
L'Idylle : « Hurler à la mort, jouer très vite et très fort, ça nous émeut. »
mercredi 30 juillet 2025
Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
8 décembre 2024 : je me rends au Klub à Chatelet pour soutenir les camarades de Pluie Cessera. Sur l’affiche, que du hardcore émotif et un groupe que je ne connais pas encore : L’Idylle. Ce soir-là, je me fais souffler comme rarement ça m’est arrivé. Sur le spectre des grandes expériences de concert, il y a les plaisirs indéniables, comme voir un grand groupe longtemps attendu ou être cueilli par la tête d’affiche d’un show underground, mais se faire attraper par une première partie jusque-là inconnue est une sensation encore plus rare et galvanisante. Ce soir-là, j’avais trouvé mon nouveau coup de cœur screamo français avec quatre kids de Rouen qui ont versé leurs tripes à mes pieds.
Le screamo est une fierté française incroyable, quelque part entre le croissant et le Beaujolais nouveau. Alors que le screamo nord-américain se focalise surtout sur l’agressivité et la dissonance, avec un son plus brut, le screamo européen a toujours davantage incorporé le post-rock et des structures plus longues et réflexives. La France a permis de pousser ce style encore plus loin avec une technique de chant de tête très particulière, moins saturée, et des paroles symboliques, complexes, héritières de la tradition poétique française. Des groupes comme Daïtro, Sed Non Satiata, Amanda Woodward ou Mihai Edrisch ont porté cette scène qui a rayonné à l’international, avant que le succès public ne se délite à la fin des années 2000. La fin des années 2010 et l’immense « impact » de Birds In Row a toutefois permis à une scène underground de se renouveler et de se multiplier sans pour autant atteindre la popularité de ses aînés.
L’Idylle arrive dans cet écosystème aux débuts de la décennie, d’abord à deux, puis à quatre. Tous ses membres sont trop jeunes pour avoir connu l’âge d’or et pourtant tous et toutes sont profondément animé-es par la flamme du screamo à la française. Nolwen, le guitariste, nous confie la chose suivante : « On s’est mis à écouter les classiques Daïtro, Aussitôt Mort, mais on a aussi incorporé des influences d’aujourd’hui telles que Loma Prieta ou Birds In Row, et je pense qu’on a réussi à trouver le mélange entre ce qui se fait aujourd’hui et ce qui se faisait avant ». La musique de L’Idylle balance entre screamo et emoviolence, quelque part entre les deux comme nous le décrit Mathilde, la batteuse (également dans l’excellent groupe de punk garage We Hate You Please Die) : « Dans l’emoviolence, tu as ce truc très chaotique, qui change tout le temps de structure et on aime bien ça, mais on veut aussi de la simplicité […]on aime bien que les gens aient le temps de se poser, de comprendre ce qu’il se passe et de savoir sur quel pied danser, c’est important pour nous que ça reste lisible. »
En 2022, le groupe sort un EP autoproduit 100 % DIY, Romance / Violence, enregistré à l’époque où le groupe ne comptait que Louis et Nolwen. Ce dernier raconte que « l’EP a été enregistré à l’arrache ; on ne connaissait rien au mixage et on a tout fait dans une chambre sur Reaper ». Avec l’arrivée de Mathilde et Thibaut surgit aussi l'envie de se réapproprier ce disque et d’en sortir un réenregistrement complet, comme le précise la batteuse : « Cet EP traînait, on l’avait depuis longtemps dans les pattes et on voulait en refaire quelque chose de beau […] on s’est dit “on finit le produit, on refait quelque chose à notre sauce de maintenant, plus vener, avec nos nouvelles connaissances, et comme ça on le sort, on tourne la page, pour pouvoir faire d’autres choses” ».
Cette émulation collective se ressent constamment avec le groupe. Que ce soit durant l’interview, dans l’expérience live ou musicalement, ce sont quatre personnes qui ont pu grandir ensemble, affiner leurs influences, affûter leur plus-value individuelle et leur talent instrumental. C’est un constat touchant qui se déploie devant les yeux de quiconque prend le temps de les regarder.
L’EP est à cette image, une déflagration crue et adolescente, un déluge d’émotions à peine filtrées, un épanchement chaotique, mais réfléchi. Les textes de Louis, le chanteur, sont longs, bavards, parfois maladroits, car écrits il y a longtemps, mais remplis de fulgurances. Sur « Memphis Lorna », la thématique pourtant éculée de la rupture déchirante et de la déception amoureuse se voit réinvestie avec une naïveté poétique forte : « De tous les draps, les nôtres seront mon linceul / Tâchés de rouge et de sang / De tes lèvres, je veux être l’amant. » Chaque morceau contient également du spoken word, qui rappellera Fauve aux profanes, mais qui est surtout ancré dans la tradition du screamo français, comme sur ce qui est à mes oreilles le plus beau morceau de l’EP, « Euphorbia milii » et son final bouleversant : « Il n’y a aucune pilule pour sauver un gosse qui ne veut plus vivre. »
Cette approche impudique et rude de la musique peut polariser. Elle questionne le rapport à l’intime par le biais de thématiques universelles, et le fait de parler de soi de la façon la plus brute tout en se livrant à des foules. Louis nous donne des éléments de réponse : « Ce que j’ai envie de renvoyer au public, c'est l’impression d’être tout seul, mais ensemble […] moi les textes, je les comprends parce que je les ai écrits, mais ils sont libres d’interprétation [...] et le fait que des gens se les réapproprient, chantent avec moi, ça m’a conforté dans le fait qu’ils pouvaient se reconnaître et potentiellement que ça les aide. L’aspect concert reste quelque chose de très intime. Durant les concerts, je me replonge dedans. Les premiers étaient très douloureux, en général, je finissais en pleurs, parce que ça met dans un état émotionnel et physique qui s’alimentent mutuellement ». Durant mes premières écoutes de L’Idylle, j’ai beaucoup pensé à 29/09, ce groupe culte d’emoviolence nantais qui partage cette approche brutale et à vif de la rupture et de la dépression (chronique toujours disponible ici).
Crédit photo : Lory Zanini
Le 16 juillet dernier, L’Idylle est au milieu de sa première tournée européenne en compagnie des Étasuniens de Knumears. Ce soir, le groupe joue au Cirque électrique, à l’est de Paris. Les quatre musicien-nes sont sur un nuage, comme nous raconte Thibaut, le bassiste : « Le concert à Londres était blindé ; jouer au New Cross Inn pour une soirée screamo sold out, la première depuis longtemps, c’était fou. Le public était hyper réceptif, ça nous a juste collé une claque. »
Dans la salle exiguë de l’Anti-club, pendant trente minutes compactes, L’Idylle déverse toute la fureur émotive dont ses quatre membres sont capables. Mathilde, derrière ses fûts, se livre à une performance d’une variété et d’une justesse rares. Forte d’une culture musicale visiblement large et d’une énergie saisissante, elle magnifie et encadre avec brio les compositions du groupe. Devant, à la guitare et à la basse, Nolwen et Thibaut se complètent avec habileté, dans un style où on est plus habitué à voir deux guitares qu’une seule. Là aussi, les plans sont variés et parviennent à se répondre pour satisfaire les exigences de chaos et d’occupation du spectre sonore qu’impose le screamo. En front de scène, Louis s’adonne à une prestation possédée, vocalement irréprochable. Sans regarder le public, il parvient à se faire magnétique, fascinante forme hurlante qui se tord.
L’Idylle est un groupe jeune, avec une moyenne d’âge qui doit être de 23 ou 24 ans, et pourtant la tenue de scène est impériale. C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles j’adore le screamo : alors que ce sont les paroles et la démarche la plus impudique, il y a une maturité phénoménale qui s’en dégage. J’ai passé un long moment de mon concert à regarder chaque membre irradier, pleinement convaincu de faire sa part, mais aussi de faire corps. Mathilde nous le confirme : « Très égoïstement, ça nous fait du bien d’avoir ce moment tous les quatre et de hurler à la mort ensemble. De jouer très vite et très fort, ça nous émeut. On pense aux gens, mais aussi à nous. »
À la fin du concert, les quatre se serrent dans les bras, auréolé-es de leur performance aussi précise que tumultueuse. Je suis touché de les voir comme ça, après les avoir découverts une première fois, après avoir écouté leur musique et après leur avoir posé des questions quelques heures plus tôt. En fait, c’est ça faire un groupe. C’est là tout l’intérêt et j’irais même plus loin, c’est l’essence qui fait avancer nos scènes. Prendre un instrument avec ses amis, dire ce qu’on a à dire, avec l’appétit d’avaler le monde entier. C’est beau, c’est pur et c’est pour ça que j’aime autant la musique, en parler et promouvoir celles que je trouve formidables. La musique de L’Idylle est de celles-ci.