
Non.
On a toutes et tous des albums avec lesquels on partage un bout d'histoire. Qu'ils résonnent dans des instants de vie importants, heureux ou tristes, est sans doute l'une des premières raisons. Même si je connaissais déjà Mütterlein avant que Bring Down the Flags ne sorte, fin 2021, c'est bien cet album qui a eu un retentissement absolument obscur chez moi, en tombant comme un cheveu sur la soupe dans l'une des période les plus amères et noires que j'aie connu.
Difficile donc, de passer après quelque chose d'aussi fort, mais je faisais largement confiance à Marion pour continuer sur la même lancée avec Amidst the Flames, May Our Organs Resound. Confiance renouvelée donc, puisque si l'album n'a évidemment pas la même saveur, il est une continuité logique du précédent et peut, selon moi, s'écouter comme une partie 2. On y retrouve les mêmes éléments qui sont devenus les piliers et les qualités de sa musique introspective difficile à étiqueter. Boucles hypnotiques et apocalyptiques, ambiances martiales et industrielles, déclamations écorchées au possible qui m'attirent personnellement comme un chant de sirènes, synthés abyssaux qui se transforment en nappes d'orgue solennelles et bienvenues. Difficile de ne pas déborder de la case « musique industrielle » ou « électronique », difficile d'oser s'approcher de la sphère purement « metal » et rien ne semble réellement convenir à la musique que Marion compose comme catharsis.
D'ailleurs, elle n'est pas tout à fait seule aux commandes puisque, si on retrouve le travail de Dehn Sora sur la superbe pochette, il est également crédité avec Treha Sektori sur les Memorial « One » et « Two ». Encore une belle collaboration quand on voit ce que le live commun donnait déjà, pour l'avoir vécu au Frozen Fest 2024. La fausse-tranquilité de « Memorial One » qui débouche sur l'épique « Division of Pain » est clairement l'un des temps forts de l'album. « Memorial Two », quant à lui, est une sublime mise en valeur du chant grave et profond de Marion dans une lamentation cérémonielle finale.
Peut-être l'album me semble-t-il moins cru et brut, plus construit et travaillé, que ne l'était son prédécesseur. Cela n'enlève en rien la force et l'intensité de ses compositions. Le projet Mütterlein est particulièrement touchant et, cette fois, la référence au « nous » du titre de l'album est palpable et n'est pas anodine. On ressent davantage, dans ce nouvel opus, une invitation à prendre part au rituel mais aussi à s'approprier sa musique dans un effort collectif. Cet orgue monumental, dressé devant nous, devient alors un monument, un mémorial. A ses pieds, trône toujours la menaçante faucille, symbole de Mütterlein depuis bien des années. Marion définit elle-même l'album comme une ode à tou(te)s celles et ceux qui ont souffert en silence et plus particulièrement aux femmes. « Anarcha », placé en première ligne de la tracklist, est d'ailleurs un hommage à Anarcha Westcott dont l'histoire est celle d'une esclave noire américaine qui a subi de véritables horreurs gynécologiques.
Si l'album ne referme pas tout à fait les plaies, il participe à ce processus de réparation que Marion évoque en interview lorsqu'elle parle de ses prestations live. Preuve que l'exercice introspectif qu'évoque la musique de Mütterlein promet aussi une certaine connexion aux autres, souvenir d'un passé commun relié dans un présent commun.
1. Anarcha
2. Concrete Black
3. Wounded Grace
4. Memorial One
5. Division of Pain
6. Ivory Claws
7. Memorial Two