déposer son Martini dry sur la table de bar, pour briller dare-dare sur la piste.
Bien que minoritaires, quelques motifs nous reconnectent au metal, en raison de la tragédie véhiculée par certaines notes : galopantes et ténébreuses, sur les dernières lignes de « Merkurius Gilded », ou haletantes, comme on peut l'entendre dans le pont de « Rotted Futures » (5 min 30-6 min 10). À ce propos, il est intéressant d’analyser les deux réflexes de composition suivants : chaque section nommée comporte un début et une fin explicitement identifiés ; ces moments a priori plus complexes empiètent rarement sur le reste de la musique – sobre, et enfin, ces derniers sont systématiquement suivis de silences très orchestrés, ouvrant sur des passages compensatoires exagérément lents où les notes sont à la fois douces, si ce n’est muettes, et étirées en longueur. D’une certaine manière, les deux genres communiquent, et l’un (le metal) demande à l’autre (le jazz) des gages artistiques, pour maintenir un degré minimal de tension. Éléments que l’on pourrait d’ailleurs attribuer à l’intuition du musicien (même s’ils sont sûrement très écrits). En effet, dès lors que Blanco s’écarte temporairement de son jeu classique et sage, il répand une forme de spontanéité réjouissante, créant à l'occasion des repères audio utiles pour l’auditeurice.
Il y a dans cet essai un parfum d’amour, un intérêt pour ce que Steve Blanco nomme « le langage caché du piano ». Dans l'un de ses témoignages, il confie que sa découverte de Bach, durant sa jeunesse, a revêtu un caractère divinatoire – ce qui a sans doute influencé son rapport à l’instrument. D’où l’approche on ne peut plus classique qu’il adopte sur Imprints of Man, le regard tourné vers ses modèles du jazz plutôt que vers l’œuvre d’Imperial Triumphant – quand bien même Zachary Ezrin signe la coproduction de l'album.
« Voilà pourquoi la musique perdure.
Elle se souvient de l'ordre magique, du rythme éternel de l'être même. »
Tracklist :
- Merkurius Gilded
- Swarming Opulence
- Gotham Luxe
- Rotted Futures
- Crushing the Idol
- Maximalist Scream
- F# Minor Fugue (Bach)















