
La caution grunge du webzine.
Pour les vingt ans de Places for Breathing, chef-d'œuvre oublié du post-grunge soundgardien, Revis a offert à son public rien de moins que sa résurrection. Quiconque se souvient des circonstances qui ont amené les Illinoisais à se retirer de la scène en 2012, mesure à quel point leurs retrouvailles sont inattendues. Le mélodrame ayant découlé du projet d’enregistrement de Do We Have to Beg? annulé à la suite de problèmes juridiques et financiers, est encore dans les esprits. Depuis cette époque, de l’eau a coulé sous les ponts, en particulier pour Justin Holman, le chanteur, qui s’est libéré de son addiction aux drogues en 2013 en suivant la voie de Jésus-Christ, jusqu’à lui dédier un album de rock d’inspiration biblique (The House) et devenir le worship leader de Whittington Church aux États-Unis. Réunir le line-up originel en de pareilles circonstances, avec les années filantes, n’allait pas de soi. Mais le quintet a tenu parole, et temporairement rassemblé l’ensemble des musiciens à l’occasion d’une série de quatre dates de concert et d’un EP grisâtre, contemplatif, proche de l’ère Fire and Ice.
En raison de son inactivité prolongée, Revis a manqué les principales métamorphoses du post-grunge de ces deux dernières décennies. Et cela joue en sa faveur. Son évolution musicale confine à celle de Crossfade en 2011 ; le groupe, redevenu trio, s’appuie sur son album phare, alourdit légèrement son style sous l’influence du metal alternatif (« Call Me Paranoid », « Heavy Medicine »), en continuant de s’agripper au Seattle Sound. Preuve que Places for Breathing résultait d’une passion ancrée, et non d’une musique de « circonstance », à l’époque où une multitude de groupes pratiquait ce nouveau grunge. Le contraste entre les deux types de chant, clair-fluet, et grave, est moins saisissant qu’auparavant (« Call Me Paranoid » fait mentir ce constat), mais l’énergie demeure intacte. Elle surprend, même, eu regard aux notes tenues des refrains de « Cool Blacktop », et de la fin de « Heavy Medicine » construite sur le modèle d’arrêts-reprises, où la puissance vocale de Justin Holman n’a d’égale que sa finesse. À la rigueur, pourrait-on regretter le manque d’harmonies vocales à la « Seven », qui existent bel et bien sur « Stardust (All Around Us) », quoiqu'en surface. Elles auraient eu le mérite d’asseoir la profondeur émotionnelle des morceaux, de leur donner du corps, à l’instar de la ballade « Today’s Are for Dreaming » souffrant de l’absence d’un véritable duo ou featuring.
Fort heureusement, cette lacune est compensée par un travail guitaristique inédit signé Robert Davis. Celui-ci atténue les temps faibles et exploite l’intégralité de l’espace qui lui est alloué avec son jeu à la fois clean et assez démonstratif, évoquant justement celui d’un Les Hall (Crossfade) au moment du comeback We All Bleed, en particulier sur la clôture de « From the Distance » ou le pont de « After the End ». Ses solos revigorants, à la limite de l’urgence, donnent à Killing Time une intensité particulière. Les tubes se succèdent avec goût, offrant des refrains efficaces, entêtants, nettement plus positifs que ceux présentés à la sortie de Bottles of Lightning. Même si la conclusion de l’album est un peu carrée ou académique (« From the Distance »), Revis s’extrait des méga-productions de metal alternatif modernes, pour le moins génériques. Jamais le groupe ne s’éparpille stylistiquement. Les passages acoustiques et les arrangements électro discrets, sont de nature « utilitaire » ; ils se marient parfaitement au sound design des Américains, ces derniers ayant toujours cherché à produire un son fluide, berceur, voire organique (le petit effet vintage au clavier de « Stardust » à près de deux minutes, correspondant presque à une descente mélodique à la guitare). À y regarder attentivement, les artistes revêtent une approche de la musique quelque peu environnementale, se vérifiant autant au niveau des éléments créés que du mixage – du moins est-ce suffisamment significatif pour être noté. À ce titre, l’on peut citer l’habillage sifflant, venteux de « I’m Not Fine » et, inévitablement, les guitares secondaires du hit « Heavy Medicine », bénéficiant d’un traitement à la fois très atmosphérique et hypnotique.
Rien ne saurait surprendre outre mesure dès lors que l’on a goûté à Places for Breathing, sauf peut-être à constater la dynamique artistique de Revis, à l’affiche du Summer of ‘99 aux côtés de Creed l'année prochaine. Killing Time regorge néanmoins de morceaux qui impriment la mémoire et feront date dans la discographie et les setlists du groupe. Espérons que cet opus leur permette d’apparaître autrement que comme les seconds couteaux du post-grunge – leur destinée est ailleurs.
Tracklist :
- Killing Time
- Honey Castle
- Cool Blacktop
- Call Me Paranoid
- I’m Not Fine
- Stardust (All Around Us)
- After the End
- Heavy Medicine
- Today's Are for Dreaming
- From the Distance





