Chronique Retour

Album

11 novembre 2025 - Rodolphe

Chokecherry

Ripe Fruit Rots and Falls

LabelFearless Records
styleIndie pop grungy
formatAlbum
paysUSA
sortienovembre 2025
La note de
Rodolphe
6.5/10


Rodolphe

La caution grunge du webzine.

« Le plus tendre en ce monde domine le plus dur », énonçait le penseur chinois Lao Tseu. Une douce leçon qui, à bien y réfléchir, correspond le mieux à la redéfinition musicale de Chokecherry. Leur talent se révèle à leurs propres yeux au fil de l'eau, et cette phase d’éveil artistique expliquait sans doute la dualité de Messy Star – nommé aux Grunge Music Awards 2024 d’Horns Up. À présent, la rage ardente ayant fait le sel de cet EP s’est dispersée pour apparaître sous la forme de soubresauts galvanisants. Malgré la proximité temporelle de ces deux productions délivrées à un an d’écart, le changement survient. Il se vérifie à la lumière des éléments suivants : l’incarnation du projet via les divas Izzie A. Clark et E. Scarlett Levinson, au centre du propos et de l’image (la composition époustouflante de Whitney Otte sur l’artwork), ainsi que le glissement vers une indie pop à l’esthétique léchée, épousant celle du label californien, Fearless Records. 

Depuis leur éclosion en 2022, les Franciscanais·es s’illustrent dans des productions minimalistes comme le maxi-single et l’EP. L’immédiateté de leur musique rendait l’usage de ces formats particulièrement intelligent. Découvert sur TikTok, le power-trio contribuait à faire du grunge un genre désirable et actuel, grâce à la force de l’interprétation, mais aussi aux injections de shoegaze. Considérant le succès de Messy Star, l’annonce de cet album cristallisait donc l’attention de la presse musicale spécialisée, et « les cerisiers de Virginie » se savaient attendus.

Au niveau de sa structure, Ripe Fruit Rots and Falls apparaît fort étrange. C’est d’ailleurs la faille dans laquelle s’engouffre Chokecherry ; la position des morceaux au sein de la tracklist révèle un manque de discernement, ou au mieux, une maladresse due à l'expérience du full-length. À proposer des enchaînements aussi abrupts, les Américain·es gâchent des munitions précieuses qui irritent d’autant plus que le raffinement des chansons convainc. « Porcelain Warrior » démarre l’opus de manière douce, quoique triomphale d’un point de vue émotionnel. Sa mélancolie rêveuse conduit à un haut niveau de concentration et d’immersion, mais son énergie et sa couleur la destinent plutôt à une seconde moitié d’album. Les voix, nymphéales, surfent sur l’instrumentation, mélange d’orfèvrerie rock et de sections musicales légèrement encombrées, à retrouver sur les deux dernières minutes. Le « soufflet » retombe néanmoins, au vu de ce que fournit « Major Threat » – un single punky fait de chœurs (« woah, oh, oh oh »), donc peu, voire pas décoré ou arrangé. Si le titre est en effet dispensable, sa présence, à cet endroit de la tracklist, suscite davantage de réticences que la musique en elle-même. L’on note aussi une alternance de titres percutants, et d’autres qui se laissent gentiment couler, comme « Part of You », « Oblivion » identifiable à sa percée grunge à la Gwen Stefani à la fin du morceau, ou « February ». Ce ressenti s’explique par le caractère répétitif du chant et des patterns ; vient un moment où les harmonies vocales nous désarment en deçà de ce qu’elles devraient. L’album prend l’allure d’un camaïeu de titres automnaux ; l’on perçoit l’intention que décrit Levinson : « Il [le LP] parle du chagrin causé par la perte de l'enfance et de l'avenir rêvé de notre jeunesse, car celui-ci n'existe plus ». Effectivement, l’œuvre baigne dans un côté doux-amer fortement perceptible. Cet entre-deux émotionnel nuit à l’état de transcendance habituellement attribué au shoegaze ; l’on décroche quelquefois de l’écoute avec culpabilité.

En outre, la déformation mentale acquise à la suite du précédent EP conduit à ce que l’auditeurice soit en attente de cliffhangers et de moments « dangereux », susceptibles d’intervenir inopinément dans les ponts ou les outros ; sans cela, iel reste condamné·e à l’expectative. Quelques apports metal viennent consoler la frustration, bien qu'ils restent modérés, fiévreux : ici, un ou deux screams (« Major Threat ») et là, une amorce de chant crié (« Oblivion »). Chokecherry reprend partiellement le contrôle de son album grâce à « You Love It When », offrant l’une des rares successions de riffs de l’album. Des guitares ronflantes, un dialogue vocal nerveux à la mode des nineties, sans oublier des notes « grattées » disparates rappelant un vieil instrument baroque… le trio performe. Mais, pour finir, les musicien·nes répètent les erreurs de jugement constatées au début : iels échouent à introduire correctement l’ultime carte de leur jeu, « Ripe Fruit Rots and Falls ». Pourtant si singulière en raison de la richesse de ses textures post-rock, électro-pop et country, elle est précédée par « February », une pièce somme toute assez commune  ni une débauche d’énergie ni une ballade. Seul un fondu enchaîné de fortune, procédé déjà utilisé ailleurs dans un environnement plus saturé (« Pretty Things », « You Love It When »), prépare la suite, en ralentissant le rythme. Ce choix de l’associer au titre homonyme ne rend que peu justice à l’ambiance enveloppante de ce dernier. L’un s’ancre dans le réel, tandis que l'autre assoit le surréalisme de sa pochette, aux connotations religieuses (La Cène et, dans une moindre mesure, le jardin d'Éden).

L’étape de la confirmation musicale se révèle plus difficile qu’annoncée pour Chokecherry. La faute à une tracklist à l’équilibre précaire et quelques titres empathiques abandonnés à la comfort zone. En dépit des critiques émises, les Franciscanais·es maîtrisent leur sujet (« Porcelain Warrior », « You Love It When »), et cette pop « esthétique » leur sied à merveille lorsqu’elle est composée dans cet objectif, c'est-à-dire sans demi-mesure. 

 

Tracklist :

  1. Porcelain Warrior
  2. Major Threat
  3. Pretty Things 
  4. Secrets
  5. Goldmine
  6. Part of You
  7. You Love It When
  8. Oblivion
  9. February 
  10. Ripe Fruit Rots and Falls 

 

 

Les autres chroniques