Articles Retour

Effroi et dissonance : 9 albums qui font peur pour Halloween

vendredi 31 octobre 2025
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Si la fête d'Halloween est aujourd'hui surtout associée à des pratiques marketing et une attitude grand-guignolesque assumée, les dates du 31 octobre et du 1er novembre marquent depuis longtemps et dans divers folklores européens des célébrations des esprits et autre cultes des morts annonçant le début de la période sombre.

Pour rendre hommage à cette tradition, l'équipe Horns Up vous a préparé une sélection minutieuse de neuf albums qui ont pour point commun de susciter l'inquiétude, l'angoisse, voire la terreur. Le metal est un style particulièrement approprié pour glorifier l'effroi, mais peu d'albums parviennent véritablement à épouvanter quiconque l'écoute. Voici donc dix oeuvres noires pour se faire peur et mal dormir des nuits durant.

CoughScott Walker + Sunn O)))Ævangelist | Trist | WinterMiscarriageAnna von HausswolffLingua IgnotaSopor Aeturnus & The Ensemble of Shadows 

 

Cough – Ritual Abuse
2010 - Sludge doom – USA (Relapse)

Raton : Souvent présenté comme un rip-off quelconque d’Electric Wizard, l’histoire a donné raison à Cough qui a su construire une discographie pertinente et montrer avoir véritablement quelque chose à dire dans ce style de doom collant occulte, psychédélique et haineux.

Leur deuxième album, Ritual Abuse commence par un larsen d’une quinzaine de secondes qui s’effondre dans un riff sourd et poisseux et une éructation menaçante. La pesanteur du disque est accablante et convoque sans cesse des paysages infernaux hallucinés et décharnés. Les hurlements possédés, grognements démoniaques du bassiste Parker Chandler sont couplés aux incantations inquiétantes du guitariste David Cisco, pour des tonalités inquiétantes renforcées.

Les morceaux y sont longs, durs et éprouvants avec trois titres dépassant les 12 minutes, dont le terrifiant titre éponyme qui vient clore le disque avec fracas et noirceur, multipliant les larsens comme autant de crachats au visage de la beauté et de l’harmonie. Vous allez suffoquer pendant près d’une heure et si ce n’est pas une expérience qu’on souhaite reproduire tous les jours, vous vous en rappellerez durablement. Cough n’est pas un groupe ordinaire et Ritual Abuse est leur album le plus percutant, sombre et malsain.
 

 

 

Scott Walker + Sunn O))) – Soused
2014 - Drone metal / Rock expérimental – USA (4AD)

Hugo : Je me souviens très bien de la sortie de ce disque, en 2014, à une époque où Sunn O))) n’était pas avare en termes de collaborations et d’expérimentations. Je ne suis jamais vraiment revenu sur des disques comme Kannon, ou Terrestrials avec Ulver, qui m’avaient parus assez déroutants, mais je pense sincèrement que Soused m’a marqué à vie. À l’époque, je découvre aussi le drone et les musiques dissonantes au sens large. Progressivement, avec quelques chocs esthétiques ponctuels - souvent par ailleurs des disques qui ont pu m’effrayer, ne serait-ce qu’un peu.

Tout cela commence avec « Brando », l’introduction du disque, que je découvre avec son clip réalisé par Gisèle Vienne (metteuse en scène géniale dont je recommande le travail, avec laquelle Stephen O’Malley a souvent collaboré au théâtre). Ce clip, qui est même plutôt un court-métrage, résume à lui-seul les aspects effrayants de cet album : l’horreur en plein jour, désarçonnante et magnétique, avec la voix du très baroque Scott Walker comme seule guide au milieu de la saturation et des bruits de fouet.

Et quand on revient à l’origine du son, des modulations synthétiques en fond, tout devient clair d’un seul coup. Ces pads que l’on entend sont en fait des lamentations, étirées et répétées à l’infini. Ces notes saturées sont autant de cris de torturés, les percussions le tintement des crochets. Tout pue la souffrance, le snuff, la claustrophobie. Scott Walker n’est pas un guide, non, mais un agent du chaos auquel on ne peut pas faire confiance. L’écouter, c’est déjà signer un contrat vicié, la proposition de Pinhead dans Hellraiser.

Enfin, on a là l’une des dernières œuvres de Walker avant sa mort. Un peu à l’image de sa carrière finalement : hybride, en reconfiguration permanente, dérangeante. Un disque riche et mésestimé, à écouter au casque, fort. On reparle de musiques bizarres bientôt dans le prochain numéro de ma série Uncut Gems.

 

 

Ævangelist – De Masticatione Mortuorum in Tumulis
2012 - Black/death metal – USA (I, Voidhanger)

S.A.D.E. : Lorsqu'a émergé l'idée de cet article sur les albums terrifiants, mon cerveau a immédiatement décidé d'ouvrir le tiroir fermé à double tour contenant les souvenirs traumatisants de ma découverte d'Ævangelist. Et plus précisément, à leur premier album au doux nom de De Masticatione Mortuorum in Tumulis. Et au moment de lancer l'album pour écrire cette entrée, mon index a marqué une pause au-dessus du bouton droit de ma souris, retenu par la connaissance de l'épreuve à venir. Parce que cet album est éprouvant. Terrifiant et éprouvant. Aux confins du black et du death metal, enrichi en éléments noise et nappes électroniques, le son proposé par le duo est malade, illisible, asphyxiant. Même lorsque la surcharge sonore s'allège un peu, Ævangelist parvient à garder intacte la sensation de menace qui vous prend aux tripes, l'impression qu'à tout moment la musique des Américains peut vous dévorer tout cru ou vous lacérer vivant. Et puis cet album est long. Une heure de pure angoisse musicale, avec plusieurs titres approchant les dix minutes, qui ne vous laissent à aucun moment l'occasion de souffler. Je crois qu'aucun autre album ne me procure la sensation de malaise qui me prend au bout de quelques titres, l'envie de sortir de ce cauchemar aux contours flous et donc infinis, un besoin de prendre une goulée d'air frais hors de cet univers poisseux, horrifique et répugnant. 

Et pourtant. Pourtant, avant de me frotter à Ævangelist, je n'avais que très peu exploré les contrées dissonantes de la musique extrême, j'étais déjà tombé dans la marmite Blut Aus Nord, mais les Portal, Krallice et autres entités promptes à faire de la musique un cauchemar n'étaient pas encore entrés pleinement dans mon champ d'écoute. Et si d'un traumatisme pouvait naître une passion ? Aussi ardue qu'ait été (et qu'est encore) l'écoute de De Masticatione Mortuorum in Tumulis, je suis certain qu'elle m'a ouvert des portes, et qu'au milieu de cette terreur musicale se cache une clé précieuse et bien gardée.   

 

 

 

Trist – Hin-Fort
2007 - Dark/black ambient – Allemagne (Cold Dimensions)

ZSK : Quoi de mieux qu’une musique pour faire peur que du dark ambient ? Bon, dans le genre on pourrait citer 666 choses - par exemple The Place Where the Black Stars Hang de Lustmord qui est ma référence « qui fait peur » - donc arrêtons-nous sur du dark ambient « fait par des metalleux ». Dans ce registre j’aurai pu évoquer les projets autour du groupe finlandais Dolorian comme I.corax ou Halo Manash (et même les entités du label Aural Hypnox comme Zoät·Aon) ; mais on va plutôt aller se terrer du côté de l’Allemagne avec le (défunt) projet d’Aran de Lunar Aurora qu’est Trist.

Qui après un Tiefenrausch (2005) entièrement ambiant, avait signé un Hin-Fort (2007) plus connoté black metal. Mais ce n’est pas le premier disque Hin, constitué d’un unique morceau d’une heure de black ambiant éthéré, qui nous intéresse ici mais plutôt le second disque Fort. Qui reprend donc le dark ambient crépusculaire de Tiefenrausch mais en l’accompagnant, à plusieurs occasions, de samples horrifiques qui vont vite poser une ambiance de cauchemar aveugle, et apposer des moments carrément flippants au dark ambient bien roots, très « prod black metal », de Trist.

Dès le premier morceau de Fort au nom paradoxal qu’est « (Keine) Angst », on est accueilli par des spoken words présentant une sorte de spectacle d’illusion, finissant en point d’orgue par une voix féminine sanglotante énonçant un compte numérique brusquement interrompu par un cri glauquissime. Un jump scare musical, c’est possible, et Trist livre ici un album de dark ambient imprévisible, presque grotesque mais vraiment effrayant quand il s’y met. Et même le reste du disque, aux samples plus disparates mais toujours très étranges, donne dans un dark ambient spectral particulièrement apocalyptique (cf. un « Licht Aus ! »), comme la bande son de la mort après la terreur. A écouter dans le noir, sans avoir peur de se réveiller dans le vide astral.

 

 

Winter – Into Darkness / Eternal Frost
1999 - Doom-death – États-Unis (Nuclear Blast)

Pingouin : Groupe culte et immensément respecté dans le doom death, Winter n'a sorti qu'un full-length, Into Darkness, en 1990. C'est un album qui a toujours eu pour moi une aura de production quasi-sacrée et intouchable. De fait parce que j'étais convaincu, étant gamin, que jamais on ne produirait un album aussi lourd que celui-là (d'une certaine façon je le pense toujours un peu aujourd'hui) et puis parce que la discographie des New-Yorkais représente pour moi le pinacle du doom-death : tambours de guerre en guise de percussions, saturation qui m'évoque une noirceur infinie, riffs dépouillés mais incarnés d'un esprit martial et implacable. L'intégralité des productions du groupe (une quinzaine de chansons réparties sur un EP, un LP et une démo), m'a procuré quand j'avais à peine mon brevet des frissons d'effroi. 

Aujourd'hui je réécoute de temps à autre la compilation Into Darkness / Eternal Frost en espérant sentir mes poils se dresser une fois de plus, mais rien n'y fait. J'ai moins peur du noir et de la solitude que quand j'étais ado, mais tâcher de retoucher aux peurs épidermiques de ma jeunesse déclenche en moi un nouvel effroi : celui d'un jour ne plus vivre mes passions avec la même intensité que celle qui m'a fait aimer Into Darkness il y a quinze ans. Album frisson ultime pour moi, je vous le recommande pour les premières aubes sombres de l'automne et pour les longues veillées de l'hiver.

 

 

Miscarriage – Imminent Horror
2019 - Sludge doom/goregrind– USA/Suède (Sentient Ruin Laboratories)

Sleap : Paru chez Sentient Ruin Laboratories, Imminent Horror constitue le premier véritable full-length de Miscarriage (« fausse-couche » en anglais). Après deux ans et plusieurs démos, le duo américano-suédois nous propose début 2019 une plongée cauchemardesque dans un univers musical encore inédit : le croisement parfait entre goregrind et sludge doom. Vous pensiez que c’était impossible ? Ils l’ont fait ! Dès les premières secondes, Miscarriage nous fait descendre dans les tréfonds abyssaux et insondables de l’horreur. Un hurlement torturé et noyé dans le pitch shifter suivi de lourds et pesants martellements typiques du funeral doom. Une effrayante note d’intention à laquelle le groupe ne va pas déroger pendant plus d’une heure ! En effet, les sept pistes de l’album – simplement numérotées en chiffres latins – oscillent toutes entre sept et douze minutes !

Les sourds échos de ce riffing sombre et plombant mêlés à un maelstrom de mugissements fétides quasi-ininterrompus finissent par former un agrégat (a)musical parfaitement homogène. Et la prod’ étouffante, pour ne pas dire suffocante, rend l’atmosphère du disque encore plus claustrophobique. Plongés dans une marée noire de réverb’, les différentes couches de vocaux mais aussi de guitares se superposent pour accoucher (si j’ose dire…) d’une sorte de masse sonore malsaine et monolithique vers laquelle nous sommes inexplicablement happés. Je dis « nous » mais cet OVNI n’est évidemment pas à mettre entre toutes les mains. Ici, pas de samples de films d’horreur ou de folklore anticlérical tout juste bon à effrayer les boyscouts. Mis à part le clin d’œil évident à Carcass en guise de pochette, tout n’est qu’abstraction. Pas de paroles, pas de titres de morceaux, ni même de structure dans la composition. Cet informe bloc de pure démence remet l’auditeur face à sa propre subjectivité. Même si le terme « lovecraftien » est éculé depuis bien longtemps dans ce domaine, rarement un album ne se sera autant rapproché de l’indicible horreur dont parlait l’écrivain. Vous êtes prévenus…

 

 

Anna von Hausswolff – Dead Magic
2018 - Dark quelque chose – Suède (City Slang)

Dolorès : Il existe sans doute, dans les recoins les plus enfouis des musiques ambient et cinématographiques, des groupes qui peuvent se targuer de faire peur avec leur musique. Dans ce que j'écoute, cela dit, je dois avouer que j'ai mis du temps à tomber sur un album qui puisse rentrer dans la catégorie recherchée, premier degré, sans que cela puisse être kitsch (et je suis bien curieuse d'écouter ce que mes petits camarades ont proposé).

Pourtant, l'évidence est là, s'il y en a un qui cumule une pochette mystique et une aura fantomatique, c'est bien Dead Magic d'Anna von Hausswolff. Il n'est pas que terrifiant, bien sûr, mais son étrangeté parle pour lui. Parfois, la magie éclatante creuse progressivement dans des terres plus sombres. Alors, aux lignes vocales rappelant une Kate Bush possédée font écho des rythmiques infernales et des nappes d'orgue surréalistes.

Alors qu'Anna von Hausswolff sort, ce jour même, son nouvel album, c'est bien cet opus daté de 2018 qui reste comme un pilier loufoque et ensorcelant dans sa discographie aux mille portes ouvertes, dont certaines sur l'Enfer.

 

 

Lingua Ignota – All Bitches Die
2017 - Noise - USA (Sortie indépendant puis Profound Lore)

Di Sab : La rage et la souffrance de Lingua Ignota a ravagé les musiques extrêmes pendant 10 ans. Musicienne de formation classique, ayant une formation en art plastique, le travail de Kristin Hayter n’a que deux fils rouges : la souffrance et la violence. La violence subie par les victimes ainsi que la possibilité de la retourner. Contre son agresseur ou contre soi, de nouveau.

All Bitches Die est l’album qui a permis au projet d’exploser. A la fois tellurique et mystique et paradoxalement diablement impudique, il laisse l’auditeur face à Lingua Ignota. Une femme qui a subi, une femme qui se bat contre des traumas manifestement prégnants, une femme qui réclame à cor et à cris une vie meilleure où la douleur occuperait une place moindre.

Oscillant entre noise et éléments issus de la musique baroque, entre ritournelle et arrangements classiques, All Bitches Die est terrifiant de beauté. En effet, en tant qu’auditeur, le fait de se retrouver confronté à une violence tantôt insupportablement crue, tantôt diaboliquement esthétisé questionne invariablement son rapport propre à celle-ci. Un disque rare et radical.

 

 

Sopor Aeternus & the Ensemble of Shadows – Have You Seen This Ghost?
2011- Néofolk/néoclassique/darkwave– Allemagne (Apocalyptic Vision)

Malice: Plus qu'un album en particulier, c'est bien une esthétique qui, chez Sopor Aeternus & the Ensemble of Shadows, m'a toujours placé quelque part entre un malaise indescriptible et, par moments, une véritable angoisse. Dixième album studio du projet emmené par Anna-Varney Cantodea, Have You Seen This Ghost? en est en quelque sorte le plus accessible : des mélodies médiévales accrocheuses, des structures bien souvent lisibles. Mais c'est presque ce qui rend l'ambiance de l'album encore plus inquiétante.

Anna-Varney, personnage androgyne quasi-vampirique, sorte de goule conteuse, nous plonge dans des histoires sordides, démarrant sur une ballade horny ("One Day My Prince Will Come", qui clame que la taille du sexe de son prince charmant n'aura pas d'importance) et se terminant sur un titre évoquant l'amour platonique et désespérant de tristesse ("The Hours of Sadness"). Larmoyant, inquiétant, le chant d'Anna-Varney oscille entre les larmes et le faux rire du freak solitaire. Si d'autres opus de Sopor Aeternus & the Ensemble of Shadows sont probablement plus sombres, plus durs, Have You Seen This Ghost? vous attire par son accessibilité comme un clown trompeur avant de ne jamais vous laisser revoir le jour.