
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Simon : Initiateur de la scène thrash de la baie de San Francisco et grand oublié du Big Four américain, Exodus n’a jamais dit son dernier mot. Des mots, son meneur Gary Holt en a même beaucoup à rajouter. Le guitariste revient sur le parcours chaotique de son groupe dans un livre intitulé A Fabulous Disaster: From the Garage to the Madison Square Garden, the Hard Way, coécrit avec l’auteur Adem Tepedelen. Au-delà de son groupe, dans le plus pur exercice autobiographique, Holt retrace sa propre vie, depuis ses débuts délinquants dans la banlieue pauvre de San Pablo, jusqu’aux montagnes russes de sa carrière, abordant ses addictions, sa famille et son passage chez Slayer en remplacement de Jeff Hannemann.
L’ébullition de la scène thrash des années 80 dans le vivier de San Francisco avait déjà été bien documentée, notamment avec le film Murder in the Front Row réalisé par Adam Dubin, en extension de l’ouvrage éponyme regroupant les clichés des photographes Harald Oimoen et Brian Lew qui ont couvert cette période charnière. On retrouve évidemment le même portrait du berceau californien du genre dans les mémoires de Gary Holt, avec ses lieux immanquables : Old Waldorf, Ruthie’s Inn et les « backyard parties » dans une ambiance survoltée animée par la Slay Team prête à humilier les « poseurs », ou la « Metallica Mansion » qui accueillait les afters des fêtards destructeurs.
Loin d’être un bête recueil d’histoires, A Fabulous Disaster partage toutefois son lot d’anecdotes parmi les plus débiles, occasionnellement cruelles, parfois scatophiles, souvent immatures, toujours avec le regard amusé, mais peu nostalgique de son auteur. On l’imagine volontiers les raconter en ricanant « it was good fun », sans pour autant cacher certains regrets. Pas verbeux pour un sou, son témoignage se lit comme une discussion informelle, bien construite, linéaire sur un plan chronologique, mais captivante. Ces mémoires sont aussi l’occasion pour Holt de rendre hommage à ses héros et ses amis partis trop tôt, de remercier sa famille élargie, de citer ses influences et d’avouer ses plaisirs musicaux pas si coupables (même quand on est une figure d’un mouvement anti-poseur qui ne prêche pas la tolérance).
Le nom de Metallica est évidemment indissociable des racines d’Exodus. Tout le monde sait déjà que Kirk Hammett (qui signe la préface du livre) a fondé Exodus avec le batteur Tom Hunting et a appris à son pote roadie Gary à jouer de la guitare, avant de rejoindre la star montante et de laisser les rênes à Holt, ravi d’être aux manettes. Ce dernier pouvait enfin modeler le thrash acide et violent qu’il ambitionnait, inspiré par la personnalité féroce de Paul Baloff, alors que Kirk Hammett avait des réticences sur le riff de « Strike of the Beast », pourtant emblématique du son carnassier d’Exodus.
Inutile de vous refaire l’histoire, Gary Holt raconte très bien comment son groupe n’a pas eu le flair de son rival. Au-delà du refus catégorique d’écrire une ballade, Exodus a été beaucoup moins malin pour prendre des décisions commerciales avisées, comme le choix de son label pour sortir ses premiers albums, car ils étaient trop occupés à faire la fête et à s’amuser avec les drogues. Chapitre après chapitre, les galères du groupe deviennent un running gag, jusqu’à aujourd’hui même, en parallèle de performances destructrices sur scène comme en dehors.
Si Holt parle avec une grande fierté du style impitoyable d’Exodus, de ses albums et de la tannée qu’ils ont foutue à Venom ou même Metallica pour qui ils faisaient la première partie lors du concert du Nouvel an 1985 (possible raison du fait qu’Exodus n’ait jamais été invité à rejouer avec le groupe), on ne peut pas lui reprocher le manque d’honnêteté et d’autocritique lorsqu’il évoque les déboires du groupe, y compris ses propres erreurs et sa fragilité. Les remords et le sentiment de culpabilité sont palpables lorsqu’il évoque la décision de se séparer de Paul Baloff ou de Tom Hunting, en proie à des crises de panique. Holt raconte avec sincérité le poids de son addiction à la méthamphétamine sur sa vie de famille, à l’époque où tous les membres d’Exodus étaient sortis du circuit pour gagner leur croûte. Cru et désolant, le chapitre « In Flames » sert les tripes lorsqu’il décrit l’abîme du musicien et comment même la mort du chanteur Paul Baloff en 2002 n’a pas eu l’effet d’électrochoc pour sortir de la dépendance. C’est finalement un concours de circonstances, une pénurie de « meth » lors de la tournée européenne suivante, qui a permis à Holt de sortir de cet engrenage, avant de progressivement prendre la voie de la sobriété au fil des années pour le bien-être de son entourage.
Les chapitres consacrés à Slayer piétinent davantage, rabâchant l’incertitude autour de l’absence d’Hannemann et l’extension du conflit sur deux fronts pour le soldat Holt, mentalement divisé et physiquement broyé. On retient que même en second couteau incisif, le guitariste par intérim reste reconnaissant de cette opportunité qui lui a prouvé la validation de ses pairs, dont Jeff Hannemann, au sein d’un groupe du Big Four, dans une organisation d’une autre stature que celle d’Exodus. Invité dans l’entreprise, Holt s’est bien gardé de s’immiscer dans les affaires entre Kerry King, Tom Araya et Dave Lombardo. Malgré la valse (toxique) des musiciens et des chanteurs, jusqu’à aujourd’hui avec le énième départ de Zetro Souza et le retour de Rob Dukes début 2025, la grande famille d’Exodus entretiendrait-elle un meilleur contact entre ses membres ?
Sans chichis, A Fabulous Disaster est exactement tel qu’il paraît. Parfait pour les fans de thrash et de fausses success stories en demi-teinte, il faudra le lire en anglais sans attendre une hypothétique parution en français.
Dans un style simple et direct, Gary Holt livre un autoportrait authentique, à la croisée des chemins entre récit d’ancien toxico, mémoires personnelles et perspective d’insider au cœur de l’évolution du thrash metal – de l’éclosion à l’atrophie avant sa renaissance. Il évite toutefois le pathos moralisateur du modèle de résilience déterminé à sortir de sa condition avec foi et mérite. Plus pragmatique, le guitariste insiste plutôt sur sa volonté de continuer de foutre des roustes aux groupes actuels, pour ne pas devenir un has been uniquement cité dans une note de bas de page d’une encyclopédie du metal.
Loin d’être anecdotiques, Holt et sa bande d’antihéros trublions auront symbolisé l’incandescence et l’anarchie de la scène thrash, avec une carrière jalonnée de rendez-vous manqués, maudite sans être ratée, et dont les protagonistes ont encore leur mot à dire, toujours dans un joyeux bordel.
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Remerciements à Juliane Lancou pour la photo.