
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Simon : Avant de passer la vingtaine, les Néo-Zélandais d’Alien Weaponry ont suscité l’intérêt du public avec leur univers mélangeant leur culture maorie aux tonalités guerrières avec les gros riffs nu metal, au même moment où The Hu faisait sensation avec une combinaison équivalente depuis leur Mongolie natale. Évidemment, tout le monde avait Sepultura et Soulfly en tête, tant les rythmes se mariaient bien aux composants tribaux et traditionnels. Le nouvel espoir kiwi a été invité dès 2018 aux festivals européens, puis américains, avant d’accompagner des groupes comme Gojira sur leurs tournées, d’autres enfants nourris à la tétine des frères Cavalera.
L’heure du bilan est venue pour Alien Weaponry, maintenant que les musiciens ont bien grandi, se sont professionnalisés et ont sorti leur troisième opus, Te Rā. Le titre de l’album évoque le soleil, comme le morceau « Tama-nui-te-rā » qui raconte comment le demi-dieu Maui a dompté l’astre avec des cordes parce que les journées passaient trop vite, selon la mythologie polynésienne. Solution radicale en faveur du changement d’heure.
Au-delà de ravir les amateurs de rugby qui penseront au haka des All Blacks à chaque fois qu’ils entendront du maori, les musiciens se sont donnés pour mission de partager leur culture, et ce, jusqu’à ses enjeux sociétaux. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait LV3 Te Reo Māori pour apprécier les riffs du groupe, mais il serait dommage de passer à côté de la perspective des Néo-Zélandais sur l’histoire des peuples indigènes. Les paroles en anglais et en langue maorie évoquent aussi bien des récits mythologiques (« Ponaturi », « Te Riri o Tāwhirimātea », « Te Kore ») que des thématiques historiques et contemporaines : la spoliation des terres ancestrales, la colonisation (« Crown », « Mau Moko » au sujet de la restitution de têtes maories momifiées exposées à l’étranger), les réseaux sociaux (« 1000 Friends ») ou même la guerre en Ukraine (« Blackened Sky »), par-delà les frontières de l’archipel océanique.
L’œuvre d’Alien Weaponry est éminemment politique, en fiers ambassadeurs de la culture maorie sur la scène metal, y compris au-delà des paroles. Sur les réseaux sociaux, le bassiste Tūranga Porowini Morgan-Edmonds redouble de pédagogie pour mettre en lumière la langue, les us et coutumes et le tatouage traditionnel, arborant lui-même le moko, prêt à sensibiliser sur les problématiques des peuples autochtones et alerter sur l’appropriation culturelle.
Après un premier disque prometteur et un deuxième album plus mature mais sans relief, le trio revient avec un son plus moderne, industrialisé par Josh Wilbur. Difficile de s’émanciper de leurs influences de Gojira et Lamb of God avec le producteur emblématique de ces formations et Randy Blythe en invité sur un titre, sans oublier d’intégrer les gimmicks de ces groupes (coucou le pick scrape, on t’entend déjà partout). Certes, on pourrait considérer que c’est le son puissant qui sied parfaitement à leur musique. C’est effectivement un jalon supplémentaire pour marquer l’entrée du groupe dans la cour des grands. Le rapprochement entre Gojira et Alien Weaponry est tout naturel, et on ne demandait que ça. L’ennui est que le groupe a encore à prouver la pertinence de ses compositions en dehors de l’apparat.
S’il reste plus abouti que les albums précédents sur le plan technique, avec Lewis De Jong plus affirmé à la guitare comme au chant clair et hurlé, Te Rā manque encore cruellement de substance, et la production dessert le groupe sur ce point. Parmi les passages les plus pénibles, le riff pauvre de « 1000 Friends » digne d’un groupe amateur me sort par les yeux d’entrée. « Tama-nui-te-rā » clame tellement son amour à Gojira qu’il se met hors-jeu tout seul. « Crown » est ultra-téléphoné, et seul le break parvient à réussir son placage. Même constat pour « Hanging by a Thread » où il faut attendre la fin du break pour avoir un riff qui file droit et fracasse les cervicales. « Te Riri o Tāwhirimātea » tourne à vide et doit son salut au refrain poignant et au solo bien amené. La hargne du trio ressort néanmoins sur le final de « Blackened Sky » et « Mau Moko ». Autre moment fort du disque, la ballade « Myself to Blame » et ses notes dramatiques poignantes, tout comme le refrain mélodique de « Taniwha ». En somme, des îlots surélevés dispersés parmi un archipel d’atolls sans profondeur. Plus metalcore mainstream que thrash tripal, Alien Weaponry prend la solution de facilité pour assurer sa place sur la scène.
L’essai est marqué sans transformation. On attend encore un album à la hauteur de ce que l’équipe néo-zélandaise est capable de proposer sur la scène internationale en termes d’identité. Sans cela, Alien Weaponry risque de tourner en rond en se cantonnant à un « metal maori » fort artificiel, à l’instar de groupes n’ayant pas su offrir plus qu’une énième fusion folklorique. En attendant, le groupe sait utiliser son bagage culturel pour fédérer les guerriers du pit et bien battre la terre avec des rythmes lourds. On ne peut pas leur enlever cette aura.
Tracklist :
- Crown (3:23)
- Mau Moko (03:45)
- 1000 Friends (03:21)
- Hanging by a Thread (03:37)
- Tama-nui-te-rā (04:40)
- Myself to Blame (04:17)
- Taniwha (04:48)
- Blackened Sky (03:05)
- Te Riri o Tāwhirimātea (04:47)
- Ponaturi (04:11)
- Te Kore (02:05)