Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Extrême et expérimentale sont les deux épithètes qui, à mon sens, qualifient le mieux la musique de Pyrrhon. Ces adjectifs ne disent rien de la qualité de la musique, ils la décrivent. Et en terme de qualité, Pyrrhon avait mis la barre haut avec ses deux albums, The Mother of Virtues et What Passes for Survival, avant de marquer un peu le pas sur Abscess Time. Loin d'être sans intérêt, ce dernier album perdait de cette rage dense et incohérente qui faisait la force des sorties précédentes. Les conditions de sa production et de sa sortie, durant la pénible année 2020, n'ont sans doute pas aidé, le groupe aussi bien que les auditeurs. Aussi, afin de ressouder les lien entre ses membres, Pyrrhon s'est construit une petite bulle hors du temps, dans un psychédélisme champêtre de Pennsylvanie à base d'acides et de ruralité profonde, pour la composition de Exhaust. Une méthode de travail qui a réussi aux Américains.
En effet, Exhaust est fantastique. On retrouve l'intraitrable chaos qui fait le sel de la musique du groupe : des riffs burinés de tous les côtés, une batterie qui remplit tout l'espace et un chant possédé qui oscille entre le growl sourd et l'arrachement des cordes vocales. Pyrrhon joue toujours sur le fil, à la frontière de l'incompréhensible et de l'illisible, mais sans jamais perdre de vue un certain sens de l'efficacité (ce qui manquait à leur précédent album). Les morceaux semblent plus compacts et ramassés, de purs assauts directs dans la veine de leurs sorties antérieures. Mais il y a dans les titres d'Exhaust un supplément d'audace difficilement descriptible tant la manière de riffer du groupe était déjà particulière. Mais très régulièrement en écoutant Exhaust, on se retrouve labouré par un riff façon déluge de notes dissonnantes puis repêché la seconde d'après par une séquence à la construction nettement plus déchiffrable. Disons que, jamais le chaos proposé par Pyrrhon n'a été aussi savamment maîtrisé, et que jamais le quatuor n'avait atteint ce capacité de domestiquer la foule d'idées qui jaillit à chaque album.
On retrouve le style d'artwork marqué et reconnaissable de Caroline Harrison, à la fois dépouillé et chargé, avec cette approche stylisée du morbide. Et comme apparemment Pyrrhon est fidèle avec ses collaborateurs, c'est de nouveau Colin Marston (qui a bossé avec et/ou fait partie des pointures du bordel musical que sont Gorguts, Krallice, Imperial Triumphant ou Liturgy, entre autres) qui s'est chargé de la production. Un peu le type idéal, donc pas de raison d'aller voir ailleurs. Et le sieur Marston propose un équilibre subtil entre le gras rugueux d'une basse chargée et un travail fantastique sur les aigus stridents des guitares, tout en parvenant à garder suffisamment de "clarté" (mettez les guillemets en taille seize ou dix-huit) pour que l'on puisse distinguer tout ce beau monde sans (trop) d'effort. Lorsqu'on touche aux musiques avant-gardistes et expérimentales, il va souvent sans dire que les musiciens sont nécessairement techniquement irréprochables, mais il n'est jamais superflu de le souligner quand ça saute aux oreilles presque toutes les cinq secondes sans faire dans le démonstratif. Que ce soit sur les passages ralentis où les musiciens tissent des toiles de riffs et de rythmes (« Last Gasp ») ou les innombrables passages où la déconstruction opérée par le groupe semble aller à cent à l'heure, Pyrrhon déroule tout son talent d'orfèvre.
Abscess Time me faisait craindre que Pyrrhon s'essouffle un peu, se perde dans ses propres méandres. Exhaust prouve qu'il n'en est rien. Les New-Yorkais reviennent plus explosifs et inventifs que jamais et nous proposent sans doute leur album le plus complet et abouti jusque là.
Tracklist de Exhaust :
1.Not Going To Mars
2.First As Tragedy, Then As Farce
3.The Greatest City On Earth
4.Strange Pains
5.Out Of Gas
6.Luck Of The Draw
7.Concrete Charlie
8.Stress Fractures
9.Last Gasp
10.Hell Medicine