
"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Dormant Ordeal fait partie des noms que je vois passer, précédés d’une petite hype, auxquels je n’adhère pas sur le moment mais que je garde dans un coin « au cas où » pour un prochain album, parce qu’il y a un petit quelque chose, une marge de progression et/ou de changement qui existe pour me faire basculer. Pourtant, de base, on aurait tort de prendre ce groupe polonais pour une formation émergente qui a beaucoup de choses à prouver. Dormant Ordeal a même eu un parcours assez particulier vu que Radek Kowal, seul membre fondateur en 2005, a… quitté le groupe l’année dernière, laissant les commandes au duo Maciej Nieścioruk - Maciej Proficz, musiciens partageant prénom et coupe de cheveux pour les photos promo. Dormant Ordeal démarre pourtant en studio sous forme d’un quatuor en 2013 pour It Rains, It Pours, le line-up perdurera sur We Had It Coming (2018) avant de passer à un trio (le bassiste Kacper Działdowski ayant mis les voiles) pour The Grand Scheme of Things (2021). C’est ce troisième album qui commencera vraiment à faire parler du nom de Dormant Ordeal, avec un étiquetage tendance en death « dissonant » en plus d’une pochette très LLNNienne. Mais il faut dire que le groupe polonais est assez insaisissable. Si It Rains, It Pours naviguait dans un death brutal et technique très américain, ni moderne ni old-school ; We Had It Coming le replaçait plutôt dans les particularités du death technique polonais, repenchant vers les premiers Decapitated entre autres. Et puis la qualité d’écriture était là, malgré un It Rains, It Pours assez linéaire, vite supplanté par un We Had It Coming plus efficace et tout à fait excellent. The Grand Scheme of Things avait donc permis à Dormant Ordeal de prendre le chemin d’un death metal plus « progressif » et aventureux, même si son aspect plus percutant et technique (cf. un « Letters to Mr. Smith ») restait bien présent. Quatre ans plus tard, le désormais duo est passé de Selfmadegod à Willowtip, gage de qualité tant le label américain a le nez creux. On l’a eu aussi quand on a gardé le nom en tête une fois The Grand Scheme of Things sorti…
C’est un schéma classique et je vous le donne en mille : Tooth and Nail va tout simplement permettre à Dormant Ordeal de fusionner et faire le bilan de ses trois premiers albums pour se donner un vrai souffle, une vraie personnalité et aller de l’avant. On retrouvera donc dans le quatrième album du combo polonais, un death toujours… polonais hérité de Decapitated époque Sauron, ici mâtiné d’un esprit encore plus atmosphérique et dissonant hérité d’Ulcerate – ce qui affleurait légèrement sur l’album précédent, et enfin un death américain à la fois lourd et brut hérité d’Immolation ou de Hate Eternal. Et d’ailleurs… amputé d’un batteur, le duo de Maciej a embauché l’Américain Chason Westmoreland, connu pour avoir été derrière les fûts d’Abigail Williams, The Faceless mais aussi… Hate Eternal sur Infernus (2015), et tout ce petit manège musical sonne ainsi déjà comme une évidence. Rien que le départ de blasts sur « Halo of Bones », premier single dévoilé de Tooth and Nail et premier morceau de l’album passée son intro, va nous faire comprendre que l’apport de Chason avec son jeu à la fois terrassant et protéiforme sera immense. Et Maciej et Maciej vont se mettre au niveau sans problèmes pour un Tooth and Nail qui, disons-le tout de suite, sera un album de death metal particulièrement complet et réjouissant. Jouissant sans cesse d’une brutalité tout en subtilité, entre des assauts techniques furibonds et des développements d’atmosphères intéressants, ce quatrième opus de Dormant Ordeal sera passionnant. Malgré son line-up qui se fractionne à chaque sortie, l’entité polonaise poursuit son développement et garde sa ligne directrice, avec ce death ni old-school ni réellement moderne, jusque dans la forme avec une production claire mais qui reste abrasive. Le témoin en est aussi le chant plus déclamé, ni growlé ni criard, de Maciej Proficz, rebutant au début mais qui amène sa singularité et va finir par confier une certaine aura à l’art de Dormant Ordeal, qui trouve ici sa personnalité malgré des influences encore évidentes. Et cet ensemble va finir de faire de Dormant Ordeal une révélation, encore plus que pour The Grand Scheme of Things.
Si « Halo of Bones » nous accueille avec un savant équilibre entre dissonance, technique et brutalité – et surtout de sacrées accroches car c’est un single pour le moins bouillonnant et dévastateur, Tooth and Nail va vite dévoiler l’ensemble de sa palette et elle va être formidable. Etirant encore plus son temps de jeu – Tooth and Nail sera son album le plus long jusqu’ici et trois pistes dépasseront six minutes – Dormant Ordeal va pouvoir faire montre de tous ses talents, élargir son potentiel et se faire même quelque peu « progressif ». On le remarque dès « Horse Eater » avec ses plans plus… mélodiques où l’on plonge dans l’introspection et l’hypnotisme d’un Ulcerate dont l’influence se revendique pleinement, jusque dans les structures et arrangements avec un jeu de batterie tout aussi envoûtant. Les guitares, rythmiques comme leads, sont d’une finesse sans égal et se montrent diablement entraînantes ; « Solvent » prolongera cet effet et le talent de composition Maciej Nieścioruk va vraiment exploser au grand jour, avec une fantastique progression de l’atmosphérique au technique pendant huit fantastiques minutes bardées de moments de grâce, accompagnées d’un chant possédé et obsédant. Mais Dormant Ordeal s’échine à couvrir tout le spectre du death metal contemporain et c’est ainsi qu’un « Orphans » ressort vite les blasts martiaux et les riffs syncopés à la Decapitated pour regagner en efficacité ; et ce n’est rien à côté de la bonne grosse tuerie des familles qu’est « Dust Crown », morceau de death technique absolument imparable et même franchement fédérateur. Si tout semble déjà dit, Tooth and Nail est loin d’être fini et les deux longues pistes complètes que sont l’excellent « Against the Dying of the Light » et « Everything That Isn’t Silence Is Trivial » prolongent le plaisir, toujours dans cet équilibre technico-dissonant-blastant assez stupéfiant et surtout très inspiré, sans jamais être trop chaotique ni hermétique, toujours avec des passages guitaristiques incroyables ou des lignes vocales accrocheuses. Tooth and Nail a tout de l’album parfait de death metal technique, bourré de bonnes idées, qui pioche partout où c’est nécessaire et voit grand sans en faire des tonnes, et Dormant Ordeal est en totale réussite, s’offrant même ici une outro magnifique. Unir dans la liesse les fans de death américain, de death polonais et d’Ulcerate et consorts, c’est le combiné gagnant et Tooth and Nail est assurément l’album de death metal le plus complet depuis un bon moment, capable de plaire à tout le monde. On avait donc bien repéré Dormant Ordeal, mais qu’il revienne dans un aboutissement déjà total, en donnant une pareille leçon, des compos de premier choix et un album aussi monumental… chapeau, les Maciej.
Tracklist de Tooth and Nail :
1. Wije i mary, Pt. 1 (0:46)
2. Halo of Bones (5:04)
3. Horse Eater (5:36)
4. Orphans (4:53)
5. Solvent (7:58)
6. Dust Crown (5:16)
7. Against the Dying of the Light (6:39)
8. Everything That Isn't Silence Is Trivial (7:05)
9. Wije i mary, Pt. 2 (3:54)